Le consentement entre dans la définition légale du viol

Le consentement entre dans la définition légale du viol

Une avancée majeure

Contexte et justification de la réforme

La définition actuelle du viol en France repose sur l’article 222-23 du Code pénal : « tout acte de pénétration sexuelle … commis … par violence, contrainte, menace ou surprise ». Or, de nombreuses études et associations dénoncent l’insuffisance de ce cadre, notamment pour couvrir des faits où la violence physique ou la contrainte manifeste ne sont pas démontrables mais où la victime n’a pas pu ou su exprimer son refus. Une mission d’information de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, présidée par les députées Véronique Riotton (Ensemble pour la République) et Marie‑Charlotte Garin (Écologistes) a remis un rapport le 21 janvier 2025 recommandant d’intégrer explicitement la notion de « non-consentement » dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

L’objectif affiché par ses auteurs et soutenu par le gouvernement est double :

  • d’une part, mieux protéger les victimes et mieux reconnaître leurs situations de vulnérabilité, notamment dans les contextes intrafamiliaux, conjugaux ou d’emprise, en donnant à la justice un outil plus clair
  • d’autre part, faire évoluer la culture judiciaire et sociale vers une logique de respect du consentement plutôt que de seul « refus ou violences visibles »

Inspirée par les législations de pays comme la Suède, l’Espagne ou le Royaume-Uni, cette proposition de loi (PPL) entend placer le consentement au cœur de la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, afin d’affirmer que l’absence de consentement suffit à caractériser le crime, sans qu’il soit nécessaire de prouver la violence.

Contenu de la proposition de loi

La PPL, déposée à l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025 par les députés Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, modifie plusieurs articles du Code pénal, principalement les articles 222-22 et 222-23. En première lecture, en commission des lois, les deux députées ont été désignées comme co-rapporteurs. Au Sénat, les rapporteures sont Elsa Schalck et Dominique Vérien.

  • Principales modifications législatives proposées
  • Le texte propose de modifier les articles 222-22 (agressions sexuelles) et 222-23 (viol) du Code pénal pour y introduire la formulation-clé : « tout acte sexuel non consenti » commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur.
  • Il définit le consentement « libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable » et précise que le silence ou l’absence de réaction ne peuvent valoir consentement.
  • Il conserve les quatre critères actuels (violence, contrainte, menace, surprise) en les maintenant comme modalités dans lesquelles il n’y a pas consentement.
  • Il élargit explicitement la définition du viol en y incluent les actes bucco-anaux.

NB : La PPL ne modifie pas les règles spécifiques applicables aux mineurs, déjà renforcées par la loi du 21 avril 2021 qui a établi un seuil d’âge de non-consentement à 15 ans (et 18 ans en cas d’inceste).

La redéfinition vise donc à clarifier le droit pénal et son application, harmoniser la législation française avec les standards internationaux et réaffirmer le rôle symbolique du droit comme un outil de transformation sociale.

Arguments clés et tendances des débats

Arguments favorables :

  • Le texte est présenté comme une avancée majeure pour les victimes, en comblant une lacune législative
  • Il s’inscrit dans les engagements internationaux de la France (ex. Convention d’Istanbul) qui recommandent la notion de non-consentement
  • Il permet une meilleure cohérence entre réalité vécue des violences sexuelles et qualification pénale

Arguments opposés ou critiques :

  • Certains juristes craignent que l’inscription du « non-consentement » entraîne une charge accrue sur la victime pour prouver l’absence de consentement.
  • D’autres estiment que sans moyens supplémentaires (formation, enquête, prise en charge), la réforme resterait symbolique.
  • Le débat a aussi porté sur la formule « appréciée au regard des circonstances environnantes » vs « contexte » selon la chambre.

Tendance politique : Le texte bénéficie d’un large consensus, notamment majoritaire gauche/droite-centre, ce qui traduit une convergence transpartisane sur ce sujet. Les oppositions se sont cantonnées essentiellement aux rangs de l’extrême droite ou de certains élus très critiques.

Parcours législatif et étapes à venir

  • 21 janvier 2025 : dépôt de la proposition de loi à l’Assemblée nationale
  • 26 mars 2025 : adoption en commission des lois de l’Assemblée nationale
  • 28 mars 2025 : le Gouvernement engage la procédure accélérée, réduisant le nombre de lectures
  • 1er avril 2025 : adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, par 161 voix pour, 56 contre
  • 18 juin 2025 : le Sénat adopte le texte en première lecture à l’unanimité (323 voix pour) sur le fond (avec modifications)
  • 21 octobre 2025 : accord en commission mixte paritaire (CMP) entre les sénateurs et les députés
  • 23 octobre 2025 : l’Assemblée nationale adopte le texte de compromis issu de la commission mixte paritaire, par 155 voix pour, 31 contre, 5 abstentions
  • Étape suivante : vote définitif du Sénat (prévu 29 octobre 2025) avant promulgation et décrets d’application.

Impacts attendus et enjeux

La question du consentement dans les infractions sexuelles constitue un enjeu juridique et sociétal majeur, qui s’est retrouvé au cœur du débat public à plusieurs reprises ses derniers mois.

  • Un impact juridique majeur : L’inscription explicite du consentement dans la loi permettra aux magistrats et enquêteurs de mieux qualifier les faits lorsque la victime n’a pas pu résister ou exprimer son refus, notamment en cas de sidération, d’empressé psychologique ou d’abus de vulnérabilité. Elle devrait aussi encourager les victimes à porter plainte, en réduisant le sentiment d’injustice ressenti lorsque la violence physique est absente. Cela permettra de contribuer à une meilleure prise en compte des violences, en particulier les violences intrafamiliales et conjugales où la contrainte n’est pas nécessairement visible.

Toutefois, certains juristes et députés soulignent que la réforme devra être accompagnée d’une formation renforcée des magistrats, pour éviter une incertitude jurisprudentielle sur l’interprétation du « non-consentement ».

  • Un impact social et symbolique fort : En inscrivant le consentement comme condition essentielle, le texte envoie un signal fort : « aucun acte sexuel sans consentement ne peut être toléré ». La ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes a qualité ce texte de « pas décisif vers une véritable culture du consentement ». Il s’agit d’un tournant symbolique pour la société, le viol n’est plus seulement une question de violence physique, mais avant tout une atteinte à l’autonomie sexuelle de la personne.

Cette évolution s’inscrit dans la prolongement des mobilisations sociales des dernières années (#MeToo, #NousToutes, campagnes sur le consentement) et renforce la cohérence du cadre législatif français avec les politiques de prévention et d’éducation à la sexualité.

  • Conséquences pratiques. Plusieurs défis demeurent tels que :
    • La formation des professionnels de la justice, des forces de l’ordre (adaptation des formations initiales et continues).
    • La garantie de l’effectivité de cette réforme, en raison des voix critiques qui estiment que cette réforme pourrait, sans accompagnement, faire peser la charge de la preuve sur la victime ou ne pas suffire à changer les pratiques judiciaires.
    • Un travail de sensibilisation auprès du grand public et des jeunes.
    • Une meilleure articulation entre la justice, les services sociaux et les associations d’aide aux victimes.

Conclusion

En intégrant explicitement la notion de non-consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles, elle aligne la France sur les standards européens et affirme un principe fondamental : aucun acte sexuel ne peut être imposé sans un consentement libre, éclairé et réversible. Son impact sera donc à la fois juridique, en clarifiant la qualification des faits ; symbolique, en réaffirmant la dignité et l’autonomie des personnes ; et social, en renforçant la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales.

En voie d’adoption définitive, cette proposition de loi constitue une évolution majeure du droit pénal français. Hautement symbolique, le texte marque un changement d’époque. L’enjeu dépasse la seule modification du Code pénal : il s’agit d’une transformation culturelle, vers une société fondée sur le respect du consentement et de l’intégrité de chacun.

