Pourquoi la Justice favorise-t-elle le lien avec le père, au dépend des victimes ?

Pourquoi la Justice favorise-t-elle le lien avec le père, au dépend des victimes ?

Parmi les incompréhensions les plus fréquentes rapportées par les victimes de violences intrafamiliales, il y a celle où la Justice favorise le lien entre le père et l’enfant, même dans les cas d’inceste.

Pendant le temps des procédures, les enfants sont tenus d’aller vivre chez leur père ou de le voir dans des lieux prétendus neutres. Cela donne lieu à des scènes traumatisantes d’enfants terrorisés à l’idée d’être confrontés à leur agresseur, fut-il leur papa.

Du côté des mamans protectrices, c’est une aberration. L’image souvent invoquée est celle-ci : si un voisin était soupçonné de violences sur les enfants de la maison d’à-côté, personne ne demanderait que ces derniers continuent de le voir, au nom du maintien des bonnes relations de voisinage ou de la présomption d’innocence…

Parce qu’effectivement, quand une affaire n’est pas encore statuée, c’est souvent le principe de présomption d’innocence qui est invoqué. En France, chaque individu est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. En conséquence, la Justice accepte de remettre un enfant à son père, pourtant accusé par sa progéniture du pire, tant qu’elle n’a pas rendu son verdict au nom du principe de la présomption d’innocence.

Or la présomption d’innocence n’est pas incompatible avec le principe de précaution : on peut vouloir protéger un enfant de son potentiel agresseur, sans pour autant que la condamnation ait eu lieu.

C’est exactement ce qui se passe pour les femmes avec l’ordonnance de protection : la femme est éloignée de son potentiel agresseur, même s’il n’a pas été condamné. Mais les enfants ?

Quand bien même ils n’auraient pas subis directement de violences mais auraient été témoins, et donc victimes, des violences faites à leur mère, dans tous les cas les enfants doivent être protégés.

Pourquoi ne pourrait-on pas appliquer une ordonnance de protection pour les enfants ?

Le Collectif pour l’enfance, qui regroupe 45 associations dont la nôtre, porte ce projet (voir proposition d’amendement législatif).

La CIIVISE également, elle préconise dans son rapport final (préconisation no 26) :

« Créer une Ordonnance de Sûreté de l’Enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste parental vraisemblable. »

La Justice aime « donner une chance » au père, sur l’argument de favoriser le lien père/enfant. Pourtant, on le sait, maintenir un lien entre l’enfant et le parent toxique peut être totalement contre-productif pour l’enfant. A quel moment, un humain accusé de violences peut-il jouer un rôle positif dans la vie de la personne qu’il maltraite ?

Quand la Justice “donne une chance” à un parent violent, elle oublie que la chance lui a déjà été accordée trop souvent par la mère et que ça suffit ! Il s’agit d’un biais de genre qui favorise les pères aux dépens des mères.

Et si on essayait des critères validés par des experts formés aux violences intrafamiliales ?

  • La gravité et la fréquence de la violence sont des facteurs cruciaux. Dans les cas de violence grave, qui mettent en danger la sécurité physique ou émotionnelle de l’enfant, il est généralement peu probable qu’un parent violent puisse être jamais considéré comme un bon parent.
  • La sécurité de l’enfant est la priorité absolue. S’il y a risque, des mesures devront être prises pour protéger l’enfant, en interdisant son droit de visite.
  • La violence peut entraîner des conséquences graves sur le développement émotionnel et psychologique de l’enfant. Les professionnels de la santé mentale recommandent un éloignement total de l’agresseur pour permettre à la victime de s’apaiser et guérir doucement.
  • Pour être un bon parent, il faut avoir la capacité de prendre soin de l’enfant, de répondre à ses besoins émotionnels et physiques, en lui fournissant un environnement stable et aimant. Un parent violent en est dépourvu. Tout comme sa capacité à changer est faible. Peu de pères agresseurs sont disposés à chercher de l’aide, à suivre un traitement et à travailler sur leurs problèmes pour changer leur comportement.

En presque 2024, favoriser le lien père/enfant aux dépens des victimes n’a plus de sens. La diversité des modèles familiaux a démontré que l’important est de prioriser le bien-être de l’enfant dans TOUTES les situations. Ce dernier doit pouvoir grandir dans un environnement sûr et affectueux, et tant pis si cela implique de le séparer de son père violent. Les droits de l’agresseur ne devraient jamais être placés au-dessus de la sécurité et du bien-être de l’enfant.

Quand on perpétue des violences, est-ce qu’on est vraiment un parent ?

« C’est clair que l’agression physique est quelque chose qui abime les liens, ce qui est encore plus intolérable et scandaleux quand on est un parent, avec un devoir de responsabilité et de protection.
Et quand on violente un enfant, on casse plus que toute autre personne l’estime de lui. On lui envoie un message selon lequel il ne mérite pas le respect. Il ne mérite pas d’être préservé dans son intégrité physique. Il peut être détruit.

Et surtout, il peut être détruit par la personne qui apparemment désirait sa venue, qui avait l’air de l’accueillir et lui donner des repères.
Quand un parent blesse et frappe, il indique à son enfant que le monde entier est contre lui et ne l’accueille plus. Et il abime son estime. »

Sophie Galabru, Agrégée et docteure en philosophie
au micro de Grégory Pouy dans l’épisode 287 du Podcast Vlan

Vous trouverez l’ensemble des préconisation de la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) dans notre article  » Les 82 recommandations de la CIIVISE « .

Merci à Édouard Durand pour son immense travail au sein de la Civiise

Merci à Édouard Durand pour son immense travail au sein de la Civiise

Édouard Durand : Un Engagement Inébranlable envers la Protection de l’Enfance

Vous le savez très probablement, le 11 décembre 2023, il a été annoncé que la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise) serait reconduite avec des compétences élargies. Cependant, les coprésidents initiaux, Édouard Durand et Nathalie Mathieu, ont été remplacés. Les nouveaux responsables nommés sont l’ancien rugbyman et responsable associatif Sébastien Boueilh, en tant que président, et l’experte judiciaire Caroline Rey-Salmon, en tant que vice-présidente. Cette décision a été perçue comme surprenante par certains experts et par de nombreuses associations dont la nôtre, compte tenu de l’excellent travail accompli par la Ciivise sous sa première direction.

Avant toute chose, nous souhaitons rendre officiellement hommage à Édouard Durand, dont on ne comprend pas l’écartement de la Civiise tant il a incarné la figure emblématique de la protection de l’enfance dont on a tant besoin.

Magistrat dévoué, il s’est illustré en tant que juge des enfants à Marseille, juge aux affaires familiales, et formateur à l’École Nationale de la Magistrature. Sa carrière, marquée par un engagement profond pour la défense des plus vulnérables, a culminé avec son rôle de vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au TGI de Bobigny et de membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance.

Édouard Durand a toujours été un fervent défenseur de la parole des victimes. « Si la CIIVISE n’est plus l’espace de reconnaissance de la parole des victimes, ce n’est plus la CIIVISE« .

Il s’est battu pour que chaque voix soit entendue et chaque enfant protégé, comme en témoigne son implication puissante dans la Ciivise aux côtés de Nathalie Mathieu.

Nous reconnaissons et célébrons son apport inestimable à la cause et nous regrettons déjà sa persévérance, son intégrité et son esprit innovant.

Merci, Édouard Durand, pour votre passion sans concession et votre dévouement inébranlable à la protection des enfants.

Parallèlement, hélas, nous trouvons extrêmement symbolique le fait qu’il ait été démis de ses fonctions sans explication ni remerciement. Dix membres historiques sont actuellement en train de démissionner, comme Laurent Boyet de l’association Papillons, car “ils ne sauraient faire partie de cette mascarade”.

Nous sommes en droit de nous interroger sur la continuité de la Civiise, alors que ses membres dénoncent un “processus de silenciation” de la part de l’État. Processus qui rappelle étrangement celui des agresseurs que la commission dénonce justement.

La peur est celle d’un retour en arrière alors que les avancées mettent déjà tant de temps et d’énergie à voir le jour. Le travail sans précédent fourni par Édouard Durand et son équipe va-t-il retourner aux oubliettes ?

Sans parler des prises de positions du nouveau duo à la tête de la Civiise qui font déjà couler de l’encre car à rebours sur les préconisations de la commission.

Si le pire n’est jamais certain, il semblerait que les premiers signaux ne soient pas très encourageants.

A quand le retour d’Édouard Durand ??


Ce n’est pas une question de feuille de route, c’est d’abord une question de doctrine, une politique publique du soutien social : « je te crois, je te protège ». La nouvelle organisation ne donne aucune garantie sur cette doctrine.
Dans le communiqué de presse du gouvernement, il n’y a pas un seul mot pour les personnes qui ont confié leur témoignage à la CIIVISE. Les silences sont éloquents, les vides sont parfois à envahir tout l’espace. Pas un mot.

Edouard Durand 12 décembre 2023

Vous pouvez retrouver nos articles concernant les prises de position d’Édouard Durand et le travail de la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) :

Juge Édouard Durand : violences conjugales et parentalité

Rapport CIIVISE : résumé et préconisations supplémentaires

Les 82 recommandations de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants)

Pour en savoir plus sur les violences sexuelles faites aux enfants, nous vous recommandons la lecture de cet article, qui contient beaucoup de ressources et de liens utiles : Repérer, prévenir et agir contre les violences sexuelles faites aux enfants .

Enfin, voici un article qui permet de mieux comprendre le profil des agresseurs : Profil agresseur, dans les violences sexuelles faites aux enfants .

Les 82 recommandations de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants)

Les 82 recommandations de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants)

La CIIVISE est une commission indépendante créée pour enquêter sur les violences sexuelles faites aux enfants en France et formuler des recommandations pour mieux protéger les enfants contre ces violences.

Le Président de la République a annoncé le 23 janvier 2021 le lancement de cette initiative pour deux ans.

La Ciivise a vu son mandat prolongé le 8 décembre 2022 jusqu’au 31 décembre 2023 et nous espérons qu’il le sera à nouveau.

Lundi dernier, elle a présenté son rapport, où elle restitue ces trois années d’engagement, livre son analyse des violences sexuelles faites aux enfants et présente 82 préconisations de politique publique selon 4 axes : le repérage des enfants victimes, le traitement judiciaire, la réparation incluant le soin, la prévention.

Update : la Ciivise a été renouvelée mais hélas avec une autre équipe à sa tête. Nous craignons que que cette version deux de la Ciivise ne soit pas du tout équivalente à la première.


