Le “SAP”, un phénomène pervers par excellence

Le “SAP”, un phénomène pervers par excellence

Par Caroline Bréhat, psychothérapeute et psychanalyste, auteure du roman Les Mal Aimées

Le “SAP” est un phénomène pervers par excellence.

En effet, étymologiquement, “pervers” vient du latin “pervertere” qui signifie “inverser”.

Il est effectivement question, avec cette théorie anti victimaire, d’inversion des culpabilités.

Le parent protecteur (généralement la mère) est considéré comme agresseur tandis que le parent agresseur (généralement le père) est considéré comme protecteur et bienveillant.

Le mécanisme de défense psychanalytique appelé “projection”

Et c’est là que le mécanisme de défense psychanalytique appelé “projection” (ou “identification projective”) prend tout son sens et doit être connu des magistrats et théorisé dans ces situations particulières car le parent agresseur projette sur le parent protecteur sa propre tendance fusionnelle, voire incestuelle ou incestueuse. 

Le Bien est donc stigmatisé, le Mal est glorifié. Exactement comme au Moyen-Âge lorsque les femmes herboristes soignantes étaient considérées comme des diablesses et brûlées au bûcher.

Je pense vraiment qu’il est indispensable de vulgariser cette notion de “projection” auprès des juges pour bien leur faire comprendre la perversité de la fallacieuse théorie anti victimaire appelée  le “SAP”. 

Caroline Brehat, psychothérapeute et psychanalyste


A propos de Caroline Bréhat, voir aussi :

Rencontre avec Caroline bréhat

Livre « Mauvais père » : l’importance de la plaidoirie

Livre « Mauvais père » : l’importance de la plaidoirie

Livre "Mauvais père" : l'importance de la plaidoirie de Caroline Bréhat

de Caroline Bréhat

La publication de cet extrait tiré de Mauvais Père, mon témoignage sur le faux syndrome appelé « SAP » publié par Les Arènes en 2016, vise à démontrer qu’une plaidoirie qui intègre des éléments « psy » (en présentant le fonctionnement pathologique et les mécanismes de défense propres à ces personnalités) peut aussi porter ses fruits en sensibilisant les juges à la dangerosité du parent aliénant/agresseur.

C’est en effet grâce à cette plaidoirie que la Cour d’appel de Rennes a très exceptionnellement décidé qu’il fallait protéger ma fille Gwendolyn du parent agresseur (le vrai parent aliénant) en empêchant son retour aux Etats-Unis.


Extrait de Mauvais père de Caroline Bréhat

Nous avions, après de longs débats, décidé d’un changement radical de tactique. Quand le combat est manifestement perdu, il faut changer 3 choses : le terrain, c’est ce que j’avais fait en quittant New York ; mais aussi, les règles du jeu, et les armes. Les juges aux affaires familiales détestent les accusations trop virulentes, mais nous possédions la matière pour les appuyer. Nous étions bien décidés à dessiller leurs yeux et leur démontrer que la personnalité psychotique de Julian interdisait absolument tout retour de Gwendolyn auprès de lui.

Palais des ducs de Bretagne, Rennes, 17 mars. Les trois juges d’appel, le président, et ses deux conseillers, étaient assis en face de moi sur une estrade. Derrière eux, des boiseries somptueuses représentaient des scènes du VIIème siècle. Les magistrats attendaient impassibles que tout le monde prenne place. Deux étudiantes en droit prirent place aussi silencieusement que possible dans notre dos. Les trois juges en robe de velours, capés de leurs mantilles d’hermine si solennelles, ne quittaient pas les protagonistes des yeux, ils semblaient étudier chacune de nos expressions. Le président se démarquait par sa prestance et ses traits aristocratiques. Il m’impressionnait : tremblante, sans doute recroquevillée, j’étais écrasée d’anxiété devant ce demi-dieu qui tenait ma vie et celle de Gwendolyn entre ses mains.
[..]

Je connaissais la plaidoirie de Maître Tollides par cœur. Nous avions passé des jours, des nuits à peser chaque phrase, chaque terme, chaque concept. Nous avions tiré les leçons de la première instance et, cette fois-ci, nous étions bien plus préparés, plus offensifs. Nous y avions intégré le fruit de nos analyses « psy » sur Julian : sa violence, ses projections, sa folie, sa paranoïa. Tout s’était soudain éclairci dans mon esprit, et la plaidoirie de maître Tollides avait été rédigée pour sensibiliser les juges d’appel à la dangerosité de Julian.
Tarnec écoutait l’argumentation de mon avocat, tête baissée. A ses côtés, Julian, dont le coude était posé sur le dossier de sa chaise, était fébrile. Il ne cessait de s’agiter. Maître Tollides continuait de rappeler l’historique de l’affaire. Sa voix portait et sa déclamation spontanée et élégante captait l’attention de l’audience.