Sa réussite dépendra toutefois de la formation des professionnels, de la mise en œuvre concrète dans les tribunaux et de la coordination avec les associations de terrain. Il est donc très important que cette réforme ne reste pas lettre morte et il faudra veiller à ce que les modalités d’application soient bien définies.


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Les failles de l’expertise psychologique judiciaire

Les failles de l’expertise psychologique judiciaire

Avec la participation de Aurore Malet-Karas, Docteure en neuroscience et sexologue

Des expertises psychologiques défaillantes

Les expertises psychologiques mandatées par la justice jouent un rôle crucial dans les affaires de violences intrafamiliales. Elles éclairent les magistrats sur leur prise de décision (classement sans suite ou poursuite pénale, droit de garde, placement…) et sur le retentissement personnel des situations qu’ils doivent étudier.

Ces expertises sont les pierres angulaires des procédures et sont cruciales pour la protection des personnes et la prévention de la récidive. Hélas, elles nous sont fréquemment signalées comme ne reflétant pas la réalité des situations.

Cela aboutit à des conclusions mal ou non motivées et biaisées grandement préjudiciables.

Qu’est-ce qu’une expertise psychologique ?

La personne à expertiser est reçue par un psychologue afin de réaliser un ou plusieurs entretiens comprenant :

  • Un entretien généraliste (vie personnelle, professionnelle, affective…)
  • Un entretien clinique qui permettra de questionner la psychopathologie de la personne (émotions, anxiétés, phobies, sociabilité, affectivité, empathie, notion du bien et du mal, discernement, troubles dépressifs…).
  • Ces entretiens peuvent être complétés par des tests de personnalité, QI…

Ces entretiens permettent de définir un profil psychologique de la personne.

Si la personne est une victime de violence sexuelle, l’expertise pourra montrer d’éventuels troubles psycho traumatiques ou de stress post traumatiques sur le long terme (dissociation, troubles de la mémoire, du sommeil, anxiété…).

Quels sont les points à repérer pour contester une expertise psychologique?

  1. L’expert psy doit être sur la liste des experts agréés près la Cour d’appel.
  2. L’expert doit répondre (uniquement) à la question posée par le juge. Par exemple, l’honnêteté du récit, les séquelles des violences subies, les capacités parentales…
  3. Le psychologue doit être neutre, impartial, il ne doit pas donner des jugements de valeur. Ex : « personnalité manipulatrice, elle exagère, elle n’est pas normale… », qui sont des valeurs morales, ou sociétales. Il doit se limiter à son champ de compétence. Nous ne devrions pas y lire « je conseille un placement chez le père… ». Auquel cas l’expert risque d’influencer le magistrat de manière injustifiée.
  4. L’évaluation de la personne devrait se faire sur des bases scientifiques solides, avec des méthodes fiables, des tests standardisés et des échelles de mesures concrètes. Un entretien clinique n’est souvent pas suffisant. Il existe par exemple des tests cognitifs, des échelles de stress, des échelles de personnalité, comme les tests BDI-II (état émotionnel) et PCL-5 (pour les signes de stress post traumatique). L’expert devrait, quand il le peut, citer des sources scientifiques, articles médicaux ou autre pour appuyer ses propos.

Les psychologues cliniciens uniquement psychanalystes vont utiliser des méthodes de compréhensions de l’individu plus subjectives et cela donnera une expertise moins structurée.

L’expert ne doit pas confondre personnalité dysfonctionnelle, fragile et symptôme de stress post traumatique (comme la sidération, la dissociation…).

Il ne doit pas perdre de vue que l’origine d’un trouble peut être la violence (comme l’hypervigilance…).

Il est donc préférable que les expertises soient basées sur des approches TCC (Thérapie Cognitivo Comportementale) ou psychométriques.

Attention également à certains tests psychologiques décriés par les scientifiques comme le test de Rorschach.

Le test de Rorschach… présente une fidélité inter-juges variable selon les études (entre 0.40 et 0.85), ce qui signifie que différents psychologues peuvent interpréter très différemment les mêmes réponses.

« L’expertise psychologique contredite : enjeux et défis dans le système judiciaire français » du site de avocats-emergence

Comment repérer les biais cognitifs ?

Un expert défaillant est aussi un être humain et aura à souffrir des mêmes biais cognitifs que tout un chacun.

Voici certains biais que la Psychologue Aurore Malet-Karas explique très bien dans son livre « cerveau, sexe et amour » :

Les biais de stéréotype : par exemple, les femmes devraient être douces, les hommes conquérants…Une femme qui s’occupe bien de ses enfants ne sera pas remarquée alors qu’un homme qui s’occupe bien de ses enfants sera encensé.

Les biais de surestimation : les experts peuvent avoir tendance à surévaluer leurs compétences en victimologie même s’ils n’ont suivi aucune formation. Il convient donc de vérifier leur cursus.

– Les biais de confirmation : c’est la tendance à ne prendre en compte que les éléments qui soutiennent notre opinion de départ et à minimiser ou nier les autres. Cela fait écho au raisonnement panglossien que l’on voit régulièrement dans les conclusions d’audiences qui se passent mal. Seules les preuves qui soutiennent les idées préconçues de départ sont prises en compte. (Ex : La mère est instable, ment, est sur-protectrice…). Il est ainsi très facile de prendre pour certain une hypothèse de départ non démontrée par des moyens scientifiques. Autre exemple courant : « la mère souffre peut-être d’un syndrome de Münchhausen par procuration ». Ce syndrome est une pathologie extrêmement rare et difficile à diagnostiquer : si un.e magistrat.e pense en avoir vu beaucoup chez les mères qu’il.elle rencontre en audience, c’est qu’il.elle se trompe.

Les biais des coûts irrécupérables : lorsque l’on prend une décision qui finalement ne nous convient pas, on va avoir tendance à continuer dans la même direction pour ne pas perdre le temps ou l’argent qu’on a déjà mis en jeu. Un expert aura rarement la possibilité cognitive de remettre en question son expertise.

Le site de avocats-emergence nous renseigne sur d’autres biais :

l’effet de halo : étendre une impression générale à l’ensemble des caractéristiques évaluées. Par exemple : La personne est belle ou diplômée, alors elle doit être honnête et morale.

le biais d’ancrage : il concerne l’influence excessive des premières informations reçues.

Par exemple si une mère victime ou protectrice arrive épuisée, on aura tendance à retenir cette image première plutôt que d’aller chercher les faits.

l’effet Barnum : très utilisé en pseudo-sciences, par exemple un profil astrologique est assez vague pour que cela convienne autant aux taureaux qu’aux gémeaux. On le retrouve fréquemment chez les experts qui font trop de copier collés, où la formulation des conclusions est assez vague pour être adaptable au plus grand nombre.

D’où l’importance des protocoles standardisés, avec des mesures concrètes et validées par la science actuelle.

Comment contester une expertise ?

1-Le commentaire d’expertise et la contre-expertise : vous pouvez faire relire l’expertise par un expert compétent qui pourra rédiger des conclusions que vous pourrez utiliser devant un magistrat pour prouver le manque de professionnalisme de la première expertise et éventuellement demander une nouvelle expertise, une contre-expertise avec un autre expert plus approprié.

2-L’expertise privée : vous pouvez réaliser une autre expertise chez un psychologue compétent. La comparaison des méthodes de travail et des conclusions pourront éventuellement vous aider à discriminer la première expertise, si le magistrat est enclin à prendre en compte cette nouvelle pièce.

3- Soulever les nullités en cas de non-respect du contradictoire ou de partialité manifeste.

Les expertises psychologiques ont un impact déterminant sur les décisions de justice. Leur fiabilité doit être garantie par des pratiques fondées sur la science, la neutralité et la rigueur méthodologique. Des contrôles accrus et des recours facilités sont indispensables pour éviter les erreurs judiciaires et mieux protéger les victimes.