AXE 1 de la Ciivise : Le repérage des enfants victimes

 1 : Organiser le repérage par le questionnement systématique des violences sexuelles auprès de tous les mineurs et auprès de tous les adultes par tous les professionnels

2 : Organiser le repérage pour les tout petits en s’appuyant sur le carnet de santé qui permet de vérifier le suivi médical

3 : Intégrer l’incestuel dans la pratique du repérage

4 : Intégrer les cyberviolences dans la pratique du repérage

5 : Intégrer le repérage des violences sexuelles dans les consultations de jeunes filles mineures pour une IVG et pour toute grossesse précoce

6 : Intégrer le repérage des violences sexuelles dans les consultations à la suite d’une tentative de suicide d’un enfant ou d’un adolescent

7 : Evaluer la mise en œuvre des 2 rendez-vous de dépistage et de prévention à l’école primaire et au collège

8 : Instaurer un entretien individuel annuel d’évaluation du bien-être de l’enfant et de dépistage des violences

9 : Veiller à l’utilisation effective du référentiel de la HAS d’évaluation du danger et du risque de danger et inclure le repérage systématique des violences sexuelles

10 : Rechercher, en cas de mort par suicide, si la personne a été victime de violences sexuelles dans l’enfance

11 : Former tous les professionnels au repérage par le questionnement systématique :

  • En garantissant une doctrine nationale par la formation avec l’outil « Mélissa et les autres » de la CIIVISE ; –
  • En mettant en œuvre le plan de formation initiale et continue des professionnels impulsé par la CIIVISE.

12 : Veiller au signalement des violences sexuelles faites aux enfants (plutôt qu’à la transmission d’une information préoccupante)

13 : Clarifier l’obligation de signalement par les médecins des enfants victimes de violences sexuelles

14 : Systématiser les retours du parquet sur les signalements émis par les administrations et les professionnels

15 : Clarifier et unifier la chaîne hiérarchique du signalement

16 : Créer une cellule de conseil et de soutien pour les professionnels destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d’enfants

17 : Garantir l’immunité disciplinaire des médecins et de tous les professionnels

18 : Renforcer les moyens des services sociaux et des services de santé scolaires de la maternelle au lycée

19 : Veiller à prendre en charge le traumatisme vicariant des professionnels, via l’organisation d’un suivi psychologique individuel ou (et de préférence) collectif (analyse des pratiques)


AXE 2 de la Ciivise : Le traitement judiciaire

20 : Reconnaître une infraction spécifique d’inceste

21 : Créer par la loi une infraction spécifique réprimant l’incestualité

22 : Ajouter le cousin ou la cousine dans la définition des viols et agressions sexuelles qualifiés d’incestueux

23 : Elargir la définition du viol incestueux prévu à l’article 222-23-2 du code pénal et de l’agression sexuelle incestueuse prévue à l’article 222-29-3 du code pénal aux victimes devenues majeures lorsque des faits similaires ont été commis pendant leur minorité par le même agresseur

24 : Généraliser dans toutes les administrations le dispositif de prévention et de protection sur le modèle de la cellule “signal-sports”

25 : Faire appliquer, évaluer la mise en œuvre et renforcer les dispositions de l’article 6 du décret du 23 novembre 2021 afin de garantir la sécurité du parent protecteur en cas d’inceste parental

26 : Créer une Ordonnance de Sûreté de l’Enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste parental vraisemblable

27 : Intégrer l’inceste et toutes les violences sexuelles faites aux enfants dans les schémas départementaux de protection de l’enfance

28 : Créer dans chaque département un service d’investigation, un service d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) et une maison d’enfants spécialisée dans la protection et l’accueil des enfants victimes d’inceste et de toutes violences sexuelles

 29 : Garantir la protection des enfants victimes de violences sexuelles en suspendant toutes formes de visites médiatisées avec leur agresseur

30 : Envisager le domicile de la victime comme critère de compétence pour la procédure pénale

 31 : Veiller à l’information systématique des victimes en cas de dessaisissement d’une procédure par un parquet

32 : Assurer la mise en place de bureaux d’aide aux victimes dédiés aux violences sexuelles faites aux enfants

33 : Généraliser la réquisition aux fins de saisine d’une association d’aide aux victimes dès le début de l’enquête

34 : Garantir le respect des droits de l’enfant victime de violence sexuelle par l’intervention d’un administrateur ad hoc

35 : Assurer l’assistance de l’enfant par un avocat spécialisé dès le début de la procédure au titre de l’aide juridictionnelle sans examen des conditions de ressources

36 : Garantir que les enquêtes pénales soient conduites par des officiers de police judiciaire spécialisés

37 : Prioriser le traitement des enquêtes pour violences sexuelles faites aux enfants

38 : Désigner un interlocuteur référent accessible pour la victime ou ses représentants

39 : Poursuivre le développement des structures spécialisées dans l’accueil de la parole de l’enfant victime en :

  • Déployant sur l’ensemble du territoire national des unités d’accueil et d’écoute pédiatriques, à raison d’une UAPED par département conformément au second plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022 ;
  • Déployant les salles Mélanie, à raison d’une salle d’audition par compagnie dans les zones de gendarmerie ;
  • S’inspirant des dispositifs « barnahus ».

40 : Garantir que toute audition d’un enfant victime au cours de l’enquête sera réalisée conformément au protocole NICHD par un policier ou gendarme spécialement formé et habilité

41 : Vérifier la réalisation de tous les actes d’investigation

42 : Poser un principe d’interdiction des confrontations des victimes avec les agresseurs

43 : Encadrer la pratique des examens médico-légaux intrusifs

44 : Assurer la réalisation des expertises psychologiques, pédopsychiatriques et psychiatriques par des praticiens formés et spécialisés

45 : Évaluer les stocks de procédures en cours en attente de traitement

46 : Renforcer les moyens de l’OFMIN notamment contre la cyber-pédocriminalité et assurer cette compétence dans les services enquêteurs de terrain

47 : Renforcer les moyens des forces de sécurité intérieure

48 : Systématiser le visionnage par les magistrats des enregistrements audiovisuels des auditions de mineurs victimes, avec mention en procédure

49 : Interdire le traitement en temps réel (TTR) en matière de violences sexuelles faites aux enfants

50 : Abandonner la terminologie du “classement sans suite” chaque fois qu’une suite est susceptible d’intervenir ou chaque fois que cette décision n’a pas vocation à être définitive

  • Informer de la possibilité d’une suite judiciaire en réparation devant le juge civil
  • Informer d’une suite administrative, notamment disciplinaire
  • Pour les suites de l’enquête pénale elle-même, créer un avis de suspension provisoire d’enquête qui en informe la victime

51 : Améliorer la notification du classement sans suite à la victime

  • Contrôler et sanctionner le respect de l’obligation légale de notification de l’avis de classement sans suite à la victime
  • Généraliser la pratique des avis de classement sans suite personnalisés
  • Systématiser la notification verbale du classement sans suite à la victime par le procureur de la République ou toute personne désignée par lui, notamment une association d’aide aux victimes
  • Au-delà de la mention des voies et délais de recours sur l’avis de classement sans suite, continuer à informer la victime de ses droits

52 : Prévoir, dans la loi, la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant

53 : Assurer la préparation et la protection du mineur victime au procès en s’inspirant du dispositif québécois « Programme Témoin Enfant »

54 : Faire respecter à l’audience les obligations déontologiques de délicatesse et de modération des avocats de la défense

55 : Veiller à l’égalité des armes et au respect de l’interdiction des confrontations à l’audience

56 : Prévoir le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant

57 : Permettre à la partie civile de faire appel des décisions pénales sur l’action publique

58 : Veiller à ce que les victimes soient informées de la libération de leur agresseur

59 : Étendre la formation des magistrats sur les violences sexuelles sur mineurs à tous les magistrats spécialisés, siège compris, en cohérence avec la doctrine nationale

60 : Déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis contre les enfants


Axe 3 de la Ciivise : La réparation incluant le soin

61 : Garantir des soins spécialisés du psychotraumatisme aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance en mettant en œuvre le parcours de soin modélisé par la CIIVISE

62 : Garantir la prise en charge par la solidarité nationale de l’intégralité du coût du parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme

63 : Garantir une réparation indemnitaire prenant réellement en compte la gravité du préjudice en :

  • Reconnaissant un droit à l’expertise et en l’accordant systématiquement pour une plus juste reconnaissance des préjudices ;
  • Réparant le préjudice sous forme de provision pendant la minorité avec réévaluation du préjudice à l’âge adulte ;
  • Garantissant l’indemnisation par postes de préjudices conformément aux dispositions de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale ;
  • Elaborant un barème d’évaluation de tous les préjudices prenant en compte les effets du psychotraumatisme ;
  • Reconnaissant de façon plus juste le préjudice sexuel ;
  • Reconnaissant un préjudice intrafamilial spécifique en cas d’inceste ;
  • Reconnaissant un préjudice de peur de mort imminente ;
  • Reconnaissant un préjudice spécifique en cas de grossesse issue du viol ;
  • Reconnaissant un préjudice spécifique d’altération handicapante des fonctions cognitives, mentales ou psychiques liée aux violences sexuelles.

64 : Renforcer les droits des victimes en :

  • Garantissant la spécialisation des experts sur les conséquences des violences sexuelles subies dans l’enfance ;
  • Assurant par l’Ecole Nationale de la Magistrature la formation des experts judiciaires sur le modèle de celle créée sur les traumatismes des victimes d’attentats ;
  • Élaborant une mission d’expertise type du dommage corporel en matière de violences sexuelles dans l’enfance ;
  • Utilisant en expertise l’enregistrement de l’audition de l’enfant victime ;
  • Remboursant l’intégralité des frais du médecin conseil ;
  • Rappelant aux psychologues qu’ils peuvent remettre une attestation descriptive à leur patient, et en rappeler les règles de forme et de fond.

65 : Faciliter l’accès aux avocats spécialisés tant dans les violences sexuelles qu’en réparation du dommage corporel :

  1. En référençant les avocats spécialisés ;
  2. En améliorant la prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle.

66 : Améliorer le traitement judiciaire de la demande en réparation du préjudice en :

  1. Complétant systématiquement, pendant l’instruction, l’expertise psychologique par une expertise en évaluation provisoire des dommages ;
  2. Formant au psychotraumatisme les magistrats qui statuent sur l’indemnisation des victimes ;
  3.  Créant des chambres spécialisées sur intérêts civils en matière de violences sexuelles ;
  4.  Créant une commission d’indemnisation dédiée aux violences sexuelles ;
  5.  Dotant les CIVI d’outils de suivi de leur activité, incluant l’identification des indemnisations des victimes dont la plainte a été classée sans suite.

