Avec la participation de Aurore Malet-Karas, Docteure en neuroscience et sexologue
Des expertises psychologiques défaillantes
Les expertises psychologiques mandatées par la justice jouent un rôle crucial dans les affaires de violences intrafamiliales. Elles éclairent les magistrats sur leur prise de décision (classement sans suite ou poursuite pénale, droit de garde, placement…) et sur le retentissement personnel des situations qu’ils doivent étudier.
Ces expertises sont les pierres angulaires des procédures et sont cruciales pour la protection des personnes et la prévention de la récidive. Hélas, elles nous sont fréquemment signalées comme ne reflétant pas la réalité des situations.
Cela aboutit à des conclusions mal ou non motivées et biaisées grandement préjudiciables.
Qu’est-ce qu’une expertise psychologique ?
La personne à expertiser est reçue par un psychologue afin de réaliser un ou plusieurs entretiens comprenant :
- Un entretien généraliste (vie personnelle, professionnelle, affective…)
- Un entretien clinique qui permettra de questionner la psychopathologie de la personne (émotions, anxiétés, phobies, sociabilité, affectivité, empathie, notion du bien et du mal, discernement, troubles dépressifs…).
- Ces entretiens peuvent être complétés par des tests de personnalité, QI…

Ces entretiens permettent de définir un profil psychologique de la personne.
Si la personne est une victime de violence sexuelle, l’expertise pourra montrer d’éventuels troubles psycho traumatiques ou de stress post traumatiques sur le long terme (dissociation, troubles de la mémoire, du sommeil, anxiété…).
Quels sont les points à repérer pour contester une expertise psychologique?

- L’expert psy doit être sur la liste des experts agréés près la Cour d’appel.
- L’expert doit répondre (uniquement) à la question posée par le juge. Par exemple, l’honnêteté du récit, les séquelles des violences subies, les capacités parentales…
- Le psychologue doit être neutre, impartial, il ne doit pas donner des jugements de valeur. Ex : « personnalité manipulatrice, elle exagère, elle n’est pas normale… », qui sont des valeurs morales, ou sociétales. Il doit se limiter à son champ de compétence. Nous ne devrions pas y lire « je conseille un placement chez le père… ». Auquel cas l’expert risque d’influencer le magistrat de manière injustifiée.
- L’évaluation de la personne devrait se faire sur des bases scientifiques solides, avec des méthodes fiables, des tests standardisés et des échelles de mesures concrètes. Un entretien clinique n’est souvent pas suffisant. Il existe par exemple des tests cognitifs, des échelles de stress, des échelles de personnalité, comme les tests BDI-II (état émotionnel) et PCL-5 (pour les signes de stress post traumatique). L’expert devrait, quand il le peut, citer des sources scientifiques, articles médicaux ou autre pour appuyer ses propos.

Les psychologues cliniciens uniquement psychanalystes vont utiliser des méthodes de compréhensions de l’individu plus subjectives et cela donnera une expertise moins structurée.
L’expert ne doit pas confondre personnalité dysfonctionnelle, fragile et symptôme de stress post traumatique (comme la sidération, la dissociation…).

Il ne doit pas perdre de vue que l’origine d’un trouble peut être la violence (comme l’hypervigilance…).
Il est donc préférable que les expertises soient basées sur des approches TCC (Thérapie Cognitivo Comportementale) ou psychométriques.
Attention également à certains tests psychologiques décriés par les scientifiques comme le test de Rorschach.

Le test de Rorschach… présente une fidélité inter-juges variable selon les études (entre 0.40 et 0.85), ce qui signifie que différents psychologues peuvent interpréter très différemment les mêmes réponses.
« L’expertise psychologique contredite : enjeux et défis dans le système judiciaire français » du site de avocats-emergence
Comment repérer les biais cognitifs ?
Un expert défaillant est aussi un être humain et aura à souffrir des mêmes biais cognitifs que tout un chacun.
Voici certains biais que la Psychologue Aurore Malet-Karas explique très bien dans son livre « cerveau, sexe et amour » :
–Les biais de stéréotype : par exemple, les femmes devraient être douces, les hommes conquérants…Une femme qui s’occupe bien de ses enfants ne sera pas remarquée alors qu’un homme qui s’occupe bien de ses enfants sera encensé.
–Les biais de surestimation : les experts peuvent avoir tendance à surévaluer leurs compétences en victimologie même s’ils n’ont suivi aucune formation. Il convient donc de vérifier leur cursus.