Sources :

Le livre « cerveau, sexe et amour » de la psychologue Aurore Malet-Karas (pour les biais cognitifs)

https://www.psychologue.net/articles/lexpertise-psychologique-du-psychologue-judiciaire

https://www.cabinetaci.com/expertise-psychologique-role-cle-en-affaires-sexuelles/

https://www.avocats-emergence.fr/lexpertise-psychologique-contredite-enjeux-et-defis-dans-le-systeme-judiciaire-francais/

Les textes de la psychologue Barbara Para dans village-justice :

https://www.village-justice.com/articles/contester-une-expertise-judiciaire-les-erreurs-les-plus-frequentes-reperer,53926.html

https://www.village-justice.com/articles/expertise-psychologique-privee-arme-decisive-contentieux-travail,53781.html


Vous pouvez trouver d’autres ressources utiles sur notre site.

On vous croit !

On vous croit !

Le film On vous croit , de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys montre la difficulté pour une mère de protéger ses enfants en Justice.

On vous croit met en scène Alice qui se retrouve devant un juge. Elle doit défendre ses enfants, dont la garde est remise en cause. Pourra-t-elle les protéger de leur père avant qu’il ne soit trop tard ?

Pour nous, il était crucial de montrer à quel point la longueur, la répétition et la multiplication des procédures judiciaires peuvent amplifier les traumatismes. Dans notre histoire, comme souvent dans la réalité, les enfants qui sont contraints de revivre sans cesse ce qu’ils ont subi, tout en voyant leur parole mise en doute, finissent par se dire qu’on ne les protège pas.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

On vous croit met en lumière les conséquences des violences sexuelles sur les enfants :

  • Conséquences psycho traumatiques
  • Violence envers soi
  • Mauvaise estime de soi
  • Problème de santé physique et mentale…

Et les conséquences sur leurs parents protecteurs (ici la mère, comme dans la majorité des cas de violences intrafamiliales).

Nous voulions rendre compte qu’en plus d’être traumatisées par les agressions sexuelles, de nombreuses victimes le sont aussi par le fait de ne pas être crue ou protégée lors des procédures judiciaires.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

La Justice n’est pas adaptée aux problématiques des victimes :

  • Les enfants et leur mère sont obligés de croiser le père agresseur dans la salle d’attente.
  • Les enfants doivent encore et encore raconter leur histoire devant la juge aux affaires familiales.
  • Et une épée de Damoclès pèse sur ces enfants qui vont peut-être devoir aller chez le père qu’ils dénoncent, si la justice le décide, alors qu’ils vivent dans un état de peur et de stress intense à son contact et qu’ils subissent encore les conséquences psycho traumatiques des violences paternelles antérieurement subies.

On vous croit met aussi en lumière les tactiques et stratégies des agresseurs intrafamiliaux

  • La séduction. Alice raconte avec le sourire le temps où elle était amoureuse et fière de cet homme charmant et plein d’affection. D’ailleurs il est plutôt sympathique, il présente bien.
  • Le père se victimise. Il ne comprend pas pourquoi il en est là. Il ne comprend pas pourquoi ses enfants ne veulent plus le voir. On a presque envie de le croire.
  • Avec l’appui de son conseil, le père isole la victime en essayant de la dénigrer auprès des professionnels. Il la dévalorise : madame est fragile, souvent malade. Il y a même une allusion au syndrome de Munchhausen par procuration, sans citer le nom. Ce syndrome est un jackpot assez efficace avec le syndrome d’aliénation parentale pour décrédibiliser le parent protecteur auprès de la justice.

La mère protectrice est souvent la première à faire face à la violence du système, tout en portant la souffrance de l’enfant.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

On pense que les mères mentent, manipulent. Mais on perd de vue que d’abord, elles doivent recevoir la parole des enfants, révélation qui peut être extrêmement violente. Ensuite, elles doivent l’expliquer, et elles ont tellement envie d’être crues, qu’elles ont un discours fort et engagé qui peut les faire passer pour folles. Et puis on peut devenir folle, à penser qu’on ne nous croit pas. L’agresseur utilise ça en justice.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

Ce qui est frappant dans la scène majeure de ce film, ce sont les qualités humaine et professionnelle de la juge qui mène l’audition des parents et de leurs conseils. On vous croit nous montre une juge très respectueuse des parties, qui n’est jamais dans le jugement, toujours à l’écoute, qui laisse la place pour s’exprimer de manière bienveillante. Cela est suffisamment rare pour être souligné.

On vous croit mériterait d’être visionné dans toutes les écoles de formation des professionnels voués à traiter d’affaires familiales (magistrats, avocats, travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, psys,…).

Ce cas présenté n’est malheureusement pas un cas à part. Ce que vit cette femme et ses enfants, des milliers de familles le vivent encore aujourd’hui. Des milliers d’enfants ne sont pas protégés. 

Que cette juge inspire tous les professionnels de l’enfance qui pourront ainsi (ré)apprendre que le premier pas pour protéger des enfants est de les croire.

On vous croit !


Le film sortira en salle le 19 novembre 2025.

FAMILIA

Familia

Film Familia d’après le livre de Luigi Celeste

Non sarà sempre così

(Il n’en sera pas toujours ainsi)

Familia, c’est l’histoire de deux enfants qui ont vécu leur enfance dans la peur de leur père qui frappait leur mère et les rabaissait.

Familia, c’est l’histoire d’une maman qui a voulu dire stop aux violences, qui a les a dénoncés mais qui a perdu la garde de ses enfants.

Familia, c’est l’histoire d’un papa violent qui voulait tout contrôler et dominer femme et enfants en les insultant et en les rabaissant.

Familia est inspiré de faits réels, basé sur le témoignage écrit de Luigi Celeste, l’un des fils victimes de son père violent.

Récit de la violence, en particulier de la violence psychologique, il montre les blessures les plus profondes qui marquent à jamais une enfance. Par exemple, comment s’instaure une routine du « faire semblant » pour ne pas énerver le père violent…

Le film Familia dénonce également les violences post-séparation auxquelles les victimes peuvent être confrontées et qui sont souvent invisibilisées.

« Le film Familia est aussi un réquisitoire, un appel à l’écoute et à l’action au moindre signe, à chaque demande d’aide ; car les plaintes et les dénonciations finissent souvent sur les étagères de la bureaucratie.

Et l’histoire de la famille Celeste ne fait pas défaut à ce phénomène : une famille abandonnée par les institutions, qui finit par imploser sur elle-même avec les conséquences les plus tragiques. »

Francesco Costabile

Les violences domestiques ne s’arrêtent pas à la séparation. Les victimes vivent souvent dans la peur, leur parole reste minimisée quand elles dénoncent des faits de violences après la séparation.

« Après la sortie du livre puis du film Familia, j’ai été submergé par un nombre incalculable de femmes désespérées qui m’ont contacté via les réseaux sociaux, cherchant de l’aide. Et ce qui m’a le plus choqué, c’est l’incapacité flagrante des institutions à agir, encore aujourd’hui, alors que ce sujet commence enfin à être considéré. La sensibilisation ne suffit pas. Parler ne suffit pas. Nous avons besoin d’actions concrètes. »

Luigi Celeste

Comment pourrait-on protéger les victimes de ces violences post-séparation ?

En cessant de considérer que les violences font partie du passé.

Elles font partie de l’histoire de la famille et souvent inhérentes à son fonctionnement. Elles permettent de comprendre le présent. Chercher à les occulter ne permet pas une réelle protection des victimes.