67 : Assurer un soutien durable aux jeunes majeurs confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance victimes de violences sexuelles dans l’enfance

68 : Libérer les victimes d’inceste par ascendant de toute obligation à son égard (obligation alimentaire, tutelle)

69 : Inscrire dans la loi l’empêchement à reconnaissance par l’agresseur de l’enfant issu du viol


AXE 4 de la Ciivise : La prévention des violences sexuelles

70 : Généraliser le repérage des facteurs de risque par tous les professionnels, en particulier :

  • Violences conjugales
  • Grossesse.

71 : Dispenser rapidement des soins spécialisés du psychotaumatisme aux enfants victimes de violences sexuelles au titre de la prévention primaire

72 : Renforcer les dispositifs de prévention et d’écoute comme le numéro STOP des CRIAVS

73 : Renforcer les moyens des services spécialisés pour le suivi socio-judiciaire des agresseurs et garantir une prise en charge centrée sur le mode opératoire

74 : Renforcer l’efficacité du FIJAISV en :

  • Assurant l’effectivité de l’inscription au fichier ;
  • Allongeant la durée de conservation des données inscrites au FIJAISV pour les mineurs au-delà de la majorité ;
  • Permettant aux agents de police judiciaire d’avoir accès à la consultation du FIJAISV ;
  • Facilitant l’accès au FIJAISV lors des recrutements pour des activités mettant en contact avec des enfants et en permettant un contrôle régulier après le recrutement ;
  • Ajoutant l’état de récidive légale sur le FIJAISV ;
  • Créant la possibilité d’effectuer des recherches par zone géographique, afin de faciliter l’identification de suspects pendant les enquêtes.

75 : Interdire systématiquement l’exercice de toute activité susceptible de mettre une personne condamnée pour violences sexuelles en contact avec des enfants

76 : Renforcer le contrôle des antécédents lors du recrutement puis à intervalles réguliers

77 : Organiser le contrôle des établissements accueillant des enfants (de manière préventive, et en lien avec les remontées d’information relatives aux signalements, et les retours d’expérience/plans d’action qui y feront suite)

78 : Former les professionnels au respect de l’intimité corporelle de l’enfant

79 : Assurer l’organisation sur l’ensemble du territoire d’espaces d’écoute et d’échange accessibles à tous (Handigynéco)

80 : Assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge

81 : Organiser une grande campagne nationale de sensibilisation annuelle

82 : Assurer la continuité de la CIIVISE


Au sujet de la CIIVISE, nous vous conseillons de lire également Rapport CIIVISE du 31 mars 2022 : résumé et préconisations supplémentaires .

Comment les agresseurs continuent d’utiliser discrètement le controversé SAP

Comment les agresseurs continuent d'utiliser discrètement le controversé SAP

On le sait, on le répète, le syndrome d’aliénation parentale (SAP) est l’invention d’un psychiatre du siècle dernier, Gardner, par ailleurs critiqué pour ses positions soutenant la pédocriminalité. Le syndrome d’aliénation parentale (SAP) est censé décrire un comportement continu de l’enfant qui rabaisse et insulte l’un de ses parents sans justification. Par exemple, un enfant qui accuse son père d’inceste…  Selon Gardner, ce comportement qui ne nuit qu’au pauvre père est dû à une combinaison de facteurs, dont l’endoctrinement par l’autre parent, la mère manipulatrice et toute puissante…

Depuis, la science est passée par là, il a été prouvé que ce concept de SAP n’a rien de scientifique et que ses arguments sont vagues et subjectifs, sans parler du biais négatif important contre les mères qui dénoncent les abus.

Malgré sa nullité scientifique, le SAP reste un argument apprécié des avocats peu scrupuleux ou misogynes, ainsi que des « experts » et travailleurs sociaux. Mais depuis que des associations, des psychiatres compétents et d’autres professionnels éclairés dénoncent ce faux syndrome et ses conséquences dévastatrices sur les victimes, ces mêmes personnes tentent de jouer profil bas. Elles ont compris qu’il était facile de décrédibiliser cet argument, alors elles le contournent.

Fini le syndrome d’aliénation parentale ! Bienvenue… les synonymes !

La mère n’est plus aliénante. Elle est trop fusionnelle, trop rigide, sans concession, trop protectrice… Les mères influencent, insinuent, profitent, exploitent, utilisent l’enfant pour se venger, l’étouffent… Elles mentent…

Ces expressions ne sortent pas de nulle part. Ce sont celles employées par les défendeurs des agresseurs, celles qui sont martelées lors des plaidoyers et qui convainquent les juges. Sans aucune preuve et visiblement sans aucune honte non plus, ils accusent la « toute puissance maternelle » de n’avoir de cesse que briser la vie des pauvres agresseurs innocents…

S’appuyant sur une vision patriarcale de la société, ces gens affirment avec conviction que la mère place l’enfant dans un conflit de loyauté, qu’elle est atteinte du syndrome de Münchhausen (pour varier les plaisirs), qu’elle transfère son vécu et ses propres angoisses parce qu’elle est paranoïaque, surprotectrice, projective, toxique… Le champ sémantique de la folie est largement exploité :  hystérique, dépressive, manipulatrice. Bref la mère doit se faire soigner…

Voici un extrait de la plaidoirie de la partie adverse d’une maman protectrice, qui a tout perdu suite à cela :

« Madame ose MENTIR ». « Elle veut ÉLIMINER le père de la vie et du cœur de son fils ». « On demande à la justice de supprimer le père » « C’est un homme faible qui se couche devant la puissance de madame ». « Il n’y a qu’une seule façon de sauvegarder l’enfant et faire cesser cette puissance maternelle aliénante ». « Madame développe une argumentation délirante et fantasmée ». « Ce n’est pas la Cour qui va pouvoir lui donner le remède adéquat mais un autre professionnel, elle devrait consulter ». « Il y a beaucoup de choses d’affabulées et destructrices ». « Madame crée des scènes et des histoires inventées »

On pourrait en rire si ce n’était pas aussi pathétique et destructeur pour les victimes.

Il faut en finir avec ce syndrome d’aliénation parentale et toutes ses variantes anti-victimaires, non scientifiques invoquées dans les tribunaux.

Dans son rapport, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) préconise de proscrire le concept de syndrome d’aliénation parentale de tout l’appareil judiciaire. Elle rappelle que cette théorie, qui n’a pas de reconnaissance scientifique dans aucune classification internationale (ni à l’OMS ni au DSM américain), met en danger des enfants victime d’inceste.

Alors pourrait on enfin passer d’une culture de domination des femmes et des enfants à une culture de la protection ?


Vous pouvez aussi télécharger notre livret gratuit « Repérer, prévenir et agir contre les violences sexuelles faites aux enfants« , il fournit des ressources utiles pour les victimes. Et consulter notre articles sur le « Profil des agresseurs, dans les violences sexuelles faites aux enfants« .

4 mesures de lutte contre les violences sexuelles sur mineurs viennent d’être annoncées

4 mesures gouvernementales de lutte contre les violences sexuelles

Suite au rapport de la Ciivise, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, qui a reçu plus de 16.000 témoignages, le gouvernement annonce mettre en place des mesures pour lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants.

  • L’autorité parentale sera retirée de principe dans le cadre d’une condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses sauf mention contraire. On se demande bien pourquoi ce n’était pas encore le cas…
  • Il y aura un renforcement de l’accompagnement des enfants victimes durant tout le processus pénal, en lien avec des associations d’aide aux victimes. Un administrateur dédié en cas de défaillance parentale pourra également intervenir.
  • Une campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles faites aux enfants sera mise en place, à la fois pour le grand public mais également à destination des mineurs. L’idée est d’aider à identifier les violences, qu’on en soit victime ou témoin.
  • Un meilleur accompagnement des professionnels confrontés à cette problématique est également prévu, à la fois une aide à la détection mais aussi une cellule d’appui pour échanger avec d’autres experts.

C’est un très bonne nouvelle mais tout cela doit impérativement être étendu à toutes les formes de violences intrafamiliales !


Vous pouvez trouver ici notre analyse du rapport Ciivise du 31 mars 2022.

Lettre de Anne, ancienne enfant victime d’inceste, lue durant la réunion de la CIIVISE le 16 mai 2022

Lettre de Anne, ancienne enfant victime d’inceste

Chers membres de la Ciivise, cher auditoire,

J’ai assisté à la réunion parisienne de février, sans prendre la parole. Je suis restée profondément bouleversée de découvrir qu’encore aujourd’hui, les enfants victimes d’inceste ne sont pas protégés. Les mères seront nombreuses dans cette assemblée.

J’ai, depuis le début de l’année lu tous les ouvrages traitant d’inceste,

de Dorothée Dussy à Levi Strauss, en passant par Bruno Clavier, Muriel Salmona, Françoise Héritier… J’ai regardé et lu tous les documentaires, à ce sujet. J’ai écouté et réécouté l’ensemble des podcasts pour comprendre, analyser. Les sujets d’actualité : PPDA, Sarah Abitbol, le rapport Sauvadet… J’ai tout écouté, analysé… pour essayer de comprendre ma propre histoire.

Tout s’est passé en plusieurs étapes pour moi, de l’amnésie traumatique, en passant par l’angoisse, les difficultés relationnelles. Tout s’est accéléré en 2018. Je serai brève. J’ai été victime, avec ma sœur jumelle d’inceste et plusieurs hommes de ma famille en sont les auteurs, principalement mon père. Ensuite, un frère, un oncle, un cousin de mon père.

J’ai découvert les ateliers d’escrime thérapeutique conduit par l’association « Stop aux violences sexuelles » en septembre 2021.

Cet été là, j’apprenais que ma nièce, la fille de mon frère, âgée de 4 ans, avait été victime d’agressions sexuelles de la part des 3 garçons qui sont accompagnés par mon frère et ma belle-sœur dans le cadre de leur agrément obtenu pour être famille d’accueil. L’été dernier je l’ai regardé et puis dans ma tête, je me suis dit « ça y’est c’est ton tour ». Et puis non, j’ai voulu que cela cesse.

