Le film On vous croit, de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys montre la difficulté pour une mère de protéger ses enfants en Justice.
On vous croit met en scène Alice qui se retrouve devant un juge. Elle doit défendre ses enfants, dont la garde est remise en cause. Pourra-t-elle les protéger de leur père avant qu’il ne soit trop tard ?
Pour nous, il était crucial de montrer à quel point la longueur, la répétition et la multiplication des procédures judiciaires peuvent amplifier les traumatismes. Dans notre histoire, comme souvent dans la réalité, les enfants qui sont contraints de revivre sans cesse ce qu’ils ont subi, tout en voyant leur parole mise en doute, finissent par se dire qu’on ne les protège pas.
Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys
On vous croit met en lumière les conséquences des violences sexuelles sur les enfants :
Conséquences psycho traumatiques
Violence envers soi
Mauvaise estime de soi
Problème de santé physique et mentale…
Et les conséquences sur leurs parents protecteurs (ici la mère, comme dans la majorité des cas de violences intrafamiliales).
Nous voulions rendre compte qu’en plus d’être traumatisées par les agressions sexuelles, de nombreuses victimes le sont aussi par le fait de ne pas être crue ou protégée lors des procédures judiciaires.
Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys
La Justice n’est pas adaptée aux problématiques des victimes :
Les enfants et leur mère sont obligés de croiser le père agresseur dans la salle d’attente.
Les enfants doivent encore et encore raconter leur histoire devant la juge aux affaires familiales.
Et une épée de Damoclès pèse sur ces enfants qui vont peut-être devoir aller chez le père qu’ils dénoncent, si la justice le décide, alors qu’ils vivent dans un état de peur et de stress intense à son contact et qu’ils subissent encore les conséquences psycho traumatiques des violences paternelles antérieurement subies.
La séduction. Alice raconte avec le sourire le temps où elle était amoureuse et fière de cet homme charmant et plein d’affection. D’ailleurs il est plutôt sympathique, il présente bien.
Le père se victimise. Il ne comprend pas pourquoi il en est là. Il ne comprend pas pourquoi ses enfants ne veulent plus le voir. On a presque envie de le croire.
Avec l’appui de son conseil, le père isole la victime en essayant de la dénigrer auprès des professionnels. Il la dévalorise : madame est fragile, souvent malade. Il y a même une allusion au syndrome de Munchhausen par procuration, sans citer le nom. Ce syndrome est un jackpot assez efficace avec le syndrome d’aliénation parentale pour décrédibiliser le parent protecteur auprès de la justice.
La mère protectrice est souvent la première à faire face à la violence du système, tout en portant la souffrance de l’enfant.
Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys
On pense que les mères mentent, manipulent. Mais on perd de vue que d’abord, elles doivent recevoir la parole des enfants, révélation qui peut être extrêmement violente. Ensuite, elles doivent l’expliquer, et elles ont tellement envie d’être crues, qu’elles ont un discours fort et engagé qui peut les faire passer pour folles. Et puis on peut devenir folle, à penser qu’on ne nous croit pas. L’agresseur utilise ça en justice.
Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys
Ce qui est frappant dans la scène majeure de ce film, ce sont les qualités humaine et professionnelle de la juge qui mène l’audition des parents et de leurs conseils. On vous croit nous montre une juge très respectueuse des parties, qui n’est jamais dans le jugement, toujours à l’écoute, qui laisse la place pour s’exprimer de manière bienveillante. Cela est suffisamment rare pour être souligné.
On vous croit mériterait d’être visionné dans toutes les écoles de formation des professionnels voués à traiter d’affaires familiales (magistrats, avocats, travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, psys,…).
Ce cas présenté n’est malheureusement pas un cas à part. Ce que vit cette femme et ses enfants, des milliers de familles le vivent encore aujourd’hui. Des milliers d’enfants ne sont pas protégés.
Que cette juge inspire tous les professionnels de l’enfance qui pourront ainsi (ré)apprendre que le premier pas pour protéger des enfants est de les croire.
Familia, c’est l’histoire de deux enfants qui ont vécu leur enfance dans la peur de leur père qui frappait leur mère et les rabaissait.
Familia, c’est l’histoire d’une maman qui a voulu dire stop aux violences, qui a les a dénoncés mais qui a perdu la garde de ses enfants.
Familia, c’est l’histoire d’un papa violent qui voulait tout contrôler et dominer femme et enfants en les insultant et en les rabaissant.
Familia est inspiré de faits réels, basé sur le témoignage écrit de Luigi Celeste, l’un des fils victimes de son père violent.
Récit de la violence, en particulier de la violence psychologique, il montre les blessures les plus profondes qui marquent à jamais une enfance. Par exemple, comment s’instaure une routine du « faire semblant » pour ne pas énerver le père violent…
Le film Familia dénonce également les violences post-séparation auxquelles les victimes peuvent être confrontées et qui sont souvent invisibilisées.