« Il existe encore une stigmatisation sociale très forte qui empêche tant de personnes de dénoncer les abus dont elles ont été victimes. »

« C’est la raison pour laquelle Licia (une femme qui tente de réagir à la violence qu’elle a subie) finit par retomber dans la même spirale, accablée par la culpabilité, trahie par l’État et les institutions vers lesquelles elle s’est tournée pour obtenir de l’aide. Il existe une violence institutionnelle spécifique qui abandonne ces femmes à leur sort, jusqu’aux conséquences les plus tragiques. »

Francesco Costabile

En permettant aux mères de dire à leurs enfants que le comportement des pères violents n’est pas acceptable. Elles doivent être soutenues dans cette démarche.

Actuellement si un enfant dit que sa maman lui a expliqué que ce n’est pas bien de faire ce que son papa a fait, c’est encore considéré comme du dénigrement par bon nombre de professionnels. Il est primordial de laisser les mères victimes mettre des mots sur ces violences pour réduire le risque de violences transgénérationnelles.

Les enfants ont souvent une image très négative des femmes, à cause de leurs pères (dont la parole est impunie), il faut que les enfants comprennent que leurs mères doivent être respectées.

Licia, la mère de Luigi, se voit retirer la garde de ses enfants après avoir révélé les violences. Ce n’est plus acceptable. Il faut cesser de considérer les mères coupables des violences des pères alors que les mesures de protection sont minimes.

« Le cœur du problème réside dans l’éducation et les valeurs. Nous devons éduquer des hommes meilleurs, des hommes qui apprennent dès leur plus jeune âge à respecter les femmes comme leurs égales, comme la source de la vie, comme ils respecteraient leur propre mère. »

Luigi Celeste

En assurant un vrai suivi psychologique des victimes.

Les violences domestiques ont des répercussions sur l’état psychologique des victimes. Il est donc primordial qu’elles aient un suivi psychologique.

Actuellement les enfants sont contraints de fréquenter leur père agresseur comme si les violences n’avaient jamais existé. Ces rencontres se font généralement dans des espaces de rencontre ou centres médiatisés sans présence constante d’un professionnel. Cela ne permet pas aux enfants d’être protégés et sécurisés, d’autant plus quand leur parole est discréditée. Et cela ravive les traumatismes, sans permettre de cicatriser.

Ils ont donc besoin a minima d’un soutien psychologique par des professionnels formés.

L’Etat finance des espaces de rencontre qui amènent souvent plus de problèmes psychologiques pour les enfants. Cette capacité de financement devrait être attribuée en priorité au financement de suivi psychologique. Ce n’est pas normal que ces frais soient assurés principalement par les mères. Il est urgent de remettre le monde à l’endroit.

« Dans ma propre expérience, les institutions ont ignoré nos innombrables appels à l’aide, y compris quelques jours seulement avant que l’irréparable ne se produise. La plupart du temps, nos supplications ont été balayées d’un revers de main. »

Luigi Celeste

En remettant en question le système de suivi des auteurs de violences, qui reste très hétérogène en France. Certains auteurs en ressortent persuadés qu’ils sont en fait victimes de leurs victimes…

Lorsque les auteurs ont une obligation de soin, les professionnels n’ont pas connaissance de tout le passif et donc peuvent être facilement manipulés sans qu’un vrai travail soit effectué.

Ce suivi ne doit plus permettre de fonctionner comme un permis de repartir à zéro.

« Certains programmes se limitent à une approche plus médicalisée et d’autres peuvent même représenter un espace de socialisation masculine renforçant les stéréotypes de genre. »

1er rapport d’évaluation du GREVIO – 2025

Laissons une chance à ces enfants d’aller mieux en arrêtant de croire que pour bien grandir, ils ont besoin de voir leur père violent.

Laissons les professionnels mettre des mots sur les violences que les enfant ont subies, et poser clairement des interdits sur les violences.

Les contraindre, c’est normaliser les violences.

Les contraindre, c’est culpabiliser les enfants qui finissent par penser qu’ils sont méchants s’ils ne laissent pas une énième chance à leur père (alors que les violences perdurent).

Les contraindre, c’est les forcer à s’adapter à la situation au lieu de les en protéger.

Et si un enfant insiste pour voir son père violent, voire le défend, il faut en discuter avec lui pour qu’il ne grandisse pas en normalisant les violences. Il doit aussi être protégé.

Connaissez-vous l’anonymat dissociatif ? Pourquoi on ose tout dire (ou presque) sur Internet ?

Connaissez-vous l’anonymat dissociatif ?

L’anonymat dissociatif est une notion développée par le psychologue John Suler (2004) dans son article fondateur The Online Disinhibition Effect.

En clair, c’est un des mécanismes qui expliquent pourquoi certaines personnes se permettent, en ligne, des comportements qu’elles n’auraient pas dans la “vraie vie” : insultes, harcèlement, confidences très intimes, propos violents ou au contraire très vulnérables.

Derrière un pseudo ou un avatar, on ne se perçoit plus comme une personne entière.

On devient une voix détachée, sans nom, sans visage. Et cela change notre rapport aux autres… et à nous-mêmes.

Les six facteurs de désinhibition de Suler :

  1. Anonymat dissociatif
  2. Invisibilité (on ne se voit pas)
  3. Asynchronie (on répond plus tard)
  4. Introjection solipsiste (on se fait une image mentale de l’autre)
  5. Imagination dissociative (Internet comme un jeu)
  6. Minimisation de l’autorité sociale (pas de profs, pas de parents, pas de police visibles)

D’autres effets aggravants existent : désengagement moral (on se sent moins responsable), effet de groupe (dilution de la responsabilité), normalisation de la violence, surenchère, contagion émotionnelle (la haine circule vite…)

Concrètement :

  • On peut s’autoriser à dire des choses qu’on n’oserait pas exprimer en face.
  • L’absence de lien direct avec sa véritable identité civile fait croire que les actes ou paroles en ligne ne “rejailliront pas” sur la vraie vie.
  • Cela peut mener à deux formes de désinhibition :
    • désinhibition toxique : insultes, propos haineux, comportements violents.
    • désinhibition bénigne : confidences personnelles, auto-révélations, entraide plus libre.

Effet psychologique

Quand on croit que nos paroles n’ont pas de conséquences dans la vraie vie, on se permet des comportements inhabituels.

L’anonymat est un des ingrédients à ce comportement, mais il n’est pas seul

S’ajoutent :

– l’invisibilité (on ne se voit pas en face).

– l’asynchronie (on peut répondre plus tard, sans pression).

– l’imagination (on projette ce qu’on veut sur l’autre).

– la minimisation des règles sociales (on se croit hors cadre).

Résultat : insultes massives, fake news, cyberharcèlement…

Des chercheurs parlent d’ensauvagement du web (The Conversation, 2018).

Un espace où la civilité recule et où la brutalité gagne du terrain.

Mais attention : “ensauvagement” ne signifie pas que tout est mauvais. La désinhibition peut aussi être un moteur de solidarité et de libération.

Internet permet à des victimes ou à des personnes isolées de parler, souvent pour la première fois.

L’anonymat peut protéger des stigmates et ouvrir un espace d’expression salutaire. Un ado qui n’oserait pas parler à ses parents peut demander de l’aide et recevoir parfois des réponses salvatrices.

L’anonymat devient alors un outil de survie.

À l’inverse, et c’est hélas bien plus fréquent, un internaute peut insulter ou menacer sans scrupule, en toute impunité souvent.

Persuadé que son pseudo le protège, il se croit hors de portée de toute conséquence.

L’anonymat devient alors un bouclier pour la violence.

Comme dans les violences intrafamiliales, l’agresseur profite du secret, du silence, du manque de réactivité de la Justice voire de l’absence de témoins.

En ligne, l’anonymat dissociatif masque, protège, encourage la répétition des violences.

En 2023, Lindsay, une jeune adolescente de 13 ans, s’est suicidée après des mois de harcèlement en ligne. Ce geste tragique aurait pu être la fin de son calvaire.