Quelques coups de sabre ont changé ma vie. J’ai parlé début avril 2022 à ma famille, j’ai écrit une longue lettre qui leur est adressée, j’ai contacté votre commission et j’ai pu m’entretenir avec elle. J’ai parlé à chacun d’entre d’eux en relatant les faits.

Et puis ? Après cette parole, pas grand-chose, ma famille nie et/ou relativise, entretient un certain chantage affectif. Mon père s’est comporté comme un salopard, il faut et il faudra bien le dire, sous-entendant que l’inceste aurait eu lieu entre ma sœur et moi. Il a sous-entendu cela, ce week-end après plusieurs semaines de silence.

Ajouter de la confusion à l’agression, en permanence, il a menacé de se suicider pour me faire taire. 3 jours plus tard il m’a dit qu’il avait dit ça comme ça. J’ai demandé à ma mère s’ils avaient toujours envie de se suicider. Finalement, non.

Il me faut encore supporter cela. Ma colère est immense. La libération de la parole, la résilience sont des grandes arnaques à mon sens. Une parole qui se libère et qui retombe comme un caillou que l’on fait ricocher sur la surface plane d’une eau limpide et qui tombe à l’eau. C’est un désastre. Cela me donne l’image d’un charnier. Un charnier avec des victimes vivantes qui se débattent avec leurs paroles et en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’État qui nous regardent nous débattre, nos paroles se mêlent et puis rien.

J’ai lu vos conclusions intermédiaires et c’est insuffisant. Depuis que j’ai parlé je m’interroge sur tout ce qui m’entoure.

Pourquoi voler une banane dans un commerce fait courir plus de risque judiciaire à un citoyen qu’une fellation imposée par un adulte à un enfant ?

Pourquoi est-on si facilement puni lorsqu’on resquille dans le métro et pourquoi est-il si facile d’allumer internet, de lancer YouPorn et d’y voir allègrement des images de violences sexuelles, qui prônent la domination, la culture du viol et la pédocriminalité ?

D’où nous viennent toutes ces images qui circulent en masse alimentant une certaine excitation. Mais de quoi s’agit-il réellement ?

J’ai parlé de confusion. C’est bien cela, ce qui me met en colère dans l’inaction de notre gouvernement et de la justice. Ajouter de la confusion au traumatisme dans une société qui ne légifère pas, qui ne punit pas, ne soigne pas, c’est accroitre le traumatisme !

Donc, je suis en colère. J’ai commencé à réfléchir à ce que contenait cette confusion, au-delà du seul fait de me « transformer » en victime. Cette confusion de mon enfance est celle qui perdure aujourd’hui alors que la parole des victimes et des femmes se libèrent.

Cette confusion rend encore possible aujourd’hui le fait qu’un enfant reste en contact avec son agresseur, cette confusion rend possible les féminicides, cette confusion rend possible de nommer, à des hautes fonctions d’État, des hommes contre lesquels il y a eu des accusations de violences sexuelles. Cette confusion permet que PPDA puisse porter plainte contre 16 femmes.

Cette confusion relève de notre responsabilité collective.

Cette confusion permet le déni de ma parole, de notre parole, maltraite les victimes. Nous épuise jusqu’au sang. Que se passera-t-il après vos conclusions si cette confusion est permise ?

J’ai peiné à terminer sur une note positive. L’idée de résilience elle aussi m’est devenue insupportable. Il est hors de question de soutenir une société dans laquelle serait reliée, par la confusion, la fabrique des victimes résilientes, les auteurs des agressions et les indifférents.

En revanche, les mots, les paroles comptent, et la lumière je la vois non plus dans la libération de la parole mais dans l’invention d’un autre monde, d’autres récits. La justice je l’attends désespérément. J’ai demandé à ma mère que je ne voulais pas de son héritage mais un dédommagement financier.

Depuis que j’ai parlé je me réjouis de lire et d’entendre des paroles alternatives. Cher Juge Edouard Durand je vous remercie pour votre parole lumineuse. Sur cette question que vous posé et que j’ai posé à ma famille sur le seuil de violence que nous tolérons dans notre société. J’ai fixé ma limite.

Anne C.

Rapport CIIVISE : résumé et préconisations supplémentaires

Rapport Commission Inceste (CIIVISE) du 31 mars 2022 : résumé et préconisations supplémentaires ...de la part de l’association Protéger l’enfant et l’association Sous le regard d’Hestia

…de la part de l’association Protéger l’enfant et l’association Sous le regard d’Hestia.

Nous remercions chaleureusement la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) d’avoir, une fois de plus, posé les enjeux liés à la protection de l’enfance de manière claire, précise et agissante. Afin de répondre à la demande de la Commission telle que formulée lors des rencontres de la CIIVISE à Paris, le 16 février, les adultes et parents protecteurs se sont constitués en association en rejoignant l’association Protéger l’enfant en partenariat étroit avec l’association ressource « Sous le regard d’Hestia ».

C’est dans ce contexte que nous souhaitons porter à votre connaissance et celle du grand public, à la fois nos remerciements à la Commission pour le travail historique qu’elle réalise et nos réflexions, qui vous sont remises en partage.

Vous trouverez ci-dessous, un résumé de votre rapport, le rappel de vos préconisations ainsi que les compléments de préconisations que nous souhaitions partager à votre commission ainsi qu’à la société française dans son ensemble.


AXE 1 : Le repérage des enfants victimes

1. Constat de la CIIVISE : Les violences sexuelles ne sont pas l’apanage d’un groupe social particulier, il n’y a pas de profil type de l’agresseur. Le repérage systématique en posant la question de l’existence de violences sexuelles est demandée car la pratique du repérage par signe est insuffisante. Le questionnement systématique est recommandé par la Haute Autorité de Santé (HAS).

La révélation sans protection est une mise en danger supplémentaire

  • Préconisation CIIVISE 1 : Organiser le repérage systématique des violences sexuelles de tous les enfants, par tou.te.s les professionnel.le.s.
  • Complément de préconisation des associations Protéger l’enfant et Sous le regard d’Hestia : Si le nombre d’enfants victime est aussi élevé, il faut considérer que les agresseurs sont bien potentiellement partout. Afin d’assurer un repérage efficace, il est demandé à ce que soit utiliser le protocole d’audition des enfants NICHD (National Institute of Child Health and Human Development- Institut national pour la santé des enfants et le développement humain) pour les professionnels et le protocole CALLIOPE pour les enfants (importé du Québec par Alexis Danan de Bretagne).

2. Constat de la CIIVISE : L’existence de l’outil de formation Eliza utilisé par les formateurs de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) est capital. Il s’agit d’un outil officiel gouvernemental pour former les agents publics.

  • Préconisation CIIVISE 2 : Organiser le repérage systématique des violences sexuelles dans l’enfance auprès de tous les adultes par tous les professionnels.
  • Complément de préconisation : Ce repérage ne pourra être organisé que si tous les professionnels sont (vraiment) formés. Par exemple : les mères qui dénoncent des violences sexuelles sur leurs enfants, et qui par ailleurs indiquent avoir elles- mêmes été victimes dans leur enfance de ce même type d’agression auprès des services sociaux, vont souvent être stigmatisées comme faisant reporter le mal être de cette situation sur leur enfant. Les services sociaux ou psychologues auront tendance à considérer que la mère se projette sur l’enfant, même si cette dernière a suivi à titre personnel un parcours de prise en charge psychologique.

3. Constat de la CIIVISE : Le Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED) ou 119 répond principalement aux enfants en danger et aux adultes proches (famille, voisinage) mais aussi aux professionnels.

  • Préconisation CIIVISE 3 : Créer une cellule de conseil et de soutien pour les professionnel.le.s destinataires des révélations de violences sexuelles de la part d’enfants.
  • Complément de préconisation : Il est proposé que soit mis en place une formation pratique visant à effectuer les signalements ou informations préoccupantes à chaque fois qu’ils sont confrontés à un soupçon d’agression sexuelle.

4. Constat de la CIIVISE : Le médecin a une faculté de signalement qui est trop rarement utilisée car d’après la Haute autorité de santé (HAS) les signalements des médecins représentent moins de 5% des signalements (2014).

  • Préconisation CIIVISE 4 : Clarifier l’obligation de signalement des enfants victimes de violences sexuelles par les médecins.

5. Constat de la CIIVISE : Un parent agresseur peut porter plainte auprès du conseil départemental de l’ordre des médecins contre le médecin qui aura réalisé le signalement.

  • Préconisation CIIVISE 5 : Suspendre les poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalements pendant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant.

Complément de préconisation : La grande majorité des procédures concernant les violences sexuelles sur enfant se terminent par des classements sans suite. Donc cela ne protège le médecin qu’un temps, le temps de l’enquête pénale, mais après ? Il est donc simplement proposé que tout signalement par un médecin ne puisse jamais faire l’objet d’une poursuite disciplinaire dans le cas de violences sexuelles sur mineur. C’est comme si toutes les personnes et professionnels de tout ordre qui faisaient des signalements au titre de l’information préoccupante via les CRIP pouvaient être dénoncés d’un point de vue disciplinaire. (CRIP – cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes). L’asymétrie de risques de mise en cause des médecins par rapport à toutes les autres personnes pouvant faire des signalements est à questionner.


AXE 2 : Le traitement judiciaire des violences sexuelles

6. Constat de la CIIVISE : Le traitement judiciaire des violences sexuelles faites aux enfants est l’un des aspects principaux des revendications des victimes. Pour limiter l’impact anxiogène des traitements judiciaires, il est important de maîtriser les délais de décision et d’adapter le vocabulaire employé auprès des victimes (ex « classement sans suite » ou ordonnance de « non-lieu » signifie une absence de poursuite pénale et non que les faits n’ont pas eu lieu.)

