Lettre de Anne, ancienne enfant victime d’inceste, lue durant la réunion de la CIIVISE le 16 mai 2022

Lettre de Anne, ancienne enfant victime d’inceste

Chers membres de la Ciivise, cher auditoire,

J’ai assisté à la réunion parisienne de février, sans prendre la parole. Je suis restée profondément bouleversée de découvrir qu’encore aujourd’hui, les enfants victimes d’inceste ne sont pas protégés. Les mères seront nombreuses dans cette assemblée.

J’ai, depuis le début de l’année lu tous les ouvrages traitant d’inceste,

de Dorothée Dussy à Levi Strauss, en passant par Bruno Clavier, Muriel Salmona, Françoise Héritier… J’ai regardé et lu tous les documentaires, à ce sujet. J’ai écouté et réécouté l’ensemble des podcasts pour comprendre, analyser. Les sujets d’actualité : PPDA, Sarah Abitbol, le rapport Sauvadet… J’ai tout écouté, analysé… pour essayer de comprendre ma propre histoire.

Tout s’est passé en plusieurs étapes pour moi, de l’amnésie traumatique, en passant par l’angoisse, les difficultés relationnelles. Tout s’est accéléré en 2018. Je serai brève. J’ai été victime, avec ma sœur jumelle d’inceste et plusieurs hommes de ma famille en sont les auteurs, principalement mon père. Ensuite, un frère, un oncle, un cousin de mon père.

J’ai découvert les ateliers d’escrime thérapeutique conduit par l’association « Stop aux violences sexuelles » en septembre 2021.

Cet été là, j’apprenais que ma nièce, la fille de mon frère, âgée de 4 ans, avait été victime d’agressions sexuelles de la part des 3 garçons qui sont accompagnés par mon frère et ma belle-sœur dans le cadre de leur agrément obtenu pour être famille d’accueil. L’été dernier je l’ai regardé et puis dans ma tête, je me suis dit « ça y’est c’est ton tour ». Et puis non, j’ai voulu que cela cesse.

Quelques coups de sabre ont changé ma vie. J’ai parlé début avril 2022 à ma famille, j’ai écrit une longue lettre qui leur est adressée, j’ai contacté votre commission et j’ai pu m’entretenir avec elle. J’ai parlé à chacun d’entre d’eux en relatant les faits.

Et puis ? Après cette parole, pas grand-chose, ma famille nie et/ou relativise, entretient un certain chantage affectif. Mon père s’est comporté comme un salopard, il faut et il faudra bien le dire, sous-entendant que l’inceste aurait eu lieu entre ma sœur et moi. Il a sous-entendu cela, ce week-end après plusieurs semaines de silence.

Ajouter de la confusion à l’agression, en permanence, il a menacé de se suicider pour me faire taire. 3 jours plus tard il m’a dit qu’il avait dit ça comme ça. J’ai demandé à ma mère s’ils avaient toujours envie de se suicider. Finalement, non.

Il me faut encore supporter cela. Ma colère est immense. La libération de la parole, la résilience sont des grandes arnaques à mon sens. Une parole qui se libère et qui retombe comme un caillou que l’on fait ricocher sur la surface plane d’une eau limpide et qui tombe à l’eau. C’est un désastre. Cela me donne l’image d’un charnier. Un charnier avec des victimes vivantes qui se débattent avec leurs paroles et en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’État qui nous regardent nous débattre, nos paroles se mêlent et puis rien.

J’ai lu vos conclusions intermédiaires et c’est insuffisant. Depuis que j’ai parlé je m’interroge sur tout ce qui m’entoure.

Pourquoi voler une banane dans un commerce fait courir plus de risque judiciaire à un citoyen qu’une fellation imposée par un adulte à un enfant ?

Pourquoi est-on si facilement puni lorsqu’on resquille dans le métro et pourquoi est-il si facile d’allumer internet, de lancer YouPorn et d’y voir allègrement des images de violences sexuelles, qui prônent la domination, la culture du viol et la pédocriminalité ?