Hélas, même après sa mort, les attaques ont continué. De nombreux internautes ont craché leur venin, commentant son geste de manière malaisante et déplacée.

De la violence supplémentaire rendue possible par la dissociation et l’absence d’empathie.

Ce cas illustre un phénomène bien connu par les victimes : les violences vécues dans la sphère privée (moqueries, isolement, brimades) ne s’arrêtent pas avec Internet. Elles s’y prolongent, s’y amplifient, et deviennent insoutenables.

Protéger les enfants et les victimes de violences, c’est aussi repenser nos usages numériques.

Comment préserver l’espace d’expression des victime tout en reconnaissant et régulant les agressions, les harcèlements et les discours haineux ?

Comment garder l’équilibre entre la dangerosité de l’anonymat dissociatif dans le cyberharcèlement (et son lien avec les violences intrafamiliales), tout en rappelant qu’il reste une porte de sortie précieuse pour les victimes ?

  • Quelques pistes :
  • En renforçant la modération et la responsabilité des plateformes.
  • En éduquant les jeunes (et les adultes) à un usage respectueux du numérique.
  • En offrant des espaces d’anonymat protégés pour les victimes, encadrés par des professionnels.
  • En soutenant les parents protecteurs et les associations qui agissent sur ces terrains.

L’anonymat dissociatif ne doit pas être un permis de nuire, mais un outil de protection.


Vous pouvez lire également notre article sur le grooming qui aborde les problématiques de cybercriminalité.

Connaissez-vous le Grooming ?

Connaissez-vous le Grooming ?

Nom masculin, d’origine anglaise

Le grooming désigne une stratégie de manipulation utilisée par des agresseurs pour gagner la confiance d’un enfant (ou parfois d’un adulte vulnérable) en vue de l’exploiter, notamment sexuellement.

Grooming : ce que la loi française refuse encore de nommer

Dans les affaires de violences sexuelles intrafamiliales, la France continue de peiner à appréhender certaines formes d’agression pourtant bien connues des cliniciens, des victimes… et des agresseurs. L’un des angles morts les plus criants reste la notion de grooming.

Ce mot n’a toujours aucun équivalent juridique en droit français alors qu’il est pourtant central dans les législations anglo-saxonnes.

Une absence aux conséquences lourdes.

Le grooming, qu’est-ce que c’est ?

Dans les pays anglo-saxons, le grooming est défini comme un processus intentionnel de manipulation mentale, affective et parfois logistique, mis en place par un agresseur pour obtenir la soumission ou le silence de sa victime, souvent un mineur.

Il précède généralement les actes d’agression sexuelle et en constitue le terreau psychologique. Le mot signifie littéralement “faire la toilette”, “soigner l’apparence”. Un euphémisme cruel qui rappelle la manière feutrée et insidieuse dont ces agressions s’introduisent dans la vie des victimes.

Au Royaume-Uni, la loi sur les infractions sexuelles définit clairement le grooming comme une infraction distincte, passible de jusqu’à 10 ans de prison, dès lors qu’un adulte engage un échange intentionnel avec un mineur en vue d’un acte sexuel.

Aux États-Unis, de nombreux États criminalisent explicitement le child grooming, y compris dans ses formes numériques (cyber-grooming), et les forces de l’ordre sont formées à repérer ces pratiques.

En France, rien de tel. Le code pénal continue d’aborder les violences sexuelles presque exclusivement sous l’angle de la violence physique, de la contrainte, de la menace ou de la surprise.

Le grooming se déroule souvent en plusieurs étapes :

  1. Création d’un lien de confiance : l’agresseur se montre bienveillant, offre une attention particulière, se positionne comme une figure de soutien ou d’amitié.
  2. Isolement : Il tente d’éloigner la victime de ses proches, de la rendre dépendante émotionnellement.
  3. Introduction de la sexualisation : Par des discussions, des images, des sous-entendus, l’agresseur banalise des comportements inappropriés.
  4. Contrôle et silence : Il utilise la culpabilisation, la peur ou le chantage pour maintenir la victime sous emprise et l’empêcher de parler.

Le souci est que tout ce “travail préparatoire”, cette installation d’un climat de domination psychique, d’isolement ou de confusion, ne sont pas reconnus comme une méthode d’agression à part entière.

Cette lacune a des effets très concrets sur les affaires judiciaires. Lorsqu’il y a violence physique manifeste, la question du consentement ne se pose pas : les faits parlent d’eux-mêmes. Mais dans les cas où l’agression s’inscrit dans un processus lent et dissimulé, que ce soit dans une famille, une école, un club sportif ou un cadre religieux, la justice française interroge la victime plutôt que l’agresseur. A-t-elle dit non ? Pourquoi n’est-elle pas partie ? A-t-elle envoyé des messages ambigus ?

Exemples concrets :

  • Un adulte qui discute avec un enfant sur un jeu en ligne et l’amène progressivement à partager des photos inappropriées.
  • Un proche de la famille qui devient “l’ami” privilégié d’un enfant en lui offrant des cadeaux et en cultivant une relation exclusive avant d’introduire des comportements abusifs.
  • Un enseignant, coach, ou toute autre figure d’autorité qui utilise sa position pour manipuler un enfant et obtenir des faveurs sexuelles sous couvert d’affection.

Pourquoi le Grooming est un problème majeur ?

Le grooming est particulièrement pernicieux car la victime peut ne pas réaliser qu’elle est manipulée et croire qu’il s’agit d’une relation normale. Cela rend la dénonciation et la prise de conscience encore plus difficiles. Le cyber-grooming est aussi une menace croissante. Les prédateurs contactent des enfants via les réseaux sociaux, les jeux en ligne, etc, et se font passer pour des amis.

L’agresseur peut s’en prendre à plusieurs enfants en même temps mais selon des modalités ou des moments différents. Parfois, ces derniers ignorent que leurs frères ou sœurs sont aussi victimes.

Ce qu’apporterait une reconnaissance du grooming

Inscrire le grooming dans la loi, c’est reconnaître l’existence de stratégies prédatrices spécifiques, qui exploitent la confiance, la dépendance, l’admiration, la peur ou la solitude des enfants. C’est aussi former les magistrats, les avocats, les enquêteurs, les cliniciens à repérer ces schémas.

Cela permettrait de poser d’autres types de questions lors des procédures judiciaires. Au lieu de scruter la victime, on pourrait viser l’agresseur et ses actes : Pourquoi avez-vous demandé le silence sur vos échanges ? Comment avez-vous gagné sa confiance et organisé son isolement ? Pourquoi tous ces cadeaux ?

En refusant de nommer le grooming, la loi française refuse de voir ce que les victimes, les cliniciens et même les agresseurs savent depuis longtemps : la violence sexuelle ne commence pas au moment de l’acte. Elle prend racine bien avant, par des gestes d’approche, des phrases banales, des attitudes faussement bienveillantes. Elle commence là où l’intention prédatrice se dissimule sous un masque d’innocence.

C’est cette dissimulation qui doit être mise en lumière, non seulement dans les textes, mais aussi dans les pratiques judiciaires, les formations professionnelles, l’écoute clinique.

Reconnaître le grooming, c’est se doter d’outils pour mieux protéger les enfants, mieux juger les crimes, mieux réparer les victimes.

Doit-on utiliser le mot Pédophile ou Pédocriminel ?

Doit-on utiliser le mot Pédophile ou Pédocriminel ?

Les médias et la société parlent de pédophile.

La justice parle de pédocriminel.

Et ce n’est pas la même chose.

Confondre les deux termes brouille la compréhension… et peut freiner la protection des enfants.

Le mot pédophile désigne une attraction sexuelle pour les enfants prépubères.