  • Complément de constat par les associations Protéger l’enfant et Sous le regard d’Hestia : Pour rappel : « Le croisement des enquêtes Contexte de la sexualité en France et Cadre de vie et sécurité nous permet d’estimer que, en France, chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles », indique la Ciivise. 70% des 160 000 plaintes sont classées sans suite. Il reste 30% = 48 000. Sur ces 48 000 il y a 1,64% de condamnations : 790. Donc sur 160000 plaintes, il y a 30% x 1,64% = 0,5% de condamnations. Propos d’Ernestine Ronai lors de la conférence de la CIIVISE  d’octobre 2021 à Paris.
  • Préconisation CIIVISE 6 : Garantir que toutes audition d’un enfant victime au cours de l’enquête sera réalisée conformément au protocole NICHD par un.e policier.e ou gendarme spécialement formé.e et habilité.e.
  • Complément de préconisation : Le principe de précaution contenu dans le principe de droit qui indique que « le Pénal tient le civil en l’Etat », doit être appliqué dans le cadre précis de la protection de l’enfant. Au regard des dysfonctionnements liés à la gestion des procédures et du parcours de protection dans son ensemble, nous demandons à ce que, les mesures conservatoires de suspension de droit de visite et d’hébergement soit systématiquement prononcées, le temps de l’enquête. Au regard de la spécificité et de l’asymétrie des rapports entre un enfant et un adulte, au regard des mécanismes d’amnésie traumatiques, il parait raisonnable, qu’au même titre que la garde à vue effectuée dans tout autre cas de suspicion de délits ou de crime, cette bonne pratique puisse être mise en place. Il s’agirait à ce titre, sans aucun coût pour la société, simplement de donner un signal fort à toute la population française. Il faudrait désormais que le continuum de prise en charge de ces violences par des professionnels, des parents qui signalent, en passant par la Police ainsi que tout le système judiciaire, décide de considérer l’intérêt et la protection des enfants avant celui de l’agresseur supposé.

7. Constat de la CIIVISE : Pour protéger les petites victimes, il faut que soit organisée une prise en charge globale et pluridisciplinaire (médicale, médico-légale, sociale et judiciaire)

  • Préconisation CIIVISE 7  : Déployer sur l’ensemble du territoire national des unités d’accueil et d’écoute pédiatrique, à raison d’une UAPED (unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger) par département conformément au second plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020/2022, ainsi que les salles Mélanie, à raison d’une salle d’audition par compagnie dans les zones de gendarmerie.

8. Constat de la CIIVISE : Le nombre d’experts judiciaires (psychiatre, pédopsychiatre, psychologue, pédiatre) inscrits sur les listes des cours d’appel est nettement insuffisant. Notons la création du diplôme universitaire Expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie de l’enfant sous la direction du Pr Mamzer (Laboratoire de Médecine légale Université de Paris), coordonné par les Dr Jean Marc Ben Kemoun et Maurice Berger.

  • Préconisation CIIVISE 8 : assurer la réalisation des expertises psychologiques et pédopsychiatriques par des praticien.ne.s formé.e.s et spécialisé.e.s.
  • Complément de préconisation  Incorporer dans le programme universitaire de base des psychologues et psychiatres, la psychotraumatologie, victimologie enfant/adulte car il manque d’experts en général. Au-delà de toute la connaissance et formations liées aux causes et conséquences des violences (y compris les violences éducatives ordinaires), une formation à la parentalité positive doit être enseignée à tous les professionnels. Il y a de grandes chances que la reconnaissance des violences ou son impossibilité à la reconnaitre par les professionnels en raison de leur histoire personnelle soit un obstacle au traitement de la violence faite aux enfants dans son ensemble. (préconisation 18)

9. Constat de la CIIVISE : La France est le 2ème pays hébergeur de pédopornographie en Europe et le quatrième dans le monde. Le fichier Fijais répertorie les auteurs d’infractions sexuelles et violentes. La France manque de moyens humains et matériels pour une lutte efficace (1 enquêteur pour 2,2 millions de personnes/ GB : 1 enquêteur pour 200000 personnes/Pays Bas : 1/100000).

  • Préconisation CIIVISE 9  : Doter les services de police judiciaire spécialisés dans la cyber-pédocriminalité des moyens humains et matériels nécessaires.

10. Constat de la CIIVISE : Article 706-52 code procédure pénale : l’audition d’un mineur victime de violences sexuelles doit faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Cela réduit le nombre d’audition et permet de donner des éléments d’appréciation difficilement retranscrits par écrit (émotions, expressions non-verbales, mouvements, silences), permet d’observer éventuellement la peur, la sidération voir la régression (quand il s’agit d’un adulte qui redevient l’enfant aux moments des faits) et l’âge de la victime (délais de procédures longs). La CIIVISE recommande de doter les forces de police et de gendarmerie d’un logiciel de retranscription.

  • Préconisation CIIVISE 10 : Systématiser le visionnage par les magistrat.e.s des enregistrements des auditions des enfants victimes de violences sexuelles.
  • Complément de préconisation  Ils ne sont pas assez nombreux et n’ont donc pas le temps. Il faut donc former plus de magistrats. Il est  primordial que les magistrats voient ces petites victimes. Cela ne peut qu’augmenter le potentiel empathique et donc favoriser leur protection.  Quand les enfants sont petits, ils n’ont pas forcément les mots et dans des procédures écrites tel que c’est la tradition dans le monde judiciaire, il est clair que les enfants sont profondément désavantagés par rapport à des adultes. Voir et apprendre à lire des comportements des enfants devrait être une obligation professionnelle pour les Juges.

11. Constat de la CIIVISE : 70% des plaintes déposées pour violences sexuelles infligées aux enfants font l’objet d’un classement sans suite, le plus souvent au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée. La CIIVISE a demandé et obtenu qu’une mission d’évaluation soit réalisée afin d’analyser les causes de ce taux important de classements sans suite pour renforcer la chaine de protection. L’absence de poursuites pénales peut être interprétée comme une défiance à l’égard de la parole de la victime, comme une incapacité des institutions à la protéger ou comme la consécration de l’impunité de l’agresseur.

  • Préconisation CIIVISE 11 : Systématiser la notification verbale des classements sans suite à la victime par le procureur de la République.
  • Complément de préconisation  Idem que pour la préconisation 10 : devoir rendre des comptes verbalement est plus impliquant pour un procureur ou son représentant et permettra peut-être de limiter les classements sans suite hâtifs.

12. Constat de la CIIVISE : Mise en évidence du déficit de reconnaissance de la place de la victime dans la procédure pénale : La partie civile ne peut faire appel que sur la partie de la décision relative à l’action civile (dommages et intérêts) et non sur la partie de la décision relative à l’action publique (pénal, culpabilité et peine).

  • Préconisation CIIVISE 12 : Permettre à la partie civile de faire appel des décisions pénales sur l’action publique.

13. Constat de la CIIVISE : Article D47-11-3 du code de procédure pénale : lorsqu’un parent mis en cause pour non présentation d’enfant allègue que l’enfant est victime de violences par l’autre parent, le procureur de la République doit faire vérifier ces allégations avant toute poursuite pour non-représentation d’enfant.

  • Préconisation CIIVISE 13 : Prévoir, dans la loi, la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant.
  • Préconisation CIIVISE 14 : Prévoir, dans la loi, le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violence sexuelles incestueuses contre son enfant.
  • Complément de préconisation : Il faut absolument prévoir dans la loi également le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violence sur l’autre parent.  Il s’agit d’aller bien au délà du décret du 23 novembre 2021 qui reconnait l’enfant co-victime des violences conjugales et ne lui permet seulement que de se constituer partie civile. Quand on est un enfant, victime par exposition à la violence conjugale, que la société lui demande de faire à son tour des procédures, est une violence institutionnelle de plus. La protection de l’enfant doit être automatique quand il y a violence sur l’autre parent.

De plus, il faut envisager des modalités de prise en charge de l’agresseur :

  • Obligation d’un suivi psychologique avec vérification du suivi par la justice (par exemple : vérification une fois par an jusqu’à la majorité des enfants victimes)
  • Constituer une liste des agresseurs (utiliser Fijais / www.coabuse.com), qui continueront à travailler et qui seront obligés de souscrire à un fond d’aide aux victimes (enfants et parents protecteurs). 

AXE 3 : La réparation par le soin et l’indemnisation

14. Constat de la CIIVISE : Conséquences des violences sexuelles subies dans l’enfance : Troubles durables de la personnalité ou du développement, préjudice scolaire, sexuel, professionnel

  • Symptômes : conduites d’évitement (lieu, personne, activité), cauchemars et difficultés pour s’endormir, hyperactivité, irritabilité, signes de souffrance physique sans cause organique, état de dissociation cognitive, corporelle et émotionnelle. Symptômes qui deviennent chroniques s’ils ne sont pas traités. Autrement dit, si les enfants ne reçoivent pas de soins immédiatement après la première révélation des violences, ils risquent de développer des symptômes et pathologies chroniques lourdes.
  • Impact : ½ font des tentatives de suicide et ½ font des dépressions à répétition, ½ à 1/3 présentent des conduites addictives, conduites à risque et mises en danger, et des troubles alimentaires.
  • Pathologies somatiques : diabète, troubles cardio-vasculaires, immunitaires, endocriniens, digestifs (colopathies, anisme).
  • Risques : IST (infection sexuellement transmissible) et grossesse sur viol.
  • Mémoire Traumatique : la réminiscence, les intrusions, les flashbacks des violences subies, font revivre sans cesse ces violences comme si elles étaient en train de se reproduire, obligeant les victimes à recourir à des conduites d’évitement et/ou dissociantes à risque pour éviter ou anesthésier ce trauma.

15. Constat de la CIIVISE : Il y a un nombre insuffisant de psychologues ou de pédopsychiatres et la spécialisation en psychotrauma des praticien.ne.s doit être mieux organisée et vérifiée. Il n’est pas envisageable de prodiguer utilement des soins à un enfant victime encore contraint de rencontrer son agresseur. La France est signataire de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui prévoit « la mise en place de centres d’aide d’urgence pour les victimes de viol et de violences sexuelles, appropriées, facilement accessible et en nombre suffisant. (art 25) »

  • Préconisation  CIIVISE 15 : Garantir des soins spécialisés en psychotrauma aux enfants victimes de violences sexuelles et aux adultes qu’ils deviennent.
  • Complément de préconisation :
  • Où peut-on trouver ce type de centre ? En suisse pour la protection en urgence des familles subissant de la violence intrafamilialle, existe des « maisons protégées » où les familles peuvent vivre de manière cachée, le temps de la prise en charge judiciaire.
  • Il est aussi important d’apporter tout le soutien en matière de parentalité positive aux parents ayant extraits leurs enfants de violences mais qui continuent d’en subir les effets et conséquences. Il faut pouvoir apprendre aux parents à comprendre les comportements de leur enfant pour mieux les accueillir et les entourer pour qu’ils puissent apprendre à grandir dans un environnement sécure. Ayant été abusé par un adulte proche ou non, l’enfant n’aura plus de repères ni externes ni internes. Il faut aider aussi les parents / ou le parent protecteur à retisser un lien et aider l’enfant à retrouver des repères internes et externes. Cela s’apprend (méthode de la communication non violente est très efficace cf.Mme Filliozat, Mme Gueguen). 

