… et 33 procédures judiciaires
Khatidja, victime de violences conjugales, cherche à se protéger elle et ses enfants.
Elle a vécut 8 ans de violences conjugales et 33 procédures procédures judiciaires.. et ce n’est pas fini.
Ce témoignage montre combien les violences conjugales et les violences faites aux enfants sont imbriquées.
Combien il est difficile de protéger ses enfants.
Qu’une femme qui bénéficie d’ordonnance de protection ou de téléphone grave danger doit les renouveler régulièrement et qu’entre temps elle n’est plus protégée.
Qu’il n’y a pas de coordination entre les juridictions (Juge aux affaires Familiales, Juge des Enfants, pénal Juge d’Instruction).
Quand les victimes cherchent à se protéger et à protéger leurs enfants, elles rentrent dans des méandres juridiques qui durent de longues années, leur parcours est semé d’embûches.
Les victimes découvrent la violence institutionnelle.
Khatidja a pu se sortir des violences conjugales et familiales, mais au prix d’une énergie et d’une ténacité hors norme. 33 procédures judiciaires et ce n’est pas encore fini… ce n’est pas normal…
1978 – Naissance de Khatidja en Inde, aimée et choyée par sa mère mais rejetée par son père car elle nait fille.
Sa mère victime de violence conjugale se bat pour sauver la vie de ses enfants et la sienne. Khatidja et elle finissent par migrer en Afrique puis en France.
Khatidja grandit dans le manque de confiance en soi, persuadée d’être moche.
En 2002, elle rencontre son futur mari.
En 2005, ils se marient en Inde. Khatidja pressent que ce n’est pas un bon humain, mais elle se sent coincée, acculée. Elle pense ne pas mériter mieux.
La même année, elle tombe enceinte et les violences psychologiques commencent.
A trois mois de grossesse, pour se protéger, elle quitte pour la première fois son mari.
Nov. 2006 – Naissance de sa fille ainée. Eprouvée par sa situation, fatiguée physiquement et psychologiquement, Khatidja décide de laisser une seconde chance à son couple. Elle retourne vivre avec lui.
Une fois la porte refermée, il déclare « maintenant, c’est moi qui décide ».
Le piège se referme à nouveau. Son mari ne travaille pas, il se fait entretenir tout en veillant à ce qu’elle limite ses contacts extérieurs. L’homme est également humiliant, méprisant.
Les violences psychiques s’intensifient et les violences conjugales physiques commencent à l’arrivée de leur troisième enfant (juillet 2010) où au sortir de la maternité, elle se prend une gifle. Son mari lui explique qu’elle est responsable des coups qu’elle reçoit et qu’il ne s’en excusera jamais.
Ce sont ses 3 enfants qui donneront à Khatidja la force de tenir pendant 8 ans. Au quotidien, elle met en place une stratégie d’évitement pour limiter la violence conjugale qui pleut sur elle.
Son mari cherche à lui faire croire qu’elle est folle. De son côté, elle s’organise pour collecter toutes les preuves disponibles.
16 Juin 2013 – Son mari la roue de coups, lui crache au visage et déclare « tu n’es qu’une merde ».
Cette énième atteinte à son humanité la pousse à passer à l’acte. Khatidja prétexte de devoir aller au travail pour dérouler son plan de sauvetage. Porter plainte, obtenir des certificats médicaux de ses traces de coups, confier ses documents officiels à une amie… La vapeur s’inverse enfin. Son mari fait même 48h de garde à vue.
Avec l’aide d’une association, elle parvient à se reloger accompagnée de ses 3 enfants. Elle obtient également une première ordonnance de protection et la garde exclusive, avec une interdiction d’approcher pour son mari.
Les combats juridiques commencent aussi. Khatidja découvre les vides juridiques entre deux périodes de protection. Elle entre en extrême vigilance pour faire face au chantage, aux pressions constantes de son mari et à ses menaces de mort. La police intervient régulièrement pour constater les mises en scène de celui-ci visant à la décrédibiliser.
En moyenne, elle reçoit 70 appels et 200 messages par jour. Tout ceci est épuisant et très éprouvant. Elle réussit à le faire condamner pour harcèlement (10 mois de prison avec sursis…) en 2015, avec une mise à l’épreuve avec interdiction de rentrer en contact par quelques moyens que ce soit, pour 3 ans.
Khatidja cherche à mettre de la distance entre elle et son mari pour protéger les siens. Une structure nantaise spécialisée dans la protection des victimes de violences conjugales l’accueille un temps mais son mari retrouve leur trace à cause de l’autorité parentale conjointe, remettant leur sécurité en cause.
En février 2016, il porte plainte pour non représentation d’enfant.
