Pourquoi on devrait s’inspirer de l’Écosse en matière de lutte contre les violences intrafamiliales

Pourquoi on devrait s’inspirer de l’Écosse en matière de lutte contre les violences intrafamiliales

Bonjour John Sturgeon. Vous êtes un maitre de conférences écossais, spécialisé sur les questions de violences intrafamiliales.

Vous connaissez aussi très bien le système français et ses dysfonctionnements. Pouvez-vous nous expliquer les méthodes d’intervention pour la protection de l’enfance en Écosse ?

Bien sûr. Déjà, pas d’angélisme, l’Écosse n’échappe pas à son lot de violences physiques, sexuelles, psychologiques. Néanmoins, depuis plus de 20 ans, nous avons privilégié plusieurs politiques de lutte efficaces, d’une manière très différente de la France.

Dès la fin des années 90, la priorité a été mise sur la prévention. L’idée était à la fois d’intervenir le plus rapidement possible pour protéger les victimes et en même temps de limiter les coûts pour la société.

Comment travaillent les autorités locales pour effectuer au mieux ces interventions ?

A l’inverse de la France, l’Écosse a pris le parti de faire travailler ensemble tous les services. Partant du principe que nul ne possède toutes les infos ou les compétences, il faut agir conjointement. La police, la Justice, les assistants sociaux, les soignants, etc. Tous travaillent dans les mêmes lieux, ils peuvent se parler des dossiers, échanger… Ils utilisent également les mêmes outils, faits pour faciliter la communication entre les services.

Effectivement, c’est différent de la France où tout est cloisonné entre les différents magistrats, où on peut condamner un médecin qui fait des signalements et où le secret professionnel est érigé en modèle.

Le secret professionnel existe en Écosse mais il est plutôt géré en circuit fermé. Si vous êtes un pro et avez besoin de savoir, vous saurez.

Nous pensons qu’il y a plus de problèmes liés au non partage des informations que l’inverse. Et beaucoup d’usagers apprécient de ne pas avoir à répéter les mêmes informations sensibles.

L’Ecosse est connue pour être un des pays où on prend le mieux en compte les traumatismes.

C’est vrai. Tous les employés des services publics sont formés aux traumas et à leurs effets. Ils savent repérer les signes, connaissent les marques d’un développement dysfonctionnel du cerveau chez un enfant ou une femme victime de violence… Cette conscience permet des interventions à la fois plus sympathiques pour les victimes mais aussi génère une aide plus adaptée aux genres, à l’âge et au contexte. Même au niveau de la loi, c’est intégré. Ainsi la Justice doit prendre en compte l’âge de l’agresseur jusqu’à ses 26 ans. Depuis 2019, les châtiments corporels sont interdits. Et actuellement, le parlement écossais étudie un projet de loi qui obligerait chaque future loi à respecter la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

En France, hélas, le droit à l’enfant prime sur le droit de l’enfant.

Ici, le droit de l’enfant (ou son intérêt supérieur) passe avant le droit du parent. D’ailleurs, les parents n’ont pas de droits sur leurs enfants, juste des responsabilités. Ils ne doivent pas leur causer du tort et de la souffrance.

Ça fait rêver… Et sinon, concrètement, comment sont gérés les cas de violences intrafamiliales ?

Cela a pas mal changé depuis ces 20 dernières années. Au début de notre siècle, les assistants sociaux étaient formés pour identifier les dangers potentiels. C’était à eux de mettre en place la protection des enfants. Le corolaire de cela, c’est que les assistants sociaux avaient peur d’être accusés de ne pas s’être rendu compte du problème. Ils étaient donc toujours à la recherche de signes de violence. Ce n’était pas sain.

Il y a 5 ans, nous avons rééquilibré cette approche fondée sur la considération du risque pour se tourner vers le pendant, plus positif : les signes de sécurité (“Signs of Safety”). Les assistants sociaux travaillent en partenariat avec les familles et le reste des intervenants, dans des relations plus égalitaires. Tous travaillent pour identifier le problème et se tourner vers la solution : comment créer une famille sûre et saine. Cela a un gros impact sur la motivation des professionnels, la satisfaction des intervenants et surtout, cela améliore grandement la capacité d’identifier les risques et les dangers. La peur de l’erreur d’évaluation perdure, se faire confiance mutuellement (famille et services sociaux) n’est pas aisé pour tout le monde, mais les choses s’améliorent tous les jours.

C’est donc le système actuellement en place ?

Non, il est encore en train d’évoluer. Depuis 2 ans, des régions testent l’approche “Safe & Together”.

“Safe and together” signifie “En sécurité et ensemble” ? Quel est ce nouveau modèle ?