16. Préconisation CIIVISE 16 : Garantir une réparation indemnitaire prenant réellement en compte la gravité du préjudice en :

Remboursant l’intégrité des frais du médecin conseil.

Complément constat : aujourd’hui, les frais sont à la charge de la victime.

-> Réparant le préjudice sous forme de provision pendant la minorité de la victime avec réévaluation à l’âge adulte.

Complément constat : Les conséquences sur la vie d’adulte sont difficiles à évaluer quand la victime est enfant.

-> Créant des chambres spécialisées sur intérêt civil en matière de violences sexuelles et une commission d’indemnisation dédiées aux violences sexuelles ; -> Reconnaissant un préjudice intrafamilial spécifique en cas d’inceste.

Complément constat : division et déni familial, perte de confiance dans les structures protectrices telles que famille ou société en général ; perte de confiance en soi-même, impossibilité à vivre avec la disparition des repères internes et externes.

-> Reconnaissant de façon plus juste le préjudice sexuel.

Complément constat : Dans les témoignages rendus à la CIIVISE, 9 personnes sur 10 indiquent que les violences sexuelles ont eu un impact sur leur vie affective et sexuelle.


AXE 4 : La prévention des violences sexuelles

17 . Constat de la CIIVISE : Pour mobiliser la société toute entière, il sera nécessaire de réaliser une grande campagne nationale de prévention. Les violences sexuelles imposées à l’enfant est une récusation de celui-ci comme sujet, une chosification de l’enfant qui devient un objet de jouissance pour son agresseur. L’agresseur, souvent dépositaire d’une autorité, exerce des violences sexuelles dans un rapport asymétrique de domination qui rend difficile à l’enfant de s’opposer à l’adulte ou au plus grand.

Il faut apprendre à l’enfant à connaître le registre de l’intimité (corporelle, affective, émotionnelle). Il faut respecter sa pudeur dans le cadre scolaire et des activités sportives spécifiquement (attention à l’organisation des vestiaires). Le respect de l’intimité conduira l’enfant à approfondir les enjeux de la périnatalité ou des contextes incestueux.

  • Préconisation CIIVISE 17 : Former les professionnel.le.s en contact avec les enfants au respect de l’intimité corporelle de l’enfant.

Complément de préconisation : Il faut absolument apprendre à un enfant à dire non à l’adulte. Il faut également former tous les professionnels mais aussi les parents à mettre fin aux violences éducatives ordinaires, terreau des dominations et soumissions des enfants. Ces soumissions ordinaires sont propices à ce que l’enfant ne sache pas dire non lorsqu’un adulte lui impose des choses qu’il ne souhaite pas faire. (ex : forcer un enfant à faire un bisou à un adulte, ne lui apprend pas à dire non, lorsque son père, oncle ou cousin incesteur lui demande de faire la même chose). Les violences éducatives ordinaires soumettant les enfants, sont un avantage pour les agresseurs souhaitant abuser sexuellement des enfants.

18. Préconisation CIIVISE 18 : Renforcer la formation initiale et continue de tou.te.s les professionnel.le.s concerné.e.s sur la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles, avec un module spécifique validé dans les diplômes.

  • Complément de préconisation : La formation doit comprendre la formation à la prévention aux violences éducatives ordinaires et aux rapports de dominations qui en sont la principale cause.

19.  Constat de la CIIVISE

  1. « Quand on te fait du mal » : brochure de prévention pour les enfants de maternelle, jusqu’au CE1 de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, distribuée gratuitement et disponible en ligne.
  2. « Le Loup » : album écrit par Mai Lan Chapiron pour briser le tabou de l’inceste et aborder la problématique des violences sexuelles faites aux enfants.
  • Préconisation CIIVISE 19 : Assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge.
  • Complément de préconisation : La formation aux violences éducatives ordinaires et à la parentalité positive sont des formations qui devraient être proposées gratuitement pour tous les parents.

20. Constat de la CIIVISE : Des campagnes existent, mais sont mal distribuées faute de moyens :

  1. Association Innocence en danger : en 2015, « Lui ne peut pas parler, vous, vous pouvez »
  2. Face à l’inceste : en Janvier 2021, sur les insuffisances du cadre légal en matière de lutte contre l’inceste.
  3. Colosse aux pieds d’argile : septembre 2019, prévention contre les violences sexuelles faites aux enfants dans le milieu du sport.
  4. Pouvoirs publics :Campagnes nationales de 2002 : « Se taire, c’est laisser faire »
  5. Pouvoirs publics et 2022 : sensibilisation de la prostitution des mineur.e.s
  • Préconisation CIIVISE 20 : Organiser une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants afin de faire connaître leurs manifestations et leurs conséquences sur les victimes, de faire connaître les recours possibles pour les victimes, de mobiliser les témoins en rappelant que ce sont des actes interdits par la loi et sanctionnés par le Code pénal.
  • Complément de préconisation :
  1. Mettre en avant les associations d’aide aux adultes subissant des attirances sexuelles envers les enfants (pedoHelp) pour empêcher le passage à l’acte.
  2. Mettre en avant les associations d’appui à la parentalité positive (ex : Communication non violente, Montessori…)
  3. Publier et distribuer des flyers donnant les chiffres des violences sexuelles faites aux enfants, comment les reconnaître (signes, parole de l’enfant) et comment réagir.
  4. Faire une information systématique ciblée pour les professionnels de l’enfance (social, psy…).(Nous travaillons actuellement sur un flyer dont nous pourrons vous soumettre le contenu bientôt)
  5. Proposer des formations en ligne gratuites et en accès libre pour tous les parents sur les violences éducatives ordinaires et sur la parentalité positive comme alternative.

Pour toutes informations sur le sujet :

Site d’information et ressources :  https://sousleregarddhestia.fr/

Site d’entraide et ressources : www.protegerlenfant.fr 

Email de contact : contact@protegerlenfant.fr

Les obstacles à la prise en compte par la Justice de la voix de l’enfant victime d’un de ses parents

Les obstacles à la prise en compte par la Justice de la voix de l’enfant victime d’un de ses parents serge losappio avocat

Me Serge Losappio, Avocat à la Cour, Médiateur, Chargé d’enseignements à l’Université

Mail : sergelosappio@hotmail.fr


Aujourd’hui, le parent d’un enfant victime d’agression physique ou sexuelle de la part de l’autre parent, lorsqu’il souhaite dénoncer ces actes, porter la voix de l’enfant et le protéger – ce parent, qui est le plus souvent la mère, on le nommera « parent protecteur » – doit souvent subir un véritable parcours du combattant. Au pénal comme au civil, devant le Juge des Affaires Familiales (JAF) comme le Juge des Enfants (JDE).

Si bien que l’une des terribles particularités de ces affaires réside en ce qu’il n’est pas rare de les voir se solder par des drames : mères en fuite avec leur enfant ; mères qui se suicident avec leur enfant ; enfant finalement tués par le père qui s’était vu octroyer un droit de visite et d’hébergement normal, voire même la résidence habituelle de l’enfant.

Et ceci, malgré les dénonciations répétées. Malgré les témoignages. Malgré les certificats médicaux. Malgré les recours.

Il ne s’agit nullement ici de faire le procès des avocats, des psychologues et psychiatres, des enquêteurs sociaux, pas plus que des magistrats qui interviennent dans ces affaires. On sait trop bien l’accablant manque de moyens de la Justice.

Et si les dysfonctionnements que l’on évoquera plus avant ne sont pas systématiques, il demeure que leur existence ne saurait être contestée. Et que la gravité du problème qu’ils posent réside dans leurs conséquences dramatiques, pour les mamans comme pour les enfants.

Du reste, ces dysfonctionnements, des magistrats eux-mêmes les soulignent. Il en va ainsi du juge Édouard Durand, lequel co-préside la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE).

Quels sont ces dysfonctionnements, c’est ce que l’on va tenter d’établir, sans aucune prétention à l’exhaustivité.

Ces réserves étant posées, on peut schématiquement observer trois séries de dysfonctionnements, qui vont contribuer à empêcher la prise en compte de la voix de l’enfant par la Justice :

  1. Un jeu de présomptions de fait, infondées.
  2. Une influence trop déterminante des rapports d’expertise psychologique/psychiatriques ou des enquêteurs sociaux, dans les décisions du JAF ou du JDE.
  3.  Une « arme de destruction massive » contre le parent protecteur : le délit de non-représentation d’enfant (article 227-5 du Code pénal).

On s’interrogera ensuite sur les points suivants :

  1. Pourquoi ces dysfonctionnements ?
  2. Quelles solutions ?

1. Un jeu de présomptions de fait, infondées.

On se contentera de citer trois exemples de ces présomptions problématiques :

a/ Quand le parent protecteur est lui-même victime de violences, ou simplement traumatisé par les événements et/ou le comportement de l’autre parent, et qu’il dispose de certificats médicaux attestant de son état, il n’est pas rare de voir lesdits certificats utilisés par les experts puis les magistrats afin d’en déduire l’existence d’une fragilité psychologique du parent protecteur. Fragilité permettant de remettre en cause ses capacités parentales. De sorte que la résidence de l’enfant s’en trouvera parfois fixée chez le parent que l’enfant accuse pourtant de sévices.

b/ Quand le parent protecteur dépose plainte pour violence, agression sexuelle ou viol de son enfant par l’autre parent, il va spontanément s’atteler dans le cadre de son procès-verbal d’audition à rapporter les graves propos accusatoires de son enfant contre l’autre parent.

Pour ce faire, il procèdera en pratique de deux façons différentes, lesquelles seront susceptibles de lui être reprochées. En effet, soit il rapportera aussi précisément que possible les déclarations de l’enfant en reprenant les termes des déclarations de ce dernier presque mot pour mot, soit il se permettra de les résumer et de les commenter, manifestant une certaine liberté sur le fond comme sur la forme. Dans un cas comme dans l’autre on pourra lui reprocher d’inventer et de manipuler l’enfant. Parfois par les gendarmes ou les policiers, dans le cadre de l’audition tout d’abord. Par la partie adverse ensuite, évidemment. Cependant, et c’est là le plus important, le magistrat lui-même pourra ne pas s’y montrer insensible.

Ainsi, concrètement, si le parent protecteur essaie de paraphraser le discours de l’enfant pour coller au plus près aux déclarations de celui-ci, on le soupçonnera voire on l’accusera, d’avoir obligé l’enfant à apprendre une histoire inventée dont il est l’unique l’auteur. On en conclura aisément qu’il convient de considérer l’ensemble de ces déclarations comme douteuses, voire de les écarter purement et simplement, en arguant de leur manque de crédibilité.