« Le film Familiaest aussi un réquisitoire, un appel à l’écoute et à l’action au moindre signe, à chaque demande d’aide ; car les plaintes et les dénonciations finissent souvent sur les étagères de la bureaucratie.
Et l’histoire de la famille Celeste ne fait pas défaut à ce phénomène : une famille abandonnée par les institutions, qui finit par imploser sur elle-même avec les conséquences les plus tragiques. »
Francesco Costabile
Les violences domestiques ne s’arrêtent pas à la séparation. Les victimes vivent souvent dans la peur, leur parole reste minimisée quand elles dénoncent des faits de violences après la séparation.
« Après la sortie du livre puis du film Familia, j’ai été submergé par un nombre incalculable de femmes désespérées qui m’ont contacté via les réseaux sociaux, cherchant de l’aide. Et ce qui m’a le plus choqué, c’est l’incapacité flagrante des institutions à agir, encore aujourd’hui, alors que ce sujet commence enfin à être considéré. La sensibilisation ne suffit pas. Parler ne suffit pas.Nous avons besoin d’actions concrètes. »
Luigi Celeste
Comment pourrait-on protéger les victimes de ces violences post-séparation ?
En cessant de considérer que les violences font partie du passé.
Elles font partie de l’histoire de la famille et souvent inhérentes à son fonctionnement. Elles permettent de comprendre le présent. Chercher à les occulter ne permet pas une réelle protection des victimes.
« Il existe encore une stigmatisation sociale très forte qui empêche tant de personnes de dénoncer les abus dont elles ont été victimes. »
« C’est la raison pour laquelle Licia (une femme qui tente de réagir à la violence qu’elle a subie) finit par retomber dans la même spirale, accablée par la culpabilité, trahie par l’État et les institutions vers lesquelles elle s’est tournée pour obtenir de l’aide. Il existe une violence institutionnelle spécifique qui abandonne ces femmes à leur sort, jusqu’aux conséquences les plus tragiques. »
Francesco Costabile
En permettant aux mères de dire à leurs enfants que le comportement des pères violents n’est pas acceptable. Elles doivent être soutenues dans cette démarche.
Actuellement si un enfant dit que sa maman lui a expliqué que ce n’est pas bien de faire ce que son papa a fait, c’est encore considéré comme du dénigrement par bon nombre de professionnels. Il est primordial de laisser les mères victimes mettre des mots sur ces violences pour réduire le risque de violences transgénérationnelles.
Les enfants ont souvent une image très négative des femmes, à cause de leurs pères (dont la parole est impunie), il faut que les enfants comprennent que leurs mères doivent être respectées.
Licia, la mère de Luigi, se voit retirer la garde de ses enfants après avoir révélé les violences. Ce n’est plus acceptable. Il faut cesser de considérer les mères coupables des violences des pères alors que les mesures de protection sont minimes.
« Le cœur du problème réside dans l’éducation et les valeurs.Nous devons éduquer des hommes meilleurs, des hommes qui apprennent dès leur plus jeune âge à respecter les femmes comme leurs égales, comme la source de la vie, comme ils respecteraient leur propre mère. »
Luigi Celeste
En assurant un vrai suivi psychologique des victimes.
Les violences domestiques ont des répercussions sur l’état psychologique des victimes. Il est donc primordial qu’elles aient un suivi psychologique.
Actuellement les enfants sont contraints de fréquenter leur père agresseur comme si les violences n’avaient jamais existé. Ces rencontres se font généralement dans des espaces de rencontre ou centres médiatisés sans présence constante d’un professionnel. Cela ne permet pas aux enfants d’être protégés et sécurisés, d’autant plus quand leur parole est discréditée. Et cela ravive les traumatismes, sans permettre de cicatriser.
Ils ont donc besoin a minima d’un soutien psychologique par des professionnels formés.
L’Etat finance des espaces de rencontre qui amènent souvent plus de problèmes psychologiques pour les enfants. Cette capacité de financement devrait être attribuée en priorité au financement de suivi psychologique. Ce n’est pas normal que ces frais soient assurés principalement par les mères. Il est urgent de remettre le monde à l’endroit.
« Dans ma propre expérience, les institutions ont ignoré nos innombrables appels à l’aide, y compris quelques jours seulement avant que l’irréparable ne se produise. La plupart du temps, nos supplications ont été balayées d’un revers de main. »
Luigi Celeste
En remettant en question le système de suivi des auteurs de violences, qui reste très hétérogène en France. Certains auteurs en ressortent persuadés qu’ils sont en fait victimes de leurs victimes…
Lorsque les auteurs ont une obligation de soin, les professionnels n’ont pas connaissance de tout le passif et donc peuvent être facilement manipulés sans qu’un vrai travail soit effectué.
Ce suivi ne doit plus permettre de fonctionner comme un permis de repartir à zéro.
