La différence cruciale entre lien et contact face à un parent agresseur

La différence cruciale entre lien et contact face à un parent agresseur

Maintenir le lien ou le contact entre un enfant et son parent dangereux ?

Ces deux mots ont l’air voisin mais dans le cadre de violences intrafamiliales, ils ne signifient pas la même chose et ne portent pas aux mêmes conséquences…

  • Le lien fait référence à la connexion biologique, légale ou émotionnelle réciproque qui existe entre un enfant et ses parents ou autres membres de la famille. Ce lien est souvent perçu comme inaliénable et fondamental pour le développement de l’identité de l’enfant. Il est associé à des notions de patrimoine, d’héritage culturel et familial, et d’une continuité à travers les générations.
  • Le contact, en revanche, se réfère à l’interaction physique ou communicationnelle entre un enfant et un membre de sa famille. Il est possible de réglementer, limiter ou superviser ces interactions en fonction de ce qui est considéré comme étant dans le meilleur intérêt de l’enfant.

La distinction entre « lien » et « contact » est fondamentale lorsqu’on aborde la question de la nécessité ou non de maintenir des relations familiales en présence de violences intrafamiliales, entre des enfants victimes et des parents potentiellement dangereux. Cette différence prend une importance cruciale dans le contexte judiciaire et social, où les acteurs de la protection de l’enfance ne sont pas toujours assez formés sur ces notions.

La chercheuse canadienne Suzanne Zaccour explique :

« Les juges et les expert·es vont souvent considérer qu’il faut maintenir le lien père-enfant à tout prix, même en cas de violence familiale. Pourtant, le mythe selon lequel un enfant a absolument besoin de contacts avec ses deux parents, même en cas de violence, a été démenti par les sciences sociales, qui montrent plutôt que l’enfant a besoin d’une relation solide et sécuritaire avec la principale figure parentale.« 

Derrière le choix de maintenir un lien ou stopper le contact, se cache les gros pavés de l’autorité parentale et des droits de visite.

La société a tendance à penser que dès qu’il y a la filiation, il faut qu’il y ait absolument l’autorité parentale + le lien + la rencontre (le contact).

L’argument pour préserver le lien entre l’enfant et l’agresseur repose sur la fausse croyance que chaque parent a un rôle essentiel à jouer dans la vie de l’enfant, indépendamment de son comportement. Cette vision passéiste masque l’impact des violences subies par l’enfant, voire les renforce. Les professionnels devraient savoir que perpétuer un contact parent agresseur/enfant est très nocif, très traumatisant pour les victimes.

On le sait, on le voit, les espaces rencontres ne transforment pas un parent violent en bon parent. De même, le maintien d’un droit de visite est pour l’agresseur la preuve que finalement ce qu’il a fait n’est pas si grave, qu’il n’y a pas de danger, vu qu’il peut continuer le contact avec ses victimes…

Soutenir un parent violent dans sa parentalité au prétexte erroné qu’un enfant a besoin de ses 2 parents pour se développer, c’est faire preuve d’une grande méconnaissance de l’impact des violences faites aux enfants. Un enfant a besoin d’amour et de sécurité. Peu importe le nombre ou l’identité des personnes qui répondent à ces urgences vitales.

Et on revient alors à la différence entre le lien et le contact. Jean Louis Nouvel, pédopsychiatre, précise :

Le lien c’est psychique, le contact, c’est physique”.

Couper le contact est la seule option pour qu’un jour, peut-être, il existe à nouveau un lien en bonne santé.

Si on veut aider les victimes, il faut savoir couper le contact, pendant une période suffisamment longue. L’enfant a besoin du temps de la cicatrisation, de la prise en compte de ses traumatismes, du phénomène d’emprise. Il faut que la peur recule, que la confiance gagne du terrain. Et cela, seul l’éloignement total avec l’agresseur peut le permettre. On n’avance pas dans sa guérison en côtoyant son bourreau. Et les bourreaux ne doivent pas se servir des enfants comme médicaments.

Un jour, si l’enfant est protégé, s’il se sent assez fort, s’il en a envie, il pourra reprendre le lien avec le parent qui le maltraitait.  A son rythme.

D’ici-là, maintenir le contact ne rend service à personne. Ni à l’agresseur qui en retire un sentiment d’impunité et qui peut perpétuer les violences en accusant l’autre parent d’aliénation. Ni aux victimes qui ressortent de ces rencontres avec de la peur, un traumatisme renforcé et une perte de confiance vis-à-vis des professionnels qui ne prennent pas leur parole au sérieux.

La question finale est qui voulons nous protéger ?

Si on veut vraiment aider l’enfant à se « délier » de l’emprise psychologique de l’agresseur, cela passe par une rupture avec l’agresseur.

Les contacts doivent cesser pour préserver le bien-être psychologique de la victime.

Stopper le contact pour garantir que les enfants puissent vivre une vie sans être constamment hantés par les traumatismes passés.

Cela inclut de pouvoir dormir paisiblement, apprendre efficacement à l’école et interagir avec leurs pairs sans être submergés par les souvenirs traumatiques.

La Justice doit comprendre l’importance d’une approche centrée sur l’enfant, où les décisions concernant l’autorité parentale, le lien, le contact, sont prises en tenant compte de leur impact sur la santé mentale et physique de l’enfant, et non pas uniquement sur la préservation des structures familiales traditionnelles ou des droits parentaux.

Pourquoi la Justice favorise-t-elle le lien avec le père, au dépend des victimes ?

