Archives dans 19 mai 2021

Inceste : les mécanismes du silence

Inceste : les mécanismes du silence

« Il y a pour tout le monde une incorporation de la peur et de la grammaire du silence autour de l’inceste.
Le véritable interdit ou tabou de l’inceste, ça n’est pas de le commettre, puisque ça arrive partout, tout le temps, mais c’est d’en parler. »

Dorothée Dussy

Un silence assourdissant

Le silence qui entoure l’inceste est puissant.
Déjà, parce que les victimes subissent sans oser ou pouvoir parler.
Mais le silence le plus puissant est celui de la famille. Car il est là le problème.
L’incesteur fait partie de la famille, du cercle des proches.
Parfois les victimes parlent, mais c’est encore pire.
Ce sont elles qu’on met dehors de la famille, car c’est d’elles que vient le « désordre »… La personne qui dénonce devient le traitre.
La pression sociale actuelle est telle que beaucoup de familles préfèrent préserver les apparences d’une famille normale plutôt que protéger les enfants.

Le silence des victimes

Il existe une foule d’explications au silence des victimes. En voici quelques-unes :

  • Leur âge. L’âge moyen des victimes d’inceste est de 9 ans. A cet âge, on ne comprend rien à la sexualité et donc à ce qui vient de se produire. Les enfants sont sidérés par leur viol.
  • L’injonction impérieuse au secret. Les incesteurs imposent facilement le silence. Souvent, il n’y a même pas d’ordre formulé. Les enfants savent qu’il ne faut rien dire.
  • La verbalisation difficile. Les enfants n’ont pas de mot pour dire la sexualité. Et quand ils s’expriment, les propos sont décalés par rapport à la violence subie.
  • La culpabilité. De n’avoir rien dit, de ne pas avoir su stopper, de craindre d’être responsable…
  • La peur, la honte, le sentiment d’être les seuls à subir ces viols… Les raisons du silence sont presque infinies.

De plus, parfois quand les victimes parlent, on refuse de les croire, on les soupçonne d’inventer.
Les victimes sont dévastées et doivent vivre avec cette douleur et cette construction déviée.

Le silence des proches

Là aussi, nombreuses sont les explications au silence des membres de la famille.

  • Un tabou qui se répète. Il est extrêmement fréquent que l’inceste surgisse dans des familles qui l’ont déjà connu. Les membres du clan ont grandi en étant victime ou en ayant côtoyé une victime. L’injonction au silence est déjà intégrée. Tout le monde est élevé pour se taire.
  • Un manque de réaction. Quand les victimes parlent, souvent, il ne se passe rien. Les adultes informés ne questionnent pas, n’agissent pas. C’est le silence qui accueille les révélations.
  • Le mode survie. Les membres de ces familles bancales privilégient leur propre protection à celle des (autres) victimes, et cela passe par le silence. Les adultes ne protègent pas car ils en sont incapables.

Libération de la parole

Pourquoi certaines victimes parviennent à briser ce tabou et d’autres non ? Une fois de plus, les raisons sont nombreuses.

  • Un trop plein de souffrance, sans réussir à compenser. Il faut que ça sorte !
  • La peur que l’incesteur s’en prenne à d’autres gens
  • La libération par la mort de l’incesteur
  • L’arrivée d’un bébé
  • Une thérapie
  • Une mémoire retrouvée
  • Un regain de force pour affronter son passé

Le pouvoir de la parole

Quand les victimes trouvent le courage et l’énergie de parler, quand on accueille leurs propos, le cercle incestueux familial cesse. Les enfants des victimes qui ont dénoncé leur calvaire ne connaitront pas celui-ci.
Cette bonne nouvelle se limite toutefois à cette descendance-là. Les bénéfices ne sont pas poreux au reste de la famille. Celle-ci reste dans le silence. Et il est probable que les violences sexuelles faites aux enfants continuent en leur sein.


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Qui sont les incesteurs ? Tentative de portrait type

Qui sont les incesteurs ?

Un incesteur est un homme commun

On peut difficilement l’envisager mais c’est une réalité. Il y a tellement d’incestes perpétrés en France que nous connaissons forcément les auteurs de ces violences, les incesteurs. Statistiquement, tout le monde en a rencontré. Très probablement, on a apprécié leur compagnie, leur humour, leur professionnalisme…
96% des humains qui commettent des incestes sont des hommes. Ils seraient environ 1 million, rien qu’en France.
Après leur journée de travail ou leur séance de tennis, ces individus vont utiliser comme objet sexuel un ou plusieurs enfants de leur famille.