D’où nous viennent toutes ces images qui circulent en masse alimentant une certaine excitation. Mais de quoi s’agit-il réellement ?

J’ai parlé de confusion. C’est bien cela, ce qui me met en colère dans l’inaction de notre gouvernement et de la justice. Ajouter de la confusion au traumatisme dans une société qui ne légifère pas, qui ne punit pas, ne soigne pas, c’est accroitre le traumatisme !

Donc, je suis en colère. J’ai commencé à réfléchir à ce que contenait cette confusion, au-delà du seul fait de me « transformer » en victime. Cette confusion de mon enfance est celle qui perdure aujourd’hui alors que la parole des victimes et des femmes se libèrent.

Cette confusion rend encore possible aujourd’hui le fait qu’un enfant reste en contact avec son agresseur, cette confusion rend possible les féminicides, cette confusion rend possible de nommer, à des hautes fonctions d’État, des hommes contre lesquels il y a eu des accusations de violences sexuelles. Cette confusion permet que PPDA puisse porter plainte contre 16 femmes.

Cette confusion relève de notre responsabilité collective.

Cette confusion permet le déni de ma parole, de notre parole, maltraite les victimes. Nous épuise jusqu’au sang. Que se passera-t-il après vos conclusions si cette confusion est permise ?

J’ai peiné à terminer sur une note positive. L’idée de résilience elle aussi m’est devenue insupportable. Il est hors de question de soutenir une société dans laquelle serait reliée, par la confusion, la fabrique des victimes résilientes, les auteurs des agressions et les indifférents.

En revanche, les mots, les paroles comptent, et la lumière je la vois non plus dans la libération de la parole mais dans l’invention d’un autre monde, d’autres récits. La justice je l’attends désespérément. J’ai demandé à ma mère que je ne voulais pas de son héritage mais un dédommagement financier.

Depuis que j’ai parlé je me réjouis de lire et d’entendre des paroles alternatives. Cher Juge Edouard Durand je vous remercie pour votre parole lumineuse. Sur cette question que vous posé et que j’ai posé à ma famille sur le seuil de violence que nous tolérons dans notre société. J’ai fixé ma limite.

Anne C.

La méthode Calliope

methode calliope

La méthode calliope est une méthode venue du Québec pour recueillir la parole des enfants victimes de violences sexuelles ou de maltraitance.

methode calliope
methode calliope
methode calliope



La méthode Calliope aide à la fois les enfants victimes afin que ces derniers soient capables d’exprimer leur vérité sans crainte de ne pas être entendus ni protégés ; mais elle forme également les intervenants professionnels (avocats, policiers, travailleurs sociaux, enquêteurs…) qui souhaitent travailler avec l’enfant et pour le protéger au mieux.

Le programme d’accompagnement de la parole de l’enfant proposé par Calliope vise à préparer les mineurs et les intervenants afin que la rencontre soit faite dans des conditions optimales.

Il existe des raisons objectives, des chiffres, qui justifient que l’accompagnement de ces victimes soit mieux pris en charge. Elles ont besoin de raconter ce qui leur est arrivé, besoin d’être écoutées, besoin d’être crues et enfin, elles veulent de l’aide.

🔸 L’association bretonne @alexisdanan35 a adapté la méthode Calliope à la législation française. Elle forme actuellement les gendarmes de Rennes afin qu’ils en expérimentent les bienfaits sur la parole des victimes.

🔸 La France a encore beaucoup de chemin à parcourir pour vaincre le tabou de l’inceste et celui des violences faites aux enfants.

🔸 Les professionnels doivent être mieux formés pour évaluer la situation et diminuer les conséquences des actes criminels subis. Ils sont en 1ère ligne pour apporter leur aide et les ressources adaptées. Leur compétence est capitale !