(Définition psychiatrique, OMS)

Le mot pédocriminel désigne une personne qui commet un crime ou un délit sexuel sur un mineur.

(Définition juridique)

Pédophilie

La pédophilie est avant tout une notion psychiatrique. Elle désigne une attirance sexuelle persistante et préférentielle, parfois exclusive, pour les enfants qui n’ont pas encore atteint la puberté. Cette attirance, décrite par l’OMS dans la classification des troubles mentaux, n’implique pas nécessairement un passage à l’acte.

Certaines (rares) personnes concernées en sont conscientes et cherchent de l’aide. Elles consultent et mettent en place des stratégies pour ne jamais mettre un enfant en danger.

Mais il existe hélas aussi des personnes pédophiles qui peuvent devenir des pédocriminels. Soit en consommant des images pédopornographiques, soit en agressant des enfants.

À l’inverse, un adulte peut abuser sexuellement d’un enfant sans être pédophile. Les violences sont motivées par la domination, le contrôle, dans le cadre de violences intrafamiliales, sans qu’il y ait d’attirance spécifique pour les enfants.

En d’autres termes, la pédophilie décrit une attirance, mais pas un acte. Et c’est justement ce qui la distingue de la pédocriminalité.

Pédocriminalité

La pédocriminalité appartient au domaine du droit. C’est la justice qui emploie ce terme pour désigner l’ensemble des crimes et délits commis à l’encontre de mineurs : viols, agressions sexuelles, corruption ou incitation, mais aussi la production, la diffusion ou la possession de pédopornographie, ou encore l’exploitation sexuelle organisée.

Contrairement à la pédophilie, la pédocriminalité ne renvoie pas à une attirance mais à des actes concrets, répréhensibles et punis par la loi.

Tous les pédocriminels ne sont pas pédophiles.

L’inceste en est un exemple frappant : de nombreux auteurs ne présentent pas d’attirance pédophile au sens psychiatrique, mais utilisent la sexualité comme un instrument de pouvoir et de contrôle.

Parler de pédocriminel permet de replacer le débat sur la responsabilité des auteurs.

Dans les médias, le mot pédophile est encore trop souvent utilisé comme synonyme d’agresseur d’enfant.

Exemple : “Un pédophile arrêté après avoir agressé sa belle-fille”.

Cette formule laisse entendre que l’agresseur aurait une attirance spécifique pour les enfants. Or, bien souvent, ce n’est pas le cas.

Dans de nombreux dossiers, l’auteur n’a jamais manifesté d’intérêt sexuel particulier pour les enfants. L’agression est commise dans un contexte de violence intrafamiliale, d’emprise, ou simplement parce que l’enfant était vulnérable et à portée de main.

L’inceste illustre parfaitement cette dynamique. Ce n’est pas l’existence d’une orientation pédophile qui explique l’abus, mais la logique de domination et de contrôle à l’intérieur de la famille.

Les recherches scientifiques confirment que la réalité est bien plus complexe que l’image véhiculée par les médias.

Entre 25 % et 50 % seulement des personnes condamnées pour abus sexuels sur mineurs présentent un profil de pédophilie au sens clinique (Seto, 2008 * ; Lussier, 2011). Autrement dit, plus de la moitié des auteurs ne sont pas pédophiles : ils ont commis un crime pour d’autres raisons.

On observe aussi des différences selon les contextes. Les auteurs intrafamiliaux, par exemple, présentent beaucoup moins de caractéristiques pédophiles que les auteurs extrafamiliaux. À l’inverse, le taux de pédophilie est plus élevé chez les agresseurs extrafamiliaux, notamment ceux qui ciblent des garçons.

Pourquoi la confusion entre pédophile et pédocriminel est dangereuse pour les victimes ?

La confusion entre pédophile et pédocriminel ne nuit pas seulement à la prévention, elle a aussi un impact direct sur les victimes.

Lorsqu’on réduit un abus sexuel à une “maladie” ou à une “orientation”, on tend à minimiser la responsabilité de l’agresseur. L’acte est alors présenté comme le symptôme d’un trouble, presque inévitable, plutôt que comme un choix criminel.

Pour les victimes, ce discours est destructeur. Il peut faire douter de la gravité de ce qu’elles ont subi, ou donner l’impression que leur agresseur n’est pas pleinement responsable.

En parlant de “pédophile” à tort et à travers, comme de “monstres isolés”, on renforce l’idée que le danger viendrait uniquement de l’extérieur, de prédateurs tapis dans l’ombre.

La réalité est toute autre.

Les chiffres le montrent : 8 victimes sur 10 de violences sexuelles subies durant l’enfance et l’adolescence concernent des faits d’inceste. (Actes de colloque – Regards croisés sur la conduite de recherches sur la maltraitance intrafamiliale envers les enfants et les adolescents – 2023)

Beaucoup de victimes n’osent pas parler parce que leur agresseur ne correspond pas à cette image du “monstre” : c’est leur père, leur beau-père, leur oncle, parfois même leur grand frère.

Résultat : leur témoignage est perçu comme moins crédible, et leur souffrance reste trop souvent dans l’ombre.

Enfin, croire que seules des personnes identifiées comme des pédophiles menacent les enfants détourne la vigilance sur la mécanique réelle des violences intrafamiliales, qui représentent la majorité des situations.

En réduisant les violences sexuelles sur mineurs à un “problème psychiatrique”, on oublie que la plupart des auteurs agissent sans être pédophiles. Ils exploitent une position d’autorité, un climat de silence, ou profitent d’une opportunité.

Tant que l’on confondra pédophilie et pédocriminalité, pédophile et pédocriminel, on passera à côté de ces mécanismes, et on privera les enfants d’une protection efficace.

Ce qu’il faut dire alors ? Pédophile ou Pédocriminel ?

Quand un adulte agresse un enfant, ce n’est pas “un pédophile”.

C’est un pédocriminel.

Et il faut le condamner.


Vous trouverez d’autres ressources utiles dans notre article Repérer, prévenir et agir contre les violences sexuelles faites aux enfants.


* Seto, M. C. (2008). Pedophilia and Sexual Offending Against Children: Theory, Assessment, and Intervention. Washington, DC: American Psychological Association.

(Dans cet ouvrage, Seto montre que seule une partie des auteurs d’infractions sexuelles contre des enfants répond aux critères cliniques de pédophilie.)

Le petit chaperon rouge, une histoire d’inceste ?

Le petit chaperon rouge, une histoire d’inceste ?

On connaît tous l’histoire du Petit Chaperon rouge. Le loup, la forêt dangereuse, la grand-mère, la fillette naïve, la morale de Charles Perrault qui met en garde les jeunes filles contre les inconnus…

Et si, depuis des siècles, nous étions passés complètement à côté de l’essentiel ? Et s’il s’agissait là d’un faux-semblant ?

C’est la thèse passionnante que défend Lucile Novat dans son essai De grandes dents, enquête sur un petit malentendu (Éditions La Découverte, 2024), présentée dans une émission de France Culture.

Un ouvrage qui relit ce conte fondateur et en bouleverse la signification.

La réécriture du danger : de l’extérieur à l’intérieur

On voit habituellement ce conte comme une mise en garde contre les dangers de la forêt, de l’étranger. Pour Lucile Novat, c’est en réalité tout l’inverse. Le danger n’est pas un inconnu qui rôde dehors, un monsieur qui offre des bonbons, c’est un proche, inscrit au cœur de la maison familiale, voire au lit. Selon elle, le loup serait une métaphore d’un père incestueux, dont l’acte violent est camouflé derrière la fable du prédateur sauvage.

Elle illustre ce pivot à partir de l’image mythologique : tout comme dans le mythe de Cronos, la figure parentale abusive se mue en créature monstrueuse. Le conte devient alors une métaphore contemporaine des violences intrafamiliales que l’on connait bien.