Pourquoi la Justice favorise-t-elle le lien avec le père, au dépend des victimes ?

Parmi les incompréhensions les plus fréquentes rapportées par les victimes de violences intrafamiliales, il y a celle où la Justice favorise le lien entre le père et l’enfant, même dans les cas d’inceste.

Pendant le temps des procédures, les enfants sont tenus d’aller vivre chez leur père ou de le voir dans des lieux prétendus neutres. Cela donne lieu à des scènes traumatisantes d’enfants terrorisés à l’idée d’être confrontés à leur agresseur, fut-il leur papa.

Du côté des mamans protectrices, c’est une aberration. L’image souvent invoquée est celle-ci : si un voisin était soupçonné de violences sur les enfants de la maison d’à-côté, personne ne demanderait que ces derniers continuent de le voir, au nom du maintien des bonnes relations de voisinage ou de la présomption d’innocence…

Parce qu’effectivement, quand une affaire n’est pas encore statuée, c’est souvent le principe de présomption d’innocence qui est invoqué. En France, chaque individu est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. En conséquence, la Justice accepte de remettre un enfant à son père, pourtant accusé par sa progéniture du pire, tant qu’elle n’a pas rendu son verdict au nom du principe de la présomption d’innocence.

Or la présomption d’innocence n’est pas incompatible avec le principe de précaution : on peut vouloir protéger un enfant de son potentiel agresseur, sans pour autant que la condamnation ait eu lieu.

C’est exactement ce qui se passe pour les femmes avec l’ordonnance de protection : la femme est éloignée de son potentiel agresseur, même s’il n’a pas été condamné. Mais les enfants ?

Quand bien même ils n’auraient pas subis directement de violences mais auraient été témoins, et donc victimes, des violences faites à leur mère, dans tous les cas les enfants doivent être protégés.

Pourquoi ne pourrait-on pas appliquer une ordonnance de protection pour les enfants ?

Le Collectif pour l’enfance, qui regroupe 45 associations dont la nôtre, porte ce projet (voir proposition d’amendement législatif).

La CIIVISE également, elle préconise dans son rapport final (préconisation no 26) :

« Créer une Ordonnance de Sûreté de l’Enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste parental vraisemblable. »

La Justice aime « donner une chance » au père, sur l’argument de favoriser le lien père/enfant. Pourtant, on le sait, maintenir un lien entre l’enfant et le parent toxique peut être totalement contre-productif pour l’enfant. A quel moment, un humain accusé de violences peut-il jouer un rôle positif dans la vie de la personne qu’il maltraite ?

Quand la Justice “donne une chance” à un parent violent, elle oublie que la chance lui a déjà été accordée trop souvent par la mère et que ça suffit ! Il s’agit d’un biais de genre qui favorise les pères aux dépens des mères.

Et si on essayait des critères validés par des experts formés aux violences intrafamiliales ?

  • La gravité et la fréquence de la violence sont des facteurs cruciaux. Dans les cas de violence grave, qui mettent en danger la sécurité physique ou émotionnelle de l’enfant, il est généralement peu probable qu’un parent violent puisse être jamais considéré comme un bon parent.
  • La sécurité de l’enfant est la priorité absolue. S’il y a risque, des mesures devront être prises pour protéger l’enfant, en interdisant son droit de visite.
  • La violence peut entraîner des conséquences graves sur le développement émotionnel et psychologique de l’enfant. Les professionnels de la santé mentale recommandent un éloignement total de l’agresseur pour permettre à la victime de s’apaiser et guérir doucement.
  • Pour être un bon parent, il faut avoir la capacité de prendre soin de l’enfant, de répondre à ses besoins émotionnels et physiques, en lui fournissant un environnement stable et aimant. Un parent violent en est dépourvu. Tout comme sa capacité à changer est faible. Peu de pères agresseurs sont disposés à chercher de l’aide, à suivre un traitement et à travailler sur leurs problèmes pour changer leur comportement.

En presque 2024, favoriser le lien père/enfant aux dépens des victimes n’a plus de sens. La diversité des modèles familiaux a démontré que l’important est de prioriser le bien-être de l’enfant dans TOUTES les situations. Ce dernier doit pouvoir grandir dans un environnement sûr et affectueux, et tant pis si cela implique de le séparer de son père violent. Les droits de l’agresseur ne devraient jamais être placés au-dessus de la sécurité et du bien-être de l’enfant.

Quand on perpétue des violences, est-ce qu’on est vraiment un parent ?

« C’est clair que l’agression physique est quelque chose qui abime les liens, ce qui est encore plus intolérable et scandaleux quand on est un parent, avec un devoir de responsabilité et de protection.
Et quand on violente un enfant, on casse plus que toute autre personne l’estime de lui. On lui envoie un message selon lequel il ne mérite pas le respect. Il ne mérite pas d’être préservé dans son intégrité physique. Il peut être détruit.

Et surtout, il peut être détruit par la personne qui apparemment désirait sa venue, qui avait l’air de l’accueillir et lui donner des repères.
Quand un parent blesse et frappe, il indique à son enfant que le monde entier est contre lui et ne l’accueille plus. Et il abime son estime. »

Sophie Galabru, Agrégée et docteure en philosophie
au micro de Grégory Pouy dans l’épisode 287 du Podcast Vlan

Vous trouverez l’ensemble des préconisation de la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) dans notre article  » Les 82 recommandations de la CIIVISE « .