Un incesteur est protégé par sa famille

Les incesteurs ne sont pas des individus monstrueux, impossible à cerner, des ogres, des sociopathes. Un incesteur est au contraire un individu banal, vivant une vie classique, bien inséré socialement. Pourtant, cet homme se permet de disposer du corps d’enfants pour ses envies sexuelles.
Quand la vérité est exposée, très souvent, les relations familiale avec l’incesteur ne sont pas altérées. Non seulement les victimes ont d’immenses difficultés à être soutenues et entendues. Mais ce sont souvent elles qui se retrouvent exclues du cercle familial. Les autres continuent de voir l’incesteur.
Ce qui pose problème à la famille est moins l’acte que son dévoilement. La victime qui a parlé est jugée pour avoir apporté l’opprobre.

Un incesteur est un dominateur

La grande caractéristique des incesteurs, c’est leur volonté d’écrabouiller leurs victimes.
L’agresseur a besoin de dominer. L’inceste représente un paroxysme de domination, puisque la relation entre un adulte et un enfant est totalement asymétrique.
Même dans le cas d’inceste entre mineurs, il n’existe pas de jeux de découverte sexuelle comme on le fantasme souvent. Si c’était le cas, ces incestes auraient lieu entre enfants du même âge, entre égaux.
Dans la réalité, il s’agit toujours d’une agression envers un enfant plus jeune. Et d’envie forte d’écrabouiller l’autre.

Un incesteur est rarement un pédophile

On pourrait imaginer que ces deux criminels ont des profils similaires, qui expliqueraient cette violence faite aux enfants. Pourtant, ce sont des prédateurs sexuels qui se construisent différemment.

Le pédophile se fabrique une étrange histoire d’amour, de séduction et de plaisir soi-disant partagé avec sa victime mineure.

L’incesteur recherche le pouvoir. Il n’est pas du tout dans un schéma de séduction. Il recherche la domination et donc l’écrabouillement de sa victime.
Si d’aventure, il s’imagine que celle-ci prend un quelconque plaisir, cela peut redoubler sa violence.

Un incesteur est un opportuniste

Un incesteur commet le plus souvent des viols d’aubaine. Quoi de plus pratique que d’agresser sexuellement un enfant qu’on a sous la main pour satisfaire une envie.
Pour résumer très très cyniquement, un enfant est facile à convaincre, facile à manipuler, il a moins de force qu’un adulte, il ne coûte pas cher, on n’a pas besoin de le séduire et il n’ira pas porter plainte…

Un incesteur n’a pas de pulsion

Un des mythes attachés aux violences sexuelles est cette notion de pulsion. Les violeurs comme les incesteurs ne sont pas sujets à des pulsions contre lesquelles ils ne pourraient pas résister…
Si ces pulsions sexuelles existaient, ces violences auraient lieu n’importe où, n’importe quand. C’est l’inverse. Leurs actes sont précautionneux, prémédités, réfléchis.
L’appropriation sexuelle consciente des personnes vulnérables dans la famille est juste une façon d’affirmer sa domination.

Un incesteur a souvent un passif d’enfant incesté


Un tiers des incesteurs ont vécu ces mêmes violences enfants. Sans doute plus, mais les incesteurs ne s’en souviennent pas toujours en raison d’une amnésie post-traumatique (APT), un mécanisme de défense qui fait disparaître tout souvenir trop douloureux de la mémoire.
Leur propre enfance bafouée n’a pas été réparée et ce traumatisme peut alors conduire ces hommes à des comportements déviants.
Cette ancienne victime va reproduire ce qu’elle a elle-même vécu, souvent au même âge et de la même façon.
Cette information ne leur retire aucune responsabilité mais apporte des explications.


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L’invention du syndrome d’aliénation parentale

L'histoire de l'invention du syndrome d'aliénation parentale

L’histoire du SAP, le syndrome d’aliénation parentale est intimement liée à son créateur, Richard Gardner

Richard Alan Gardner, psychologue américain né en 1931, est considéré comme l’inventeur du syndrome d’aliénation parentale.

Il a créé en 1987 cette théorie en s’appuyant sur ses observations personnelles de familles vivant des conflits de garde d’enfants.

Richard Gardner possède son cabinet de consultation à la Colombia University mais il gagne sa vie autrement. Il est utilisé comme expert psy par des avocats qui défendent principalement des pères accusés d’abus sexuels sur leurs enfants. Il est grassement payé à chaque victoire.

Gardner explique devant les juges que les dénonciations des enfants sont dans la majorité des mensonges fomentés par la mère.

L’enfant est manipulé par celle-ci dans le cadre du « conflit parental ». Il s’agirait d’un mécanisme d’autodéfense des mères pour pouvoir conserver la garde de leurs enfants.

Gardner publie plusieurs articles et établit alors le syndrome d’aliénation parentale (SAP), qui est décrit comme une manipulation de l’enfant qui, de manière continue, rabaisse et insulte un parent sans justification.

