Les médias et la société parlent de pédophile.
La justice parle de pédocriminel.
Et ce n’est pas la même chose.
Confondre les deux termes brouille la compréhension… et peut freiner la protection des enfants.
Le mot pédophile désigne une attraction sexuelle pour les enfants prépubères.
(Définition psychiatrique, OMS)
Le mot pédocriminel désigne une personne qui commet un crime ou un délit sexuel sur un mineur.
(Définition juridique)
Pédophilie
La pédophilie est avant tout une notion psychiatrique. Elle désigne une attirance sexuelle persistante et préférentielle, parfois exclusive, pour les enfants qui n’ont pas encore atteint la puberté. Cette attirance, décrite par l’OMS dans la classification des troubles mentaux, n’implique pas nécessairement un passage à l’acte.
Certaines (rares) personnes concernées en sont conscientes et cherchent de l’aide. Elles consultent et mettent en place des stratégies pour ne jamais mettre un enfant en danger.
Mais il existe hélas aussi des personnes pédophiles qui peuvent devenir des pédocriminels. Soit en consommant des images pédopornographiques, soit en agressant des enfants.

À l’inverse, un adulte peut abuser sexuellement d’un enfant sans être pédophile. Les violences sont motivées par la domination, le contrôle, dans le cadre de violences intrafamiliales, sans qu’il y ait d’attirance spécifique pour les enfants.
En d’autres termes, la pédophilie décrit une attirance, mais pas un acte. Et c’est justement ce qui la distingue de la pédocriminalité.
Pédocriminalité
La pédocriminalité appartient au domaine du droit. C’est la justice qui emploie ce terme pour désigner l’ensemble des crimes et délits commis à l’encontre de mineurs : viols, agressions sexuelles, corruption ou incitation, mais aussi la production, la diffusion ou la possession de pédopornographie, ou encore l’exploitation sexuelle organisée.

Contrairement à la pédophilie, la pédocriminalité ne renvoie pas à une attirance mais à des actes concrets, répréhensibles et punis par la loi.
Tous les pédocriminels ne sont pas pédophiles.
L’inceste en est un exemple frappant : de nombreux auteurs ne présentent pas d’attirance pédophile au sens psychiatrique, mais utilisent la sexualité comme un instrument de pouvoir et de contrôle.
Parler de pédocriminel permet de replacer le débat sur la responsabilité des auteurs.
Dans les médias, le mot pédophile est encore trop souvent utilisé comme synonyme d’agresseur d’enfant.
Exemple : “Un pédophile arrêté après avoir agressé sa belle-fille”.
Cette formule laisse entendre que l’agresseur aurait une attirance spécifique pour les enfants. Or, bien souvent, ce n’est pas le cas.
Dans de nombreux dossiers, l’auteur n’a jamais manifesté d’intérêt sexuel particulier pour les enfants. L’agression est commise dans un contexte de violence intrafamiliale, d’emprise, ou simplement parce que l’enfant était vulnérable et à portée de main.

L’inceste illustre parfaitement cette dynamique. Ce n’est pas l’existence d’une orientation pédophile qui explique l’abus, mais la logique de domination et de contrôle à l’intérieur de la famille.
Les recherches scientifiques confirment que la réalité est bien plus complexe que l’image véhiculée par les médias.
Entre 25 % et 50 % seulement des personnes condamnées pour abus sexuels sur mineurs présentent un profil de pédophilie au sens clinique (Seto, 2008 * ; Lussier, 2011). Autrement dit, plus de la moitié des auteurs ne sont pas pédophiles : ils ont commis un crime pour d’autres raisons.
On observe aussi des différences selon les contextes. Les auteurs intrafamiliaux, par exemple, présentent beaucoup moins de caractéristiques pédophiles que les auteurs extrafamiliaux. À l’inverse, le taux de pédophilie est plus élevé chez les agresseurs extrafamiliaux, notamment ceux qui ciblent des garçons.
Pourquoi la confusion entre pédophile et pédocriminel est dangereuse pour les victimes ?
La confusion entre pédophile et pédocriminel ne nuit pas seulement à la prévention, elle a aussi un impact direct sur les victimes.
Lorsqu’on réduit un abus sexuel à une “maladie” ou à une “orientation”, on tend à minimiser la responsabilité de l’agresseur. L’acte est alors présenté comme le symptôme d’un trouble, presque inévitable, plutôt que comme un choix criminel.
Pour les victimes, ce discours est destructeur. Il peut faire douter de la gravité de ce qu’elles ont subi, ou donner l’impression que leur agresseur n’est pas pleinement responsable.
En parlant de “pédophile” à tort et à travers, comme de “monstres isolés”, on renforce l’idée que le danger viendrait uniquement de l’extérieur, de prédateurs tapis dans l’ombre.
La réalité est toute autre.
Les chiffres le montrent : 8 victimes sur 10 de violences sexuelles subies durant l’enfance et l’adolescence concernent des faits d’inceste. (Actes de colloque – Regards croisés sur la conduite de recherches sur la maltraitance intrafamiliale envers les enfants et les adolescents – 2023)
Beaucoup de victimes n’osent pas parler parce que leur agresseur ne correspond pas à cette image du “monstre” : c’est leur père, leur beau-père, leur oncle, parfois même leur grand frère.
Résultat : leur témoignage est perçu comme moins crédible, et leur souffrance reste trop souvent dans l’ombre.
Enfin, croire que seules des personnes identifiées comme des pédophiles menacent les enfants détourne la vigilance sur la mécanique réelle des violences intrafamiliales, qui représentent la majorité des situations.

En réduisant les violences sexuelles sur mineurs à un “problème psychiatrique”, on oublie que la plupart des auteurs agissent sans être pédophiles. Ils exploitent une position d’autorité, un climat de silence, ou profitent d’une opportunité.
Tant que l’on confondra pédophilie et pédocriminalité, pédophile et pédocriminel, on passera à côté de ces mécanismes, et on privera les enfants d’une protection efficace.
Ce qu’il faut dire alors ? Pédophile ou Pédocriminel ?

Quand un adulte agresse un enfant, ce n’est pas “un pédophile”.
C’est un pédocriminel.
Et il faut le condamner.
Vous trouverez d’autres ressources utiles dans notre article Repérer, prévenir et agir contre les violences sexuelles faites aux enfants.
* Seto, M. C. (2008). Pedophilia and Sexual Offending Against Children: Theory, Assessment, and Intervention. Washington, DC: American Psychological Association.
(Dans cet ouvrage, Seto montre que seule une partie des auteurs d’infractions sexuelles contre des enfants répond aux critères cliniques de pédophilie.)