Jack a 23 ans. Il parle doucement, en hésitant sur chaque mot.
Il ne veut pas déranger avec son histoire et en même temps, il a un besoin urgent de prendre la parole, de témoigner. Il n’en peut plus du silence.
Son père est un homme autoritaire, qui se complaît dans une position de dominant et ne tolère ni opposition ni discussion.
Il décide. Les autres obéissent. Comme son fils est un “homme”, son père veut le préparer à être le chef de sa famille, celui qui contrôle, qui impose, qui dicte. Mais Jack est sensible.

Et cette sensibilité, son père la broie : un homme ne doit pas pleurer.
Pour que la leçon rentre, les brimades et les coups pleuvent au quotidien.
Son père frappe surtout quand ils sont seuls, à l’abri des regards.
Dans la maison, la terreur est quotidienne et n’épargne personne.
La chambre de Jack n’est pas un refuge : même réfugié sous le lit, il reçoit des coups.
Son père utilise tout ce qui lui tombe sous la main. L’enfant vit dans une vigilance extrême, il observe pour tenter d’échapper à la fureur paternelle. Il apprend à cacher les objets utilisés contre lui pour se protéger.
Protester ne sert à rien.

Résister aggrave les choses.
Le message est clair : “Où que tu ailles, je te retrouverai et je te punirai”.
Jack se souvient des menaces de mutilation physique proférées par son père, comme si son corps n’avait jamais été à lui.
Par exemple, quand il était petit, le père menaçait son fils de lui couper le sexe s’il faisait une bêtise. Jack pensait que c’était une punition en l’air, que c’était impossible qu’un adulte fasse cela. Alors un jour, son père est passé à l’acte symboliquement. Jack avait dû faire un truc qui l’avait mis en rage. Il a alors traîné son fils aux toilettes, lui a ordonné de baisser son pantalon, a sorti une paire de ciseaux. Jack se souvient encore de sa panique totale. Il a hurlé, pleuré, supplié. Son père a fini par s’arrêter… et en a profité pour renforcer la menace. Il a dicté une règle que Jack a dû réciter par cœur : “La prochaine fois, la sanction sera pire, tu dormiras dans les toilettes, puis le jardin, le garage et enfin la rue”. Jack est encore capable de réciter la liste des lieux où il finirait en cas de nouvelle bêtise.

Les violences physiques se combinent quotidiennement à un climat de terreur permanente. Jack peine parfois à se remémorer certains souvenirs, certains sont flous. Mais il n’a aucun doute sur le fait qu’il a vécu un enfermement psychologique délétère.
Parce qu’il se souvient d’être allé jusqu’à vouloir fuguer enfant, sans trop savoir où aller.
Il se souvient de s’être enfermé dans sa chambre, sans que ça n’arrête la fureur de son père. Il se souvient d’avoir été triste, apeuré d’avoir pleuré, et d’avoir été puni pour ça.

Il a retrouvé un carnet rédigé à 12 ans, dans lequel on lit les mots d’un enfant sous pression. Il a contacté une ancienne professeure d’école primaire : elle aussi se rappelle de son anxiété constante. Elle est prête à témoigner.
Des flashs, des bribes remontent et lui serrent le bide… Mais ce sont ces grands trous noirs, ces absences de mémoire qui l’inquiètent vraiment. Les aléas de l’amnésie traumatique sont connus et difficiles à appréhender. Le pire est douloureux à atteindre.
Pendant longtemps, Jack a pensé que ce qui se passait chez lui était la norme.
Ce n’est que plus tard, vers l’adolescence, qu’il a réalisé que d’autres enfances étaient possibles, plus douces et aimantes.

Il comprend aussi qu’il n’est pas le seul enfant à vivre de la violence intrafamiliale, que c’est hélas bien trop fréquent.
Une chose est sûre : il ne se taira plus.
Il redresse alors la tête autant qu’il le peut. Et c’est progressivement ce qui le sauve.
Il souhaite témoigner aujourd’hui, parce qu’il pense que ce qui a pansé un peu ses plaies, c’est d’avoir rencontré des gens qui lui ont montré ce qu’est l’amour, la vie heureuse.
Le respect. Le soin. La sécurité. Pour la première fois, Jack s’est senti aimé pour qui il était. Et enfin capable d’aimer en retour.
Jack avance, il s’est mis à l’athlétisme (jusqu’à être qualifié au marathon pour tous des Jeux Olympiques). Il consulte. Il écrit.

A 23 ans, il souhaite transmettre un message d’espoir pour ceux qui doutent, qui souffrent, ceux qui n’ont pas encore parlé, alors qu’ils ont un besoin d’extérioriser ce qui leur arrive.
Qu’ils sachent que c’est possible de survivre. Et même de vivre.
D’aimer, d’être aimé, d’avoir un avenir.
Jack a besoin de dire que sa vie et celles des autres enfants victimes de violence intrafamiliales ne se résument pas à leur enfance. Il insiste pour témoigner que des histoires de transformation, de résilience existent. On peut apprendre à s’aimer.
Il souhaite aussi rappeler des vérités simples mais cruciales :
📢 L’enfant doit toujours être cru, protégé, soutenu.

📢 Les violences intrafamiliales sont massives, systémiques, et trop souvent ignorées.
📢 Le silence protège les agresseurs, jamais les enfants.
📢 Témoigner, c’est déjà résister.
Cela permet d’ouvrir une porte pour les autres.