« Certains programmes se limitent à une approche plus médicalisée et d’autres peuvent même représenter un espace de socialisation masculine renforçant les stéréotypes de genre. »
Laissons une chance à ces enfants d’aller mieux en arrêtant de croire que pour bien grandir, ils ont besoin de voir leur père violent.
Laissons les professionnels mettre des mots sur les violences que les enfant ont subies, et poser clairement des interdits sur les violences.
Les contraindre, c’est normaliser les violences.
Les contraindre, c’est culpabiliser les enfants qui finissent par penser qu’ils sont méchants s’ils ne laissent pas une énième chance à leur père (alors que les violences perdurent).
Les contraindre, c’est les forcer à s’adapter à la situation au lieu de les en protéger.
Et si un enfant insiste pour voir son père violent, voire le défend, il faut en discuter avec lui pour qu’il ne grandisse pas en normalisant les violences. Il doit aussi être protégé.
En clair, c’est un des mécanismes qui expliquent pourquoi certaines personnes se permettent, en ligne, des comportements qu’elles n’auraient pas dans la “vraie vie” : insultes, harcèlement, confidences très intimes, propos violents ou au contraire très vulnérables.
Derrière un pseudo ou un avatar, on ne se perçoit plus comme une personne entière.
On devient une voix détachée, sans nom, sans visage. Et cela change notre rapport aux autres… et à nous-mêmes.
Les six facteurs de désinhibition de Suler :
Anonymat dissociatif
Invisibilité (on ne se voit pas)
Asynchronie (on répond plus tard)
Introjection solipsiste (on se fait une image mentale de l’autre)
Imagination dissociative (Internet comme un jeu)
Minimisation de l’autorité sociale (pas de profs, pas de parents, pas de police visibles)
D’autres effets aggravants existent : désengagement moral (on se sent moins responsable), effet de groupe (dilution de la responsabilité), normalisation de la violence, surenchère, contagion émotionnelle (la haine circule vite…)
Concrètement :
On peut s’autoriser à dire des choses qu’on n’oserait pas exprimer en face.
L’absence de lien direct avec sa véritable identité civile fait croire que les actes ou paroles en ligne ne “rejailliront pas” sur la vraie vie.
Des chercheurs parlent d’ensauvagement du web(The Conversation, 2018).
Un espace où la civilité recule et où la brutalité gagne du terrain.
Mais attention : “ensauvagement” ne signifie pas que tout est mauvais. La désinhibition peut aussi être un moteur de solidarité et de libération.
Internet permet à des victimes ou à des personnes isolées de parler, souvent pour la première fois.
L’anonymat peut protéger des stigmates et ouvrir un espace d’expression salutaire. Un ado qui n’oserait pas parler à ses parents peut demander de l’aide et recevoir parfois des réponses salvatrices.
L’anonymat devient alors un outil de survie.
À l’inverse, et c’est hélas bien plus fréquent, un internaute peut insulter ou menacer sans scrupule, en toute impunité souvent.
Persuadé que son pseudo le protège, il se croit hors de portée de toute conséquence.
L’anonymat devient alors un bouclier pour la violence.
Comme dans les violences intrafamiliales, l’agresseur profite du secret, du silence, du manque de réactivité de la Justice voire de l’absence de témoins.
En ligne, l’anonymat dissociatif masque, protège, encourage la répétition des violences.
En 2023, Lindsay, une jeune adolescente de 13 ans, s’est suicidée après des mois de harcèlement en ligne. Ce geste tragique aurait pu être la fin de son calvaire.
Hélas, même après sa mort, les attaques ont continué. De nombreux internautes ont craché leur venin, commentant son geste de manière malaisante et déplacée.
De la violence supplémentaire rendue possible par la dissociation et l’absence d’empathie.
Ce cas illustre un phénomène bien connu par les victimes : les violences vécues dans la sphère privée (moqueries, isolement, brimades) ne s’arrêtent pas avec Internet. Elles s’y prolongent, s’y amplifient, et deviennent insoutenables.
Protéger les enfants et les victimes de violences, c’est aussi repenser nos usages numériques.
Comment préserver l’espace d’expression des victime tout en reconnaissant et régulant les agressions, les harcèlements et les discours haineux ?
Comment garder l’équilibre entre la dangerosité de l’anonymat dissociatif dans le cyberharcèlement (et son lien avec les violences intrafamiliales), tout en rappelant qu’il reste une porte de sortie précieuse pour les victimes ?
Quelques pistes :
En renforçant la modération et la responsabilité des plateformes.
En éduquant les jeunes (et les adultes) à un usage respectueux du numérique.
En offrant des espaces d’anonymat protégés pour les victimes, encadrés par des professionnels.
En soutenant les parents protecteurs et les associations qui agissent sur ces terrains.
L’anonymat dissociatif ne doit pas être un permis de nuire, mais un outil de protection.
Vous pouvez lire également notre article sur le grooming qui aborde les problématiques de cybercriminalité.