Les profils types de ces manipulateurs, selon Richard Gardner, sont très schématiques

Le parent aliénant cherche à se venger de l’autre parent par l’intermédiaire de l’enfant dont il « lave le cerveau ».

Quant à l’enfant, il a une absence de culpabilité face aux conséquences potentielles de ses accusations.

Gardner recommande une grande rigueur voire une certaine brutalité envers les enfants dit aliénés, moyen de les libérer de l’envoûtement qui les oppresse…

Gardner crée alors une liste de 83 critères qui lui permettent d’échelonner l’aliénation de l’enfant par le parent manipulateur (qui est presque toujours la mère selon lui). A la fin, on obtient un score final qui détermine le degré d’aliénation parentale.

Les critiques des confrères arrivent rapidement. La plus importante est celle de l’absence de démarche scientifique.

La sélection de ces critères part d’a priori de Gardner  et de ses convictions. Son échelle de mesure est donc jugée peu fiable et trop sujette à interprétation personnelle.

Le souci, c’est que Richard Gardner a des croyances effrayantes.

C’est un défenseur de la pédophilie.

Il minimise l’impact de ce type d’abus sur les victimes, banalise la pratique et cherche souvent à la justifier.

Dans son livre « True and false accusations of child sex », Gardner déclare que « la pédophilie a été considérée comme étant la norme par la vaste majorité des individus dans l’histoire du monde » et qu’il s’agit là « d’une pratique largement répandue et acceptée parmi littéralement des milliards de personne. »

«  De nombreuses sociétés ont été injustement répressives à l’égard de ceux qui ont des tendances sexuelles paraphiles et n’ont pas prêté attention aux facteurs génétiques qui peuvent les expliquer. Prendre en considération cette dimension pourrait permettre de mieux tolérer ceux qui ont des penchants sexuels atypiques. J’espère que cette théorie permettra de mieux comprendre et respecter ces individus qui par ailleurs jouent un rôle dans la survie de l’espèce. »

Gardner « True and False Accusation », note 27, 670

«  L’enfant victime d’agressions sexuelles est généralement tenu pour une victime alors que l’enfant peut parfaitement initier des rencontres sexuelles en ‘séduisant’ l’adulte. »

Gardner, R.A. (1986), « Child Custody Litigation: A Guide for Parents and Mental Health Professionals », p 93

Selon lui, les abus sexuels n’auraient pas forcément des conséquences traumatisantes pour les enfants concernés, les effets dépendraient des attitudes sociales vis-à-vis de la pédophilie. Plus on se détendrait sur le sujet, moins les enfants en souffriraient. Mais pourquoi n’y avait-on pas pensé avant !!

Malgré les fortes controverses au sein de la communauté scientifique, le syndrome d’aliénation parentale gagne du terrain

Pire, le syndrome d’aliénation parentale fait des ravages dans les affaires de pédocriminalité.

Il permet de ne pas tenir compte des paroles des enfants victimes ou de celles du parent protecteur (presque toujours la mère).

A cause du syndrome d’aliénation parentale, encore aujourd’hui, de nombreuses affaires d’inceste sont classées sans suite (malgré les dossiers médicaux…). Pire, on voit de plus en plus d’enfants retirés au parent protecteur puis confiés à l’abuseur qui devient la victime aux yeux de la Justice.

Les psychologues et les psychiatres sont témoins des dégâts majeurs provoqués par l’utilisation du SAP lors des séparations parentales.

Une ré-information est en cours.

Dans une réponse ministérielle du 12 juillet 2018, le Ministre de la Justice annonce la publication d’une note sur le site de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau, destinée à informer les magistrats sur le caractère « controversé et non reconnu » du syndrome d’aliénation parentale.

La Catalogne vient d’inscrire dans sa loi que l’usage du syndrome d’aliénation parentale est désormais considéré comme une violence institutionnelle. Et le procureur général de la Cour de cassation à Rome a condamné l’usage de ce concept.

Mais encore beaucoup trop de magistrats utilisent le concept d’aliénation parentale pour justifier la condamnation du parent protecteur pour délit de non représentation d’enfant.

Ainsi par exemple en novembre 2019, une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) qui demandait une réforme du délit de non représentation d’enfant a été rejetée : la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la résistance de l’enfant est due à  l’ « instrumentalisation » de l’enfant par le parent  : «chaque parent devant faciliter l’exercice des droits de l’autre parent, sans instrumentalisation de l’enfant » (Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 novembre 2019, 19-83.357) (voir à ce sujet nos articles La chambre criminelle s’intéresse-t-elle aux droits des enfants ? et Pourquoi faut-il réformer le délit de non représentation d’enfant ? )

Les institutions françaises doivent évoluer, c’est urgent !