Des visites médiatisées avec les enfants sont mises en place. En même temps, Khatidja bénéficie une nouvelle fois du téléphone Grave Danger (connecté 24h/24 au commissariat), ce qui indique la dangerosité.
Pourtant, suite à la plainte du père, Khatidja est reconnue coupable par le Tribunal correctionnel. Elle voulait simplement protéger ses enfants des violences conjugales et familiales. Elle fait appel.
En parallèle, son mari fait un signalement, accusant Khatidja d’être alcoolique, prostituée, etc… Une enquête est donc menée pour savoir si elle est une « bonne mère ». Cette même enquête se retourne contre lui et démontre son « caractère dangereux et toxique ».
Début 2016, la protection de l’enfance saisit le juge des enfants et l’Aide sociale à l’enfance prend les enfants en charge en organisant à nouveau des visites médiatisées.
Les visites médiatisées s’interrompent rapidement suite à l’agression des éducatrices par le père. Une AEMO est mise en place.
D’audience en audience, Khatidja doit faire face aux contradictions des décisions judiciaires. Entre les interventions de nombreux juges et le manque de coordination, les sentences sont parfois aberrantes, quand on sait la violence du mari. On mesure combien il est difficile pour une victime de violences conjugales de se protéger au long terme.
Octobre 2018, on touche le fond. Le père se fait passer pour mort. L’annonce est faite aux enfants sans que les professionnels vérifient le certificat de décès. C’est Khatidja qui insiste pour que quelqu’un aille vérifier. Le commissariat confirme le soir même que l’homme est toujours vivant…
Elle porte plainte pour violences psychologiques sur mineurs de moins de 15 ans.
Suite à cette mise en scène macabre, l’unité d’accueil des enfants en danger reçoit les 3 enfants et ordonne 10 jours d’ITT (sachant qu’au-delà de 8 jours, une audience au tribunal correctionnel est obligatoire). Trois ans plus tard, il n’y a toujours pas de date pour cette audience…
Pourtant, le tribunal pourrait statuer un retrait de l’autorité parentale au père, ce qui protègerait les enfants de sa violence. Khatidja est protégée des violences conjugales par une ordonnance de protection, mais pas ses enfants.
Avril 2019, le JAF organise une audience où le père ne se rendra pas car il est en prison. En effet, il a menacé le mort le procureur de la république, qui a révoqué toutes ses condamnations de sursis en ferme. Ses droits parentaux sont suspendus et il n’a plus la possibilité de rentrer en contact avec les enfants. La violence contre le procureur a permis de protéger enfin les enfants, ce que n’avaient pas permis les violences conjugales.
Juillet 2019, il écrit de prison à ses enfants (alors que l’adresse de Khatidja est sensée être secrète car protégée) : « Les enfants, ayez la foi, c’est bientôt fini « …
Khatidja, suite à cette nouvelle pression, a 30 jours d’ITT. Elle quitte Nantes pour Avignon où elle espère retrouver un peu de paix.
Janvier 2020, son mari sort de prison.
Mars 2020, l’audience correctionnelle de Pontoise suite à ses jours d’ITT… RELAXE son mari ! Elle ne peut faire appel.
Elle écrit alors à la Présidente du tribunal de Pontoise qui a déclaré quelques jours plus tôt » faire de la violence aux femmes sa priorité « .
Le lendemain, le parquet l’informe de son appel, toujours pas statué à ce jour.
Juillet 2020, l’école communique par erreur l’adresse de Khatidja au père qui recommence son harcèlement. Elle obtient immédiatement une nouvelle ordonnance de protection pour violences conjugales, ainsi que son 7ème téléphone Grave Danger.
Avril 2021, Khatidja est relaxée de la condamnation de 2017 pour les Non Représentations d’Enfants, plaidant l’état de nécessité (article122.7 du Code pénal) !
Si Khatidja se sent soulagée de ce verdict, elle reste très méfiante face aux décisions de justice qui peuvent leur porter préjudice à tout moment. Des procédures sont toujours en cours qui menacent encore de la refaire basculer du côté de la double peine des victimes.
Néanmoins, en tant que victime de violences conjugales et familiales elle tient à partager son histoire pour donner un regain d’espoir, un élan positif. Il peut y avoir après un long combat des décisions de justice dignes de ce nom. Ce combat vaut la peine d’être relevé fièrement.
Il est nécessaire de s’abandonner pour se ressourcer en énergie mais il ne faut jamais abandonner.
Khatidja
Pour comprendre le mécanisme des violences conjugales et familiales nous vous conseillons la lecture de notre article « Juge Édouard Durand : violences conjugales et parentalité ».
Laisser un commentaire