Si au contraire le parent protecteur résume les déclarations à sa façon, rapporte les propos de l’enfant avec ses propres mots et ses propres déductions et commentaires, on lui reprochera alors d’extrapoler, d’exagérer voire de mentir. On en conclura là encore aisément qu’il convient de considérer l’ensemble de ces déclarations comme douteuses, voire de les écarter purement et simplement, en arguant de leur manque de crédibilité.

Autrement dit : dans un cas comme dans l’autre, l’enfant a tort, et le parent protecteur n’est qu’un horrible manipulateur.

c/ Il existe en pratique une certaine inertie de la justice pénale dès le stade de l’enquête. De sorte que l’on peut parfois constater une lenteur des commissariats à convoquer le parent accusé par l’enfant afin d’être entendu, l’audition se déroulant parfois des mois après l’ouverture de l’enquête pénale.

Certaines défaillances peuvent aussi exister à ce stade : il s’agit par exemple de classements sans suite pour absence d’éléments suffisamment probants, parfois quelques heures après la plainte.

Or, cette inertie comme ces défaillances le cas échéant, peuvent devenir en pratique un argument au bénéfice du parent accusé par l’enfant et le parent protecteur, pour faire trois choses :

* affirmer le caractère mensonger des accusations portées contre lui par l’enfant devant les juridictions ;

* se voir octroyer la résidence habituelle de l’enfant chez lui ou à tout le moins un droit de visite et d’hébergement normal ;

* déclencher une information préoccupante et la saisine du JDE (appel au 119), en arguant du fait que ladite lenteur de l’enquête en particulier démontrerait que le parent protecteur affabule et manipule l’enfant, ce qui serait censé indiquer l’existence d’un danger. Danger dont il faudrait à tout prix le protéger… en l’éloignant du parent protecteur.

Par conséquent, on comprend ici que les carences de la justice pénale se retournent contre le parent protecteur et l’enfant lui-même, enfant qui peut alors se voir obligé, sur décision du JAF, de se retrouver régulièrement seul à seul avec celui qu’il accuse de violences, d’agression sexuelle ou de viol, dans le cadre de l’octroi d’un droit de visite et d’hébergement normal, voire de la résidence principale de l’enfant, à ce parent.

Par ailleurs, suite à une information préoccupante déclenchée par le parent que l’enfant accuse, ce dernier pourra encore se retrouver placé par le JDE. JDE qui dans ce contexte, décidera parfois, dans le cadre du placement, d’accorder au parent accusé par l’enfant un droit de visite classique, mais en revanche strictement médiatisé au parent protecteur. D’autant plus quand ce dernier aura mis de la mauvaise volonté à appliquer une décision de justice favorable à l’autre parent (octroi d’un droit de visite et d’hébergement).

2. Une influence trop déterminante des rapports d’expertise psychologiques/psychiatriques ou d’enquête sociale dans les décisions du JAF ou du JDE.

Dans le cadre de telles affaires, et afin d’être aidés dans leur prise de décisions relativement à l’enfant, le JAF comme le JDE sollicitent des rapports de psychiatres, de psychologues ou encore d’enquêteurs sociaux. Il s’agit par exemple de l’expertise médico-psychologique ou psychiatrique pour le JAF, ou des Mesures Judiciaires d’Investigations Educatives (MJIE)pour le JDE.

Le problème est que concrètement, ces rapports sont trop souvent acceptés par ces magistrats comme établissant sans l’ombre d’un doute la réalité de la situation et comme mettant par conséquent un point final à tout questionnement. En particulier quant à la véracité des accusations de l’enfant à l’égard de l’un de ses parents et à l’existence d’une manipulation de l’enfant par le parent protecteur, comme à la capacité dudit parent protecteur à assumer ses responsabilités parentales.

Ce crédit conféré en pratique à ces rapports est tel qu’il peut entraîner une mise à l’écart des éléments factuels accablants pourtant portés au dossier, lesquels ne sont parfois pas même mentionnés dans les ordonnances rendues, le magistrat se contentant de reprendre textuellement les déclarations figurant dans tel ou tel rapport.

Or – et là réside le problème – ces rapports si déterminants en pratique, ne manquent pas d’être contestables, à au moins huit titres :

a/ Les rapports se fondent sur des présupposés idéologiques qui tendent à faire primer ce que l’on peut qualifier d’impératif de non-exclusion du père et de maintien des liens familiaux. Au mépris d’éléments parfois accablants qui devraient au contraire impliquer de protéger l’enfant en l’écartant d’un des parents. De sorte qu’il n’est pas rare de lire dans de tels rapports, une énumération des accusations portées par l’enfants à l’égard du père, laquelle se conclut de façon plus ou moins abrupte par l’énonciation de la grande nécessité qu’il y a à conserver et renforcer les liens avec celui-ci.

b/ Certaines expertises médico psychologiques faites par experts psychologues ou des psychiatres, contiennent des tests psychologiques réalisés en quelques minutes et restitués en quelques lignes. Parfois encore, les missions sont réalisées en moins d’une heure, avec des rapports rendus les jour même. On peut dès lors légitimement douter de leur valeur ;

c/ Certains rapports ne traduisent pas fidèlement les paroles de l’enfant, voire en trahissent le sens ;

d/ Certains rapports omettent de mentionner des déclarations pourtant essentielles de l’enfant. Déclarations qui peuvent consister en des accusations très graves et précises à l’endroit de l’autre parent. Ce qui fait en outre problème au regard de l’article 434-3 Code Pénal, lequel punit le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés notamment à un mineur, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé ;

e/ Certains rapports mentionnent des éléments en soi inquiétants (dégradation de l’état du parent protecteur ou de l’enfant) mais sans autre analyse. Aucun traitement de ces éléments. Ils sont certes mentionnés, mais mis de côté, sans en tirer la moindre conséquence ;

f/ Certains rapports qualifient de façon lapidaire et péremptoire les déclarations du parent protecteur ou de l’enfant victime comme « peu crédibles », ou « non crédibles » ou encore estiment que les accusations portées par l’enfant à l’égard de l’autre parent traduisent en réalité un « conflit de loyauté », sans aucun élément pour étayer cette affirmation ou en définir les termes, et parfois même au mépris de pièces accablantes versées au dossier ;

​​g/ Certains rapports sont établis sans que leurs auteurs aient rencontré l’enfant ou les parents. Ils peuvent ainsi se fonder sur les attestations de témoin produites en justice ; 

h/ Mais il y a plus grave encore : certains rapports contiennent des formules que l’on peut qualifier d’incantatoires, vides de sens véritable et utilisées à tort et à travers : ainsi, des violences, agressions sexuelles et viols rapportés par le parent protecteur, le concernant et/ou concernant l’enfant, se voient qualifiées par exemple de « turbulences réactionnelles » consécutives à une « relation pathologique du couple », ou encore de simples « projections » sans plus de démonstration.

On peut lire ailleurs que le parent protecteur qui s’oppose à l’octroi d’un droit de visite et d’hébergement, voire de la résidence habituelle à l’autre parent manifeste « une attitude de toute puissance ». Par conséquent, le caractère inébranlable du discours du parent protecteur qui se contente de porter la voix de son enfant devient en soi-même suspect et inquiétant, comme manifestant l’existence d’un danger pour l’équilibre de l’enfant.

D’autres rapports vont plus loin encore. Ils assimilent ces dénonciations du parent protecteur à des signes de maladies mentales, maladies dont le concept est en lui-même pour le moins contestable : par exemple, on parlera de « Syndrome de Münchhausen par procuration » (telle mère qui se plaint que son enfant subit des maltraitances de la part de l’autre parent, se retrouve accusée de rendre malade l’enfant afin d’attirer l’attention sur sa propre personne), ou encore de « Complexe de Médée » (telle mère qui veut protéger son enfant est accusée de ne pas avoir fait son deuil du couple et par suite, de se servir de l’enfant pour se venger de l’autre parent qui l’aurait délaissée).

Autre théorie encore trop à la mode que l’on ne manquera pas de citer ici : le « Syndrome d’Aliénation Parentale » (SAP) : à l’origine de cette théorie, il y a Monsieur Richard Gardner, un psychiatre américain, expert auprès des tribunaux. Ses ouvrages ont été publiés à compte d’auteur.

Gardner définit le SAP comme « un processus qui consiste à programmer un enfant pour qu’il haïsse un de ses parents, sans que ce ne soit justifié. Lorsque le symptôme est présent, l’enfant apporte sa propre contribution à la campagne de dénigrement du parent aliéné ».

Le psychiatre et sexologue Paul Bensussan aurait importé ce concept en France.

Toujours est-il que le SAP a commencé à être utilisé en France en 1999. Il a cependant émergé dans le débat public en 2005, lors de l’affaire Outreau.

Pour conclure sur cette partie, considérant le caractère contestable des rapports évoqués, on peut à l’évidence regretter qu’ils jouissent encore si souvent d’une telle aura auprès des magistrats.

3. Une « arme de destruction massive » contre le parent protecteur : le délit de non-représentation d’enfant (article 227-5 du Code pénal).

Quand le parent accusé par l’enfant se voit octroyer malgré tout par le juge un droit de visite et d’hébergement normal, voire la résidence habituelle de l’enfant, le parent protecteur qui refuse de se soumettre à la décision de justice intervenue, pourra être poursuivi et condamné du chef de non-représentation d’enfant. Et en pratique se retrouvera qui plus est en situation de perdre son autorité parentale et tout droit de visite et d’hébergement, le cas échéant.

En effet, l’article 227-5 du Code pénal dispose que lorsque le parent chez lequel réside habituellement l’enfant refuse indûment de remettre à l’autre parent à la date prévue en vertu de son droit de visite tel qu’établi par décision du JAF, il se rend coupable du délit de non-représentation d’enfant.

Il en va de même lorsque le parent qui a l’enfant pour une période déterminée en vertu d’un droit de visite (vacances, week-end, soirée) ne le remet pas au parent chez lequel il a sa résidence habituelle.

Ces dispositions s’appliquent bien entendu en cas de résidence alternée.

La non-représentation d’enfant est sanctionnée par des peines allant d’un à trois ans d’emprisonnement et de 15000 à 45000 euros d’amende.

En pratique, pour espérer échapper aux poursuites comme à une condamnation, il faudra attester de l’existence d’une condamnation pénale définitive du parent bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement, ou de l’octroi de la résidence habituelle de l’enfant. Ce qui n’arrive que dans un nombre relativement limité de cas.