– Les biais de confirmation : c’est la tendance à ne prendre en compte que les éléments qui soutiennent notre opinion de départ et à minimiser ou nier les autres. Cela fait écho au raisonnement panglossien que l’on voit régulièrement dans les conclusions d’audiences qui se passent mal. Seules les preuves qui soutiennent les idées préconçues de départ sont prises en compte. (Ex : La mère est instable, ment, est sur-protectrice…). Il est ainsi très facile de prendre pour certain une hypothèse de départ non démontrée par des moyens scientifiques. Autre exemple courant : « la mère souffre peut-être d’un syndrome de Münchhausen par procuration ». Ce syndrome est une pathologie extrêmement rare et difficile à diagnostiquer : si un.e magistrat.e pense en avoir vu beaucoup chez les mères qu’il.elle rencontre en audience, c’est qu’il.elle se trompe.
–Les biais des coûts irrécupérables : lorsque l’on prend une décision qui finalement ne nous convient pas, on va avoir tendance à continuer dans la même direction pour ne pas perdre le temps ou l’argent qu’on a déjà mis en jeu. Un expert aura rarement la possibilité cognitive de remettre en question son expertise.
Le site de avocats-emergence nous renseigne sur d’autres biais :
–l’effet de halo : étendre une impression générale à l’ensemble des caractéristiques évaluées. Par exemple : La personne est belle ou diplômée, alors elle doit être honnête et morale.
–le biais d’ancrage : il concerne l’influence excessive des premières informations reçues.
Par exemple si une mère victime ou protectrice arrive épuisée, on aura tendance à retenir cette image première plutôt que d’aller chercher les faits.
–l’effet Barnum : très utilisé en pseudo-sciences, par exemple un profil astrologique est assez vague pour que cela convienne autant aux taureaux qu’aux gémeaux. On le retrouve fréquemment chez les experts qui font trop de copier collés, où la formulation des conclusions est assez vague pour être adaptable au plus grand nombre.

D’où l’importance des protocoles standardisés, avec des mesures concrètes et validées par la science actuelle.
Comment contester une expertise ?
1-Le commentaire d’expertise et la contre-expertise : vous pouvez faire relire l’expertise par un expert compétent qui pourra rédiger des conclusions que vous pourrez utiliser devant un magistrat pour prouver le manque de professionnalisme de la première expertise et éventuellement demander une nouvelle expertise, une contre-expertise avec un autre expert plus approprié.
2-L’expertise privée : vous pouvez réaliser une autre expertise chez un psychologue compétent. La comparaison des méthodes de travail et des conclusions pourront éventuellement vous aider à discriminer la première expertise, si le magistrat est enclin à prendre en compte cette nouvelle pièce.
3- Soulever les nullités en cas de non-respect du contradictoire ou de partialité manifeste.
Les expertises psychologiques ont un impact déterminant sur les décisions de justice. Leur fiabilité doit être garantie par des pratiques fondées sur la science, la neutralité et la rigueur méthodologique. Des contrôles accrus et des recours facilités sont indispensables pour éviter les erreurs judiciaires et mieux protéger les victimes.
Sources :
Le livre « cerveau, sexe et amour » de la psychologue Aurore Malet-Karas (pour les biais cognitifs)
https://www.psychologue.net/articles/lexpertise-psychologique-du-psychologue-judiciaire
https://www.cabinetaci.com/expertise-psychologique-role-cle-en-affaires-sexuelles/
Les textes de la psychologue Barbara Para dans village-justice :
Vous pouvez trouver d’autres ressources utiles sur notre site.
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