« Safe and Together » est utilisé spécifiquement dans les cas de violences intrafamiliales par la plupart des autorités écossaises. Cela a un effet transformateur sur notre pratique. Il fonctionne sur 3 principes :

  • Il n’y a pas de violence sans agresseur, donc l’attention doit porter sur cette personne, ses responsabilités ; et non pas sur le parent protecteur. En cas de signalement, la police intervient immédiatement. L’accusé sera retiré de la maison et interrogé au commissariat. Les enfants et la victime présumée seront interrogés à domicile. Dans le cadre des processus d’enquête et de suivi, un représentant de l’autorité locale (un assistant social), un employé du National Health Service (généralement une infirmière) effectueront des recherches dans leurs bases de données à la recherche d’informations.

L’enquête pénale est menée uniquement par la police, mais des dispositions sont prises pour obtenir des informations auprès d’autres organismes de l’État. Ces dispositions aident la police dans ses enquêtes et aident les organismes de l’État à s’acquitter de leurs responsabilités en matière de protection du public.

Cela facilitera l’enquête, éclairera l’évaluation des risques et guidera les stratégies de protection qui doivent être mises en place. Il s’agit là d’un très bon exemple de la façon dont nous travaillons ensemble en Écosse afin que chaque organisme d’État puisse exercer ses responsabilités légales en matière de protection des enfants et des personnes vulnérables, au motif qu’un seul organisme ne disposera pas de toutes les informations.

Tout le monde est formé au contrôle coercitif. En Écosse, on préfère cette dénomination plutôt que « emprise ». Dans le cas d’emprise – le focus est sur la capacité et réaction de la victime mais dans l’essence du contrôle coercitif, c’est la stratégie de l’agresseur qui est sous la loupe.

Et si la situation n’est pas “grave” ?

Alors l’agresseur pourra rentrer chez lui mais il saura que toutes les structures sont au courant de ses actes et qu’il est surveillé.

Les 2 autres principes du “safe and together” sont :

  • Le parent protecteur et les enfants doivent rester ensemble. C’est la personne problématique qui doit quitter le foyer. Les services sociaux s’engagent à maintenir les victimes ensembles.
  • Les services sociaux travaillent en partenariat avec le parent protecteur. Ils reconnaissent que cette personne prend en charge la sécurité de ses enfants.

Waooo…. Cela démontre combien le contrôle coercitif est un concept intégré chez vous.

L’Écosse est un des rares pays au monde à avoir des lois spécifiques contre le contrôle coercitif.

Depuis 2018, il est illégal de contrôler son partenaire en restreignant ses accès à ses amis, sa famille, ses finances, son travail, peu importe le moyen. La peine maximale prévue est de 14 ans de prison ferme.

Les services sociaux savent que la violence est genrée, ils sont formés à la recherche de ces signes. De plus, ils ont conscience que si une personne est “contrôlée” par son partenaire alors leurs enfants sont aussi victimes de cette stratégie, directement ou indirectement. C’est pourquoi, cette personne n’a pas besoin de porter plainte (ni même de le vouloir). Si elle est repérée comme subissant des violences coercitives, alors on peut porter plainte à sa place, que la personne se reconnaisse comme victime ou non, car c’est le comportement contrôlant qui est illégal.

Merci beaucoup John. Nous espérons que la France saura s’inspirer du meilleur de l’Écosse en matière de lutte contre les violences intrafamiliales.


Vous pouvez également consulter nos articles « Loi espagnole sur les violences intrafamiliales : pourquoi on devrait s’en inspirer » et « Violences sexuelles en Australie : une réalité glaçante révélée« .

Violences conjugales, l’omerta chez les représentants de la loi

violences conjugales omerta dans la police

Ces dernières années ont vu fleurir de nombreuses affaires montrant que la police, la gendarmerie, l’armée, bref toutes les autorités de notre pays étouffaient régulièrement des affaires où l’un de leurs membres était impliqué. Le livre « Omerta dans la police » de Sihem Souid, paru en 2010, dénonçait déjà les abus de pouvoir, la corruption, le trafic de statistiques, le racisme, le sexisme, l’homophobie… La journaliste Sophie Boutboul, ex-conjointe d’un gendarme violent, a publié en 2019 un livre/enquête « Silence, on cogne« , documentant la réalité et l’ampleur de ces dysfonctionnements.

L’omerta dans la police, une gangrène de la société

Ce qu’on appelle l’omerta est une loi du silence. qui réduit au néant par diverses pressions ceux qui dénoncent en interne les dérives. De plus, elle contribue à banaliser les violences, le harcèlement, l’emprise pour privilégier la réputation des troupes à la morale et la justice.

En tant qu’association recueillant la parole de victimes, nous ne comptons plus les témoignages de femmes ayant épousé un représentant de la loi ou faisant également partie du sérail qui se retrouvent bafouées dans leur droit, juste parce qu’elles osent accuser un militaire, un gendarme, un policier de violences conjugales, psychologiques ou sexuelles… omerta ?