Le loup agresse à l’intérieur

Un détail qui n’en est pas un : pourquoi le loup ne dévore-t-il pas le Petit Chaperon rouge lorsqu’il la rencontre dans la forêt ? Il en aurait pourtant la possibilité. Mais non : il attend que la fillette soit entrée dans la maison, dans l’espace intime et clos, là où personne ne peut voir, ni entendre. C’est une stratégie typique des agresseurs : agir à l’abri des regards, dans le secret du foyer.

Autre similitude, le loup ne reste pas un loup, prédateur évident. Il ne surgit pas pour mordre, il opte pour une autre stratégie. Il se déguise en grand-mère, figure d’autorité et de confiance pour maquiller sa violence derrière un masque respectable, il travestit son apparence pour mieux tromper.

Ce basculement de la menace visible à la menace dissimulée et enjôleuse rappelle des mécanismes bien connus des violences sexuelles intrafamiliales :

  • L’agresseur se fait passer pour protecteur. Il abuse de la confiance naturelle que l’enfant accorde.
  • Il travaille son emprise, cherchant à convaincre de sa bienveillance, pour mieux abuser.
  • C’est un opportunistes qui vise l’impunité.

Le conte met en scène explicitement, la logique perverse de l’inceste : le danger ne vient pas de l’extérieur, de l’inconnu, de l’étranger, mais de l’intérieur, de la famille, du domestique.

Il porte le masque de la tendresse pour mieux violenter ses victimes.

D’autres indices plus psy semés dans le texte

  • La “folie” des femmes, dès les premières lignes : Perrault insiste sur une affection excessive, obsessionnelle, jusqu’à la “folie”, pour le personnage de l’enfant. Un amour puissant que Novat suggère comme un possible symptôme de dérive émotionnelle et sexuelle.
  • La chevillette et la bobinette : ce mécanisme complexe de fermeture symbolise une forteresse censée protéger, mais aussi une mise en scène artificielle du danger extérieur (un leurre pour masquer ce qui est véritablement menaçant à l’intérieur).
  • Trouble entre les genres et les rôles : la fillette est évoquée au masculin (“le petit chaperon rouge”), tandis que la grand-mère-loup est décrite avec des attributs masculins (corps velu, poils impressionnants).

Relu ainsi, Le Petit Chaperon rouge devient le récit d’un danger intime et indicible : l’inceste, que la littérature populaire a masqué derrière la figure commode du loup.

Là où la société continue de maintenir l’illusion d’une violence qui viendrait surtout de l’extérieur, l’enseignante Lucile Novat cherche à faire émerger une réalité plus glaçante.

Elle raconte que quand elle introduit Le Petit Chaperon rouge dans sa classe de sixième, le conte libère la parole des élèves et ouvre une occasion de sensibilisation, de prise de conscience. Il permet également aux adultes accompagnants de trouver des médiations justes et sensibles avec les enfants.

Le conte devient une boîte à outils pour penser l’indicible.

En France, l’inceste reste largement tabou : selon la Ciivise, 1 enfant sur 10 est victime de ces violences. Notre imaginaire collectif masque ce drame et le conte du Petit Chaperon rouge contribue, malgré lui, à occulter cette réalité.

Changer de regard sur ces lectures, c’est faire bouger un discours figé, retrouver tous les jours un peu plus une parole tétanisée par le secret. C’est aussi redonner aux parents, aux enseignants, aux institutions, des outils symboliques et analytiques pour accompagner les enfants victimes, sans retomber dans la censure du réel.

Luttons contre ces faux loups.

La maison, le territoire où les violences se commettent sans témoins, doit redevenir un lieu de paix et sécure.

Témoignage de Corinne, mère de 5 enfants, victime de violences conjugales, parentales et institutionnelles

Témoignage de Corinne, mère de 5 enfants, victime de violences conjugales, parentales et institutionnelles

Corinne pensait avoir une vie de famille “normale”.

Et puis un jour, elle a réalisé.

30 ans sous emprise.

Une séparation.

Des plaintes ignorées.

Des enfants enlevés.

Voici le témoignage d’une mère protectrice, effacée par la justice, rattrapée par la violence.

Un récit qui montre à quel point le système, encore aujourd’hui, ne protège pas les enfants.

Et continue de punir celles qui essaient de le faire.

Corinne avait une vingtaine d’années quand elle a rencontré celui qui allait devenir son mari.

Ayant grandie dans un environnement très religieux, presque sectaire, elle a été élevée dans l’idée que l’épouse doit obéissance, que les souffrances sont offertes à Dieu et que le pardon est la plus haute vertu. Elle a porté sa croix, exactement comme on le lui avait appris.

Très tôt, le mari qu’on lui a choisi prend le contrôle. Il décide de tout : l’argent, les fréquentations, le rythme de vie. Il surveille, critique, impose. Les humiliations et les violences physiques sont quotidiennes, sous les yeux des enfants. Comme beaucoup de femmes, Corinne croit que c’est sa faute, qu’elle doit être plus calme, moins « provoquer ». Elle subit pendant des années.

Ensemble, ils ont cinq enfants. Corinne s’efforce d’être une mère attentive, douce, présente. Les enfants sont sa force… mais aussi sa faille. Chaque fois qu’elle évoque l’idée de partir, il la menace de les lui enlever. Il sait qu’elle le croit capable de tout. Il a déjà commencé à distiller l’idée qu’elle est instable, trop émotive, déconnectée de la réalité. Il s’en servira plus tard devant les juges.

Quand elle finit enfin par quitter le domicile conjugal, Corinne pense qu’elle va pouvoir protéger ses enfants.

Mais le cauchemar prend une autre forme, plus institutionnelle et froide : celle des procédures, des jugements, des rapports, des classements sans suite.

Le père se présente en victime, et la présente en mère déséquilibrée.

Le système tranche : il faut « préserver le lien« .

Même au prix de la sécurité.

Elle porte plainte pour violences, menaces, harcèlement, enlèvement d’enfant. Après sept ans de parcours juridique, les plaintes sont classées sans suite, y compris celle, liée à 30 jours d’ITT ordonnés par un médecin légiste. Sept ans d’attente, de relances, d’espoir. Pour rien. Son premier avocat lui avait déconseillé de parler des violences pour « préserver les chances d’une garde partagée« . Corinne, encore sous emprise, pense alors que protéger ses enfants, c’est éviter les conflits. Elle ne sait pas, à ce moment-là, nommer les choses. Et ce silence a biaisé tout le reste.

Une expertise judiciaire est ordonnée.

La psychologue ne voit ni le traumatisme, ni l’emprise.

Elle évoque plutôt une mère confuse, instable, fatiguée.

Cette “experte” ignore les témoignages des enfants, des amis, les certificats médicaux, les écrits de professionnels. La parole de Corinne est toujours suspectée, celle du père crédible.

Pourtant, les enfants parlent. Ils racontent les cris, les coups, les menaces. Ils expliquent pourquoi ils ne veulent pas vivre chez leur père. Ils parlent des scènes de violence. Mais les éducateurs concluent que « des souvenirs ont été induits« , que Corinne aurait manipulé ses enfants. Une manière de renverser la charge. Une stratégie connue qui malheureusement fonctionne toujours.

Pendant ce temps, l’ex-mari exerce une violence économique. Il retire Corinne de sa mutuelle mais garde les enfants.

Elle paie les soins, il touche les remboursements.

Il refuse de participer aux frais de cantine ou d’activités, prétextant que rien n’est validé d’un commun accord. Elle s’endette. Elle passe par la commission de surendettement. Lui continue à jouer le rôle du père stable.

Même l’avocat médiatique de Corinne s’y met : il encaisse un chèque qu’il avait promis d’encaisser plus tard. Elle se retrouve fichée bancaire. Cet avocat ne se déplace pas aux audiences… mais la fait payer. Un harcèlement institutionnel de plus.