Madame Bréhat a toujours eu le souhait que son enfant s’épanouisse lors des périodes passées en son domicile, mais également lors des séjours chez son père. Elle n’a toutefois pu que constater que sa fille manifestait de plus en plus de troubles lorsqu’elle devait se rendre chez M. Jones, exprimant des craintes de plus en plus fortes, ce sentiment de peur s’accompagnant notamment de crises de tremblements. L’enfant faisait part à sa mère d’épisodes de plus en plus violents à son retour. Malgré cela, Mme Bréhat a toujours respecté les termes des décisions rendues, tentant d’apaiser l’enfant, de la convaincre. Les craintes de Mme Bréhat ont redoublé lorsque la thérapeute de l’enfant lui a fait part des pensées suicidaires de Gwendolyn, provoquées par les périodes passées en compagnie de son père et de la seconde épouse de celui-ci. Lors de son séjour en France, en été, elle a décidé de suivre les conseils du docteur Richt, et de consulter une psychologue, afin d’avoir un second avis. Madame Roufignac, dont les conclusions seront également évoquées ci-dessous, a confirmé le bien fondé des craintes éprouvées par la concluante. L’experte a considéré devoir également faire immédiatement un signalement au Parquet. Rappelons que les experts, psychologues et médecins français sont soumis à un code de déontologie strict, et qu’ils peuvent être sanctionnés, professionnellement et pénalement, en cas de faux signalement ou de certificat de complaisance. M. Jones n’hésite pourtant pas à mettre systématiquement en doute les rapports et certificats produits ainsi que la compétence de leurs auteurs…

C’est ainsi que le retour de Gwendolyn a été ordonné, mais au domicile de sa mère. Cette décision ne peut être exécutée, Mme Bréhat n’ayant plus de domicile à New York. Le premier juge, lorsqu’elle évoque une « réalité souvent plus contrastée » quant au parent désigné comme seul responsable par l’autre, et inversement, s’appuie sans aucun doute sur sa longue expérience des conflits parentaux. Mme Bréhat entend pourtant démontrer que le cas d’espèce est extrêmement complexe, qu’il sort du commun et doit être jugé comme tel.
L’auditoire de maître Tollides était manifestement captivé, et Julian, que je ne cessais d’observer, semblait progressivement perdre contrôle de lui-même. Ses yeux brillants s’agitaient frénétiquement et je remarquais que les doigts de sa main droite ne cessaient de pianoter sur sa cuisse.

Monsieur Jones choisit, adopte et impose la réalité qui lui convient. Il est alors profondément convaincu et certainement très convaincant. Mais il peut en changer tout aussi rapidement et peut se montrer particulièrement irascible envers qui veut s’opposer à lui…
Tollides respira, il se tut, ferma les yeux et grimaça. Il y avait dans cette grimace de la douleur.

Irrascible envers qui s’oppose à SA vision de la réalité… notamment sa fille, hélas, qui a ce talent, malgré son jeune âge, de discerner le vrai du faux !
J’observai toujours Julian et je me demandai si je n’étais pas victime d’une hallucination. Sa mâchoire se crispait, son sourire vainqueur se muait en un rictus agressif, son œil devenait effrayant. Julian, le « surdoué », qui maîtrisait toujours tout et montrait un visage parfait devant tous les intervenants de New York, semblait prêt à exploser à tout moment. Les juges le fixaient et je crus lire du dégoût dans le regard du président. Je retins ma respiration.
Maître Tollides poursuivait sa plaidoirie. Là où Tarnec serrait et écrasait sur sa table un poing vengeur, Tollides tournait vers tous une main ouverte, bienveillante. Là où Tarnec dressait et faisait tournoyer un doigt accusateur, Tollides joignait ses paumes dans une prière humble. Tarnec, c’était Mussolini. Tollides, c’était Gandhi, Luther King, Mandela.
Soudain, les yeux de maître Tollides se firent durs.