Sources et liens utiles

Les dégâts collatéraux de l’affaire Outreau

Les dégâts collatéraux de l'affaire Outreau

Le fiasco judiciaire de l’affaire Outreau a des conséquences néfastes encore aujourd’hui sur le système judiciaire.


Rappel des faits


En 2000, à Outreau, 4 enfants confient à leur assistante maternelle que leurs parents (les Delay) leur ont fait subir des violences sexuelles. Lors de l’enquête, on se rend compte que ces enfants auraient été abusés également par des voisins et d’autres adultes car leurs parents les faisaient tourner dans des réseaux pédophiles. Leur cauchemar a duré un minimum de 4 ans. On apprend rapidement que d’autres enfants sont aussi les victimes de ce réseau.

Lors du premier procès, en 2004, les parents, les voisins (qui ont reconnu les faits) et 6 autres personnes sont condamnés. Dix-sept enfants sont partie civile et douze seront finalement considérés comme victimes, dont les quatre enfants du couple Delay.

Lors du procès en appel, en 2005, la mère innocente les 6 autres adultes (puis se rétracte). Mais surtout la parole des enfants est remise en question et apparaît désormais comme vague et contradictoire.
On parle de fausses allégations, c’est la parole des enfants contre celle de ces adultes. Au final, les six personnes condamnées en première instance sont toutes acquittées.
Au terme de l’affaire Outreau, le drame et le scandale qui secouent la France sont cette terrible tragédie : des adultes ont été accusés à tort par des enfants ! Dorénavant, la Justice retiendra qu’il faut se méfier de la parole des enfants.

Tragédie à 2 vitesses


Pourtant, dans cette histoire, ces 12 enfants ont bien été reconnus victimes de viols, d’agressions sexuelles et de corruption de mineurs par celle-ci. D’ailleurs, ils seront indemnisés à hauteur de 30 000€ chacun.
A titre de comparaison, les adultes acquittés recevront jusqu’à 1 million d’euros par personne à l’issue des négociations entre leurs avocats et la chancellerie. De nombreuses personnalités judiciaires s’excuseront devant eux, ainsi que le président Jacques Chirac.
Ils seront considérés comme les véritables victimes.
La justice a davantage dédommagé les injustices faites aux adultes que les violences sexuelles odieuses et dévastatrices faites aux victimes mineures.

« On n’a jamais menti, ça je préfère encore le dire. Beaucoup de personnes nous ont traités de menteurs, nous ont abimé la santé et nous ont rabaissé plus bas que terre.
Les choses qui ont été dites ne s’inventent pas. Les dessins et les versions qu’on donnait, il y a beaucoup de choses qui ne peuvent pas s’inventer. J’ai été reconnu victime, mais pas entendu. Pas suffisamment. Ne serait-ce que quand on compare la modique somme qu’on a touchée par rapport à ce que les acquittés ont touché, c’est invraisemblable. »

Jonathan Delay, un des enfants du couple Delay, au micro de France Inter

Des conséquences terribles

En septembre 2018, un rapport officiel montre l’évolution des condamnations des violences sexuelles entre 1994 et 2016. A la fin du second procès Outreau en 2005, la courbe des condamnations se casse. Le nombre de condamnations pour atteinte sexuelle sur mineur baisse de 23% alors que les plaintes augmentent.

Les droits des enfants en ont pâti immédiatement

Il y a un avant et un après Outreau dans le monde judiciaire. Les magistrats ont été traumatisés par ce fiasco et la condamnation populaire. Au lieu de réagir et de chercher les solutions à cette déroute et à toutes les failles révélées, c’est la sidération qui les a gagné. Eviter les vagues, plutôt que d’améliorer le système.

Tout est devenu confus et la seule croyance qui s’est installée durablement, c’est que des adultes sont accusés à tort par des enfants. Cette confusion n’est toujours pas réglée et tout cela se paye encore aujourd’hui par la défiance vis-à-vis de la parole des enfants et donc la diminution des condamnations des adultes maltraitants.


Ce retour en arrière réel et puissant des droits de l’enfant depuis l’affaire Outreau est aggravé par une autre triste réalité.

En 2003, un rapport de L’ONU indiquait que dans notre pays les violences sexuelles sont NIÉES de manière SYSTÉMIQUE ! L’enquête met en lumière une silenciation des victimes propre à la France. Les sévices sexuels contre des enfants ne sont pas plus courant en France qu’ailleurs, pourtant beaucoup de professionnels continuent de nier l’existence et l’ampleur de ce phénomène. Statistiquement, les personnes qui signalent des cas de violences peuvent davantage se voir accuser de mentir ou de manipuler les enfants.

Dans les pays alentours, les condamnations progressent. En France, elles régressent. Et depuis Outreau, c’est pire.


Il faut que cela change !


Conseils de lecture / écoute