Dans sa propre famille, qui ne supporte pas son éloignement religieux, elle ne trouve pas d’appui. Son père, pédiatre respecté, prend parti pour son ex-mari. Sa mère dit préférer voir ses petits-enfants placés plutôt qu’avec Corinne. L’isolement devient total.

Même entourée, elle est seule. Et le sentiment d’injustice s’accumule.

Elle tente pourtant de faire valoir ses droits, d’être entendue. Elle change d’avocat, rejoint des associations, rencontre des professionnels compétents, mais toujours trop tard. Le mal est fait. Le dossier est jugé à travers un prisme biaisé. La parole maternelle, comme celle de tant d’autres, est reléguée au rang de stratégie.

Pendant le confinement, son ex-mari finit par obtenir la garde de deux de leurs enfants. Corinne, en précarité, n’a pas pu s’y opposer. Elle voit ses enfants s’éloigner, happés par la version de leur père, construite patiemment depuis des années. Elle tente de garder le lien, mais le poids du mensonge est lourd.

Et les enfants, pour survivre, finissent parfois par croire leur père, bien plus fort.

Corinne participe à une exposition photographique sur les parents aliénés. Quand il découvre le projet, le père fait pression pour faire retirer le témoignage. Bien qu’il ne soit pas nommé, il comprend que c’est elle. Et il exige le silence. Encore.

Comme si dire la vérité dérangeait plus que la vérité elle-même…

Aujourd’hui, Corinne continue de se battre. Elle forme des travailleurs sociaux aux réalités du contrôle coercitif. Elle milite pour une meilleure reconnaissance de l’emprise. Elle intervient parfois dans des conférences. Elle écrit.

Elle envisage un livre, tiraillée entre la nécessité de témoigner et le souci de protéger ses enfants.

Elle ne sait pas encore si la justice réparera un jour ce qui a été cassé. Mais elle sait que se taire serait une double peine. Alors elle parle. Pour elle. Pour ses enfants. Pour toutes les femmes qui vivent encore dans l’ombre de ce que la société appelle, à tort, un conflit parental.

Ce que Corinne aimerait qu’on comprenne, c’est que les violences ne s’arrêtent pas à la séparation.

Souvent, elles ne font que commencer.

Témoignage : Les violences intrafamiliales vues par Jack, enfant victime

Les violences intrafamiliales vues par Jack, enfant victime

Jack a 23 ans. Il parle doucement, en hésitant sur chaque mot.

Il ne veut pas déranger avec son histoire et en même temps, il a un besoin urgent de prendre la parole, de témoigner. Il n’en peut plus du silence.

Son père est un homme autoritaire, qui se complaît dans une position de dominant et ne tolère ni opposition ni discussion.

Il décide. Les autres obéissent. Comme son fils est un “homme”, son père veut le préparer à être le chef de sa famille, celui qui contrôle, qui impose, qui dicte. Mais Jack est sensible.

Et cette sensibilité, son père la broie : un homme ne doit pas pleurer.

Pour que la leçon rentre, les brimades et les coups pleuvent au quotidien.

Son père frappe surtout quand ils sont seuls, à l’abri des regards.

Dans la maison, la terreur est quotidienne et n’épargne personne.

La chambre de Jack n’est pas un refuge : même réfugié sous le lit, il reçoit des coups.

Son père utilise tout ce qui lui tombe sous la main. L’enfant vit dans une vigilance extrême, il observe pour tenter d’échapper à la fureur paternelle. Il apprend à cacher les objets utilisés contre lui pour se protéger.

Protester ne sert à rien.

Résister aggrave les choses.

Le message est clair : “Où que tu ailles, je te retrouverai et je te punirai”.

Jack se souvient des menaces de mutilation physique proférées par son père, comme si son corps n’avait jamais été à lui.

Par exemple, quand il était petit, le père menaçait son fils de lui couper le sexe s’il faisait une bêtise. Jack pensait que c’était une punition en l’air, que c’était impossible qu’un adulte fasse cela. Alors un jour, son père est passé à l’acte symboliquement. Jack avait dû faire un truc qui l’avait mis en rage. Il a alors traîné son fils aux toilettes, lui a ordonné de baisser son pantalon, a sorti une paire de ciseaux. Jack se souvient encore de sa panique totale. Il a hurlé, pleuré, supplié. Son père a fini par s’arrêter… et en a profité pour renforcer la menace. Il a dicté une règle que Jack a dû réciter par cœur : “La prochaine fois, la sanction sera pire, tu dormiras dans les toilettes, puis le jardin, le garage et enfin la rue”. Jack est encore capable de réciter la liste des lieux où il finirait en cas de nouvelle bêtise.

Les violences physiques se combinent quotidiennement à un climat de terreur permanente. Jack peine parfois à se remémorer certains souvenirs, certains sont flous. Mais il n’a aucun doute sur le fait qu’il a vécu un enfermement psychologique délétère.

Parce qu’il se souvient d’être allé jusqu’à vouloir fuguer enfant, sans trop savoir où aller.

Il se souvient de s’être enfermé dans sa chambre, sans que ça n’arrête la fureur de son père. Il se souvient d’avoir été triste, apeuré d’avoir pleuré, et d’avoir été puni pour ça.

Il a retrouvé un carnet rédigé à 12 ans, dans lequel on lit les mots d’un enfant sous pression. Il a contacté une ancienne professeure d’école primaire : elle aussi se rappelle de son anxiété constante. Elle est prête à témoigner.

Des flashs, des bribes remontent et lui serrent le bide… Mais ce sont ces grands trous noirs, ces absences de mémoire qui l’inquiètent vraiment. Les aléas de l’amnésie traumatique sont connus et difficiles à appréhender. Le pire est douloureux à atteindre.

Pendant longtemps, Jack a pensé que ce qui se passait chez lui était la norme.

Ce n’est que plus tard, vers l’adolescence, qu’il a réalisé que d’autres enfances étaient possibles, plus douces et aimantes.

Il comprend aussi qu’il n’est pas le seul enfant à vivre de la violence intrafamiliale, que c’est hélas bien trop fréquent.

Une chose est sûre : il ne se taira plus.

Il redresse alors la tête autant qu’il le peut. Et c’est progressivement ce qui le sauve.

Il souhaite témoigner aujourd’hui, parce qu’il pense que ce qui a pansé un peu ses plaies, c’est d’avoir rencontré des gens qui lui ont montré ce qu’est l’amour, la vie heureuse.

Le respect. Le soin. La sécurité. Pour la première fois, Jack s’est senti aimé pour qui il était. Et enfin capable d’aimer en retour.

Jack avance, il s’est mis à l’athlétisme (jusqu’à être qualifié au marathon pour tous des Jeux Olympiques). Il consulte. Il écrit.

A 23 ans, il souhaite transmettre un message d’espoir pour ceux qui doutent, qui souffrent, ceux qui n’ont pas encore parlé, alors qu’ils ont un besoin d’extérioriser ce qui leur arrive.

Qu’ils sachent que c’est possible de survivre. Et même de vivre.

D’aimer, d’être aimé, d’avoir un avenir.

Jack a besoin de dire que sa vie et celles des autres enfants victimes de violence intrafamiliales ne se résument pas à leur enfance. Il insiste pour témoigner que des histoires de transformation, de résilience existent. On peut apprendre à s’aimer.

Il souhaite aussi rappeler des vérités simples mais cruciales :

📢 L’enfant doit toujours être cru, protégé, soutenu.

📢 Les violences intrafamiliales sont massives, systémiques, et trop souvent ignorées.

📢 Le silence protège les agresseurs, jamais les enfants.

📢 Témoigner, c’est déjà résister.

Cela permet d’ouvrir une porte pour les autres.


Vous pouvez retrouver d’autres témoignages sur le site.