👉 https://www.20minutes.fr/societe/2957703-20210121-metooinceste-calliope-methode-venue-quebec-recueillir-parole-enfants

Adoptons le protocole NICHD

protocole nichd

Le protocole NICHD est une technique d’audition spécifique pour recueillir la parole des enfants (dès 4 ans), que ces derniers soient des témoins ou des victimes de violences.
Ses objectifs :

  • viser la non-suggestibilité
  • être le plus fiable possible et augmenter la crédibilité du témoignage
  • ne pas contaminer la parole de l’enfant ni l’influencer.

Connaissez-vous le protocole d’audition NICHD ?

600
Protocole NICHD

Améliorer les auditions d’enfants grâce au protocole Nichd

🔸 Le premier facteur clé de la qualité d’une info est la qualité de la question posée !
Pourquoi il est nécessaire de former plus de professionnels à ce protocole :
Quand un enfant est auditionné par une personne utilisant mal son autorité et sa position dominante, il peut fournir des informations qui ne sont pas exactes car issues d’un stress supplémentaire.
Pourtant, les enfants sont parfaitement capables de retranscrire un récit authentique et juste, et cela même très jeunes.

🔸 C’est aux professionnels d’être dans une posture d’écoute et d’alliance bienveillante afin de créer des conditions d’audition idéales. L’objectif est de diminuer la suggestibilité et augmenter la qualité du recueil de la parole pour au final que la Justice ait les bonnes informations.

🔸 Grâce aux questions plus ouvertes, le taux de révélation est plus important, les informations sont considérées plus fiables : Le personnel formé à ce protocole aide la Justice à mieux travailler.

Sources :
👉 http://nichdprotocol.com/

👉 http://nichdprotocol.com/french.pdf

👉 https://onpe.gouv.fr/actualite/protocole-nichd

👉 https://www.cairn.info/recueillir-la-parole-de-l-enfant-temoin-ou-victime–9782100713103-page-137.htm

👉 https://www.yvelines-infos.fr/recueillir-la-parole-dun-enfant-victime-de-violences/

👉 https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/que-la-parole-de-lenfant-se-libere-ne-suffit-pas-20210215_NT5PS5S3RRGINMDYFPISUHQEZA/

Le droit à la parole de l’enfant

la parole des enfants

Les viols sur mineur sont probablement le crime le plus impuni qui soit.” (Dr Emmanuelle Piet)

🔸 Il est inacceptable que la justice échoue à protéger les victimes. Les chiffres sont affolants : 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 subissent des violences sexuelles , dont la moitié sont incestueuses. Aujourd’hui les violences sur enfants sont invisibilisées.

🔸 Pourtant les enfants parlent, émettent des signaux de souffrance, mais nous ne sommes pas capables de les entendre.

parole des enfants



🔸 Nous souhaitons que la parole de l’enfant soit mieux prise en compte, que l’on applique le principe de précaution pour l’enfant, et que les magistrats, policiers, gendarmes, psys, personnel de l’éducation nationale, professionnels de l’enfance et de santé soient mieux formés : aux mécanismes de contrôle coercitif et de violences post séparation, au recueil de la parole de l’enfant sur le modèle du Protocole NICHD et de la formation Calliope.
Enfin nous souhaitons que ne soient pas utilisés de façon inappropriée les termes « aliénation parentale » « conflit familial » ou « instrumentalisation ».

🔸 Notre société doit apprendre à protéger ses enfants. Nos institutions doivent entrer dans une culture de la protection : un parent violent n’est pas un bon parent, le lien parent – enfant n’est souhaitable que si le parent respecte son enfant.

Nous vous conseillons la vidéo @konbini sur ce sujet :
👉 https://www.instagram.com/tv/CSWZG88oN4M/?utm_source=ig_web_copy_link
👉 https://fb.watch/7i1BoRMM6U/

Merci à Jeannine, bénévole à Protéger l’enfant, pour le texte des slides.