C’est ainsi que le parent protecteur se retrouve trop souvent acculé, suite à une lutte judiciaire douloureuse autant que coûteuse. Le voilà dès lors placé dans une situation où il se voit tenu – s’il ne veut pas finir hors la loi – de livrer son enfant pieds et poings liés aux mains du parent que l’enfant accuse de violences, d’agression sexuelle ou encore de viol.

Voilà pourquoi à ce stade certains parents fuient. Voilà pourquoi des drames se produisent. Où le parent se suicide avec l’enfant. Où l’enfant est finalement violemment agressé voire tué par le parent qu’il accusait et à qui il avait été livré malgré tout.

4. Pourquoi ces dysfonctionnements ?

On peut schématiquement distinguer quatre séries de raisons :

4.1. Une justice surchargée et manquant de moyens

Les juges sont surchargés et disposent de peu de temps à l’audience pour se rendre compte des problèmes. Avec la meilleure volonté du monde, ils peuvent passer à côté de beaucoup de choses. D’où aussi l’importance parfois excessive qu’ils sont susceptibles de conférer aux divers rapports évoqués précédemment.

4.2. Des textes qui ne sont pas encore parfaitement appliqués

Deux exemples à valeur d’illustration :

a/ La loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes,  et celle du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, prévoient la formation initiale et continue des professionnels sur la question des violences intrafamiliales, des violences faites aux femmes et sur les mécanismes d’emprise psychologique, le tout à destination notamment des magistrats, personnels et fonctionnaires de justice, avocats, policiers, gendarmes, personnels médicaux, paramédicaux et personnels des services sociaux.

Si la formation connait certes une certaine mise en œuvre en France, pour autant aujourd’hui, elle ne l’est probablement pas suffisamment pour permettre aux magistrats, avocats, gendarmes, policiers et autres enquêteurs sociaux de répondre avec suffisamment de pertinence aux situations où l’enfant dénonce des violences, agressions sexuelles et autres viols commis par un de ses parents.

b/ La Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Ratifiée par la France le 14 mai 2014 et entrée en vigueur le 1er août 2014.

Ladite Convention d’Istanbul exige des juges qu’ils prennent en considération tout incident de violence domestique connu lorsqu’ils déterminent la résidence habituelle de l’enfant et se prononcent sur la question du droit de visite et d’hébergement. (c’est l’article 31 de la convention). De sorte que l’exercice de ces droits ne doivent à aucun moment compromettre la sécurité des victimes. Celle de l’enfant en particulier. Il s’ensuit que la nécessité de maintenir les liens familiaux doit céder face aux questions de violences lato sensu. En pratique, on peut regretter qu’elle ne soit pas encore suffisamment appliquée.


4.3.  La confiance habituelle des magistrats en des théories scientifiquement infondées

 Il s’agit en particulier du Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP).

A l’heure actuelle la théorie du SAP est encore très utilisée au sein des juridictions françaises et européennes. Y compris par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).  

Cette théorie du SAPa été enseignée aux futurs magistrats de l’École Nationale de la Magistrature (ENM) durant des années. Elle se retrouve également couramment utilisée dans les rapports d’expertise.

Le SAP est d’ailleurs presque systématiquement invoqué par le parent accusé par l’enfant, même sans être expressément nommé. On affirme alors que la mère manipule l’enfant pour lui faire affirmer des choses fausses contre le père.

Pourtant cette théorie du SAP fait largement problème, à au moins six égards :

a/ Tout d’abord, elle est ineffective. Elle vise en effet toute situation dans laquelle un enfant rejette son parent sans justification, sans permettre de distinguer une situation de manipulation véritable, d’une situation de violence ou d’agression sexuelle ou de viol.

b/ Au surplus, elle n’a jamais fait l’objet d’une validation scientifique. La théorie du SAP n’est pas reconnue par lacommunauté des psychiatres et des psychologues. A ce titre, elle n’a reçu aucune validation ni dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), la classification américaine des maladies mentales, ni auprès de l’OMS. Par conséquent, non seulement cette théorie du SAP n’aide pas les magistrats à comprendre la réalité d’une affaire, mais elle les induit en erreur. Elle les conduit en pratique à ne pas considérer avec suffisamment d’attention des éléments de preuves pourtant potentiellement déterminants.

c/ Cette théorie instaure systématiquement une absurde présomption irréfragable de manipulation, dès lors que des accusations de violences, d’agression sexuelle ou de viol sont portées par le parent protecteur ou l’enfant contre l’autre parent, dans le cadre d’un litige devant les tribunaux, litige où la question de la résidence habituelle de l’enfant et de l’instauration d’un droit de visite et d’hébergement sont en cause.

d/ Par cela même qu’elle instaure une telle présomption de manipulation, la théorie du SAP compromet radicalement sa crédibilité comme outil scientifique de diagnostic. Elle présuppose en effet ce qu’elle est pourtant censée démontrer, à savoir l’existence d’une manipulation de l’enfant par un parent contre l’autre.

e/ Cette théorie érige également en indicateur de manipulation de l’enfant, l’antagonisme et le refus catégorique du parent protecteur et de l’enfant lui-même de voir octroyer à l’autre parent toute résidence habituelle ou droit de visite et d’hébergement. Elle refuse ainsi toute prise en compte de la possibilité qu’un tel antagonisme et qu’un tel refus puissent n’être que la conséquence légitime et compréhensible de comportements graves du parent que l’enfant accuse. Elle exclut par-là que cet antagonisme et ce refus puissent indiquer au contraire la possible réalité de tels comportements graves. La théorie du SAP implique par conséquent de considérer que la réalité de tels comportements est en soi inenvisageable. Ce qui est tout à fait illogique.

f/ Cette théorie, instituant une présomption de manipulation de l’enfant, exclut ipso facto la prise en compte des comportements du parent que l’enfant accuse, et de tout ce qui le concerne. Cela conduit trop souvent en pratique le magistrat à ne pas suffisamment examiner la possibilité de l’existence de violences, d’agression sexuelles ou de viols de l’enfant.

Certes, on pourra objecter qu’en 2018, le ministère de la Justice a informé les professionnels de la justice relativement au caractère pour le moins controversé du Syndrome d’Aliénation Parentale, suggérant que l’on trouve d’autres outils pour protéger les enfants.

Cependant, force est de constater que l’on a alors vu se développer dans le cadre des procédures judiciaires, ce que l’on pourrait qualifier de théories de remplacement. Conduisant de fait aux mêmes conclusions, mais ne se nommant pas formellement «SAP ». On s’est ainsi mis à évoquer « la relation fusionnelle » du parent protecteur avec l’enfant, le « Syndrome de Münchhausen par procuration », le « Complexe de Médée », ou encore le fameux « Complexe d’Œdipe ».

Autant de concepts aux fondements scientifiques plus que discutables là encore, et dont la vocation est de permettre de continuer à accuser les mamans de manipuler leurs enfants victimes.

4.4. La non-prise en compte de l’existence d’une enquête ou de poursuite du parent accusé par l’enfant, dans le cadre du délit de non-représentation d’enfant

Dernier problème et non des moindres, le délit de non-représentation d’enfant n’autorise pas en pratique la prise en compte de l’existence d’une enquête pénale en cours, voire de poursuites à l’encontre du parent accusé par l’enfant. Lesquelles ne permettent pas au parent protecteur d’échapper tant aux poursuites qu’aux condamnations du chef de non-représentation d’enfant.

Autrement dit, même si le parent que l’enfant accuse de violences agression sexuelle voire de viol, se retrouve sous le coup d’une enquête pénale voire de poursuites, le parent protecteur est parfaitement susceptible de faire l’objet d’une garde à vue et de se retrouver poursuivi pénalement puis condamné par un tribunal correctionnel pour la seule raison qu’il refuse de se plier à une décision de justice qui serait intervenue pour octroyer un droit de visite et d’hébergement, voire la résidence habituelle de l’enfant, à l’autre parent.

5. Quelles solutions ?

5.1. Pour ce qui concerne le SAP

Le recours à la théorie du Syndrome d’Aliénation Parentale devrait être proscrit.

C’est d’ailleurs ce que retient le parlement européen, lequel s’est prononcé le 6 octobre 2021 contre son utilisation. Notamment parce que l’OMS tout comme l’American Psychological Association (APA) rejettent son usage, dans la mesure où il peut « être utilisé comme stratégie contre les victimes de violence en remettant en cause les compétences parentales des victimes ».  Il conclut par ailleurs que ce concept d’aliénation peut “nuire aux femmes victimes de violences conjugales” et qu’il “met en péril les droits et la sécurité de la mère et des enfants”. Il invite par conséquent « les États membres à ne pas reconnaître le syndrome d’aliénation parentale dans leur pratique judiciaire et à décourager voire interdire son utilisation dans les procédures judiciaires, notamment lors d’enquêtes visant à déterminer l’existence de violences ».

C’est aussi ce que retenait le 5ème « Plan de lutte contre les violences faites aux femmes » en- décembre 2016.

Proscrire le SAP, c’est ce à quoi appelle la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), qui a rendu le mercredi 27 octobre dernier un avis pour « mieux protéger les enfants ».

5.2. Pour ce qui concerne les poursuites du parent protecteur pour non-représentation d’enfant

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE) propose d’assurer la sécurité du parent protecteur, en instituant une suspension pure et simple des poursuites pénales pour non-représentation d’enfant contre un parent lorsqu’une enquête est en cours contre l’autre parent pour violences sexuelles incestueuses.

5.3. Pour ce qui concerne la protection de l’enfant victime  

A cet égard, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE) propose :

  • La suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant, dès les premières révélations ;
  • L’instauration de dispositions légales permettant le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant.

A cela il faudrait peut-être ajouter le recours systématique à un droit de visite médiatisé dès lors que l’enfant fait des déclarations graves, cohérentes et corroborées, indiquant l’existence de violences physiques et/ou sexuelles, avec dépôt de plainte à la clé.

Par conséquent, il s’agirait d’intervenir au stade de la simple enquête.

Une telle solution n’irait pas sans poser de sérieux problèmes certes, mais permettrait de protéger l’enfant, au moins le temps nécessaire à l’enquête, l’intérêt supérieur de l’enfant impliquant non seulement d’entendre sa voix, mais également de protéger son intégrité physique et morale.


Serge Losappio

Avocat à la Cour

Médiateur

Chargé d’enseignements à l’Université

Mail : sergelosappio@hotmail.fr