Myriam, par exemple, raconte l’enfer qu’elle subit depuis sa séparation en 2017 alors qu’ils sont tous les deux gendarmes. Malgré des preuves de la violence, la diffamation et le harcèlement de son ex, celui-ci reçoit un simple rappel à la loi et bénéficie du soutien de sa hiérarchie. Pire encore, malgré la procédure interne à la gendarmerie « d’événement grave » dû au dépôt de plainte, le père est promu au grade supérieur.

Les traces attestées de coups sur leur fils, la dénonciation par l’enfant de violences sexuelles (pistolet introduit dans les fesses), l’intervention de la PMI, rien n’y fait. Myriam est accusée d’instrumentaliser son fils par les éducateurs et la justice soutient les accusations du père d’aliénation parentale par la mère. Elle finit par perdre la garde de son enfant, elle est criblée de dettes à cause de l’emprunt qu’elle a dû faire pour payer la pension alimentaire et les frais de justice.

Les témoignages des femmes que nous recevons indiquent qu’elles ne sont pas soutenues malgré les preuves, malgré la volonté de justice prétendue des autorités. Elles font face à l’omerta.

omerta dans la police

Les dossiers sont ralentis voire disparaissent, les menaces d’abus de pouvoir sont légions, les plaintes peu souvent reçues…

D’une manière générale, un soutien indéfectible fait rage, la hiérarchie protège les hommes incriminés pour préserver la réputation de l’institution. Ces représentants de la loi sont rarement remis en cause. Le costume semble laver leurs crimes. Et quand les preuves sont trop importantes, quelques sanctions tombent, sans faire illusion : simple blâme, mutation… Des condamnations bien trop faibles face à l’ampleur des accusations de harcèlement et de violences.

La police, la gendarmerie, l’armée… qui devraient être des modèles de justice et de citoyenneté ne sont pas au niveau exigé par une société digne de ce nom. Or ces violences corporatistes internes ont des répercutions puissantes.

Stop à l’impunité. Stop à l’omerta.

Il faut que toutes ces institutions fassent le ménage et évoluent pour rendre effective la tolérance ZÉRO nécessaire à une société protégeant réellement les humains maltraités, par un représentant de la loi inclus. Une pétition lancée par Abandon de famille et signée par 26000 personnes demande à ce que les gendarmes et policiers violents soient recensés.

Pour que cela change, la volonté des institutions et de l’état doit changer.

Il faut que ces derniers s’impliquent et fassent un grand ménage parmi les membres accusés de violence. Des moyens supplémentaires devraient être engagés dans ce sens pour lutter contre la misogynie, le sexisme, le racisme, etc.

Il est également important que tous les personnels actifs dans la prise en charge des victimes et le recueil de parole soient correctement formés sur des sujets comme l’emprise, les psycho-traumas, l’accueil des victimes mineures, la manipulation…

Enfin, il serait souhaitable qu’ils travaillent de concert avec d’autres professionnels pour mettre réellement en sécurité ceux qui viennent chercher du secours. Sans cela, comment les institutions peuvent-elles actuellement intervenir dans des dossiers de violences intrafamiliales alors qu’elles ne savent pas sanctionner les coupables en interne ni bien accompagner les victimes qui demandent de l’aide ?

Des solutions contre l’omerta ?

Si on dézoome, on peut réfléchir à d’autres solutions. Parce qu’imaginons que toutes les victimes de France se rendent dans ces institutions pour être protégées. Bien ou mal reçues, le traitement des dossiers ne serait pas gérable au vu de leur nombre immense. On le voit déjà, les plaintes classées sans suite pullulent faute de moyens et de volonté. Le système carcéral n’est pas en mesure de gérer le flux nécessaire. De plus, si la seule sanction est la prison, elle n’apporte pas de solution. La prison ne transforme pas un humain violent en humain non violent. C’est le cercle vicieux.

Pour résumer, le système judiciaire et policier actuel n’est pas adapté, à aucun niveau, à la gestion des violences intrafamiliales. Il faut donc proposer d’autres sanctions, plus efficaces.

Une piste intéressante serait que la France crée une nouvelle institution qui serait vraiment spécialisée dans les violences de genre, dans la lutte contre l’inceste, les harcèlements sexuels, psychologiques, dans la protection des enfants victimes ou témoins. Une institution apte à reconnaitre les agresseurs, les dominants qui écrabouillent. Une institution qui ne serait pas la police et qui traiterait en direct avec une autre nouvelle institution, judiciaire celle-ci : un tribunal des familles, entité formée également aux violences intra-familiales, qui ne serait dédiée qu’à celles-ci…

Avec un personnel compétent et éclairé, on se surprend alors à rêver d’un monde où les victimes seraient véritablement entendues et secourues. Plus d’omerta.

Sources : https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/virginie-despentes-meuf-king-kong

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