Par ailleurs, l’argumentation de M. Jones devant la Cour laisse transparaître, en de multiples points, une violence et une haine larvée très inquiétantes. Le harcèlement judiciaire incessant, les menaces, le chantage envers le docteur Richt en sont des signes éloquents. Rappelons qu’au mépris des intérêts de l’enfant, il a cherché à suspendre le travail du docteur Richt qu’il accuse de complicité à un enlèvement d’enfant. Il a récemment poursuivi ce harcèlement par voie judiciaire puisque le docteur Richt a dû répondre à de fausses allégations devant le tribunal disciplinaire de l’Etat de New-York. Elle vient d’en être totalement blanchie faute d’accusations et d’argumentation sérieuse. Il convient de rappeler qu’un nouveau signalement a été fait par le chef de l’unité pédiatrique de l’hôpital de Quimper expliquant que l’enfant a été « admise pour idées noires, pensées suicidaires » et qu’elle présentait « un état de détresse psychique important » provoquant une « crise d’angoisse avec tremblements, polypnée » Comment M. Jones peut-il négliger, comme il le fait, la douleur de son enfant ? L’enfant a déclaré au juge « j’aime un petit peu mon père, presque pas. » Elle a dit à son père depuis, lors de leur dernier contact téléphonique : « je veux bien que tu sois mon père, si tu arrêtes de mentir et de dire que je mens. » Une enfant entièrement sous l’emprise de sa mère, comme il est allégué, serait incapable d’une telle nuance. L’absence totale d’ambivalence de l’enfant aurait été le principal signe du prétendu « syndrome d’aliénation parentale » allégué par le père, et lui seul, sans pièce à l’appui. Ce n’est donc manifestement pas le cas !
Je fixai toujours Julian, de plus en plus incrédule. L’agitation nerveuse de sa jambe droite, le rictus qui déformait son visage et sa mâchoire serrée composaient un tableau de plus en plus terrifiant. Les juges ne le quittaient pas des yeux. Julian se tourna alors vers moi. Ses yeux exorbités reflétaient toute sa haine. Je frissonnai. Effarée, je me retournai vers les étudiantes assis derrière moi. Les deux jeunes filles me sourirent simultanément. Il y avait dans leur regard de la compassion.

La personnalité de M. Jones est particulièrement inquiétante. Monsieur Jones montre deux visages très différents selon les interlocuteurs et les circonstances : le tyran domestique se cache derrière une façade sociale particulièrement altruiste et pacifique de militant humaniste. Mais cette construction elle-même devient caricaturale, grossièrement mensongère, et vire même au délire prophétique : la lecture des sites mis en ligne par M. Jones pourrait faire rire en dehors du présent contexte : vous verrez par vous-mêmes, messieurs les juges. M. Jones a une vision, une mission : il va maintenant « illuminer le monde » pour l’unifier.
L’expression sur le visage de Julian me bouleversa soudain. Je la reconnus. Je m’attendais presque à ce qu’il hurle en ma direction la phrase qui m’avait alertée sur sa folie lorsque je lui avais jeté un bonnet sur l’épaule : « Tu m’as blessé ! J’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête ! » Julian dévoilait sa face sombre, celle qu’il prenait généralement bien soin de cacher et je ne pouvais m’empêcher de trembler. Je claquai des dents, conditionnée sans doute. Mais les yeux du président du tribunal, posés sur moi, reflétaient un mélange d’empathie et de pitié à mon égard. Il me croyait ! Tarnec secoua la tête faiblement, mais le cœur n’y était plus. Il semble avoir jeté les gants.

Brusquement, le discours de Tollides s’accéléra, sa voix se fit forte. Il lança l’assaut, et, soudain, les mots claquèrent, les répliques assassines fusèrent, les phrases sifflèrent, les arguments explosèrent. La violence et la peur avaient envahi la salle, palpables, incarnées. La violence de Julian, notre terreur. Le chaos de Julian. Sa folie aussi. Mes yeux s’emplirent de larmes et ma vue se brouilla.

Par ailleurs, comme on l’observe souvent dans ce type de personnalité, M. Jones prête facilement aux autres (il projette sur eux) ses sentiments les plus agressifs, ses travers les moins acceptables. On a vu ainsi qu’il attribue d’abord des troubles psychiques à Mme Bréhat. On a vu qu’il accuse Mme Bréhat d’entretenir des rapports asphyxiants, aliénants et d’emprise avec son enfant alors que c’est lui qui a une dépendance malsaine vis-à-vis de sa fille qu’il a tentée de mettre sous son emprise. On a vu qu’il a initié toutes les dernières procédures, y compris en utilisant des méthodes condamnables en France (enregistrement caché) et les fausses déclarations, mais c’est Mme Bréhat qui est pour lui « procédurière. » On a vu dans plusieurs témoignages et signalements qu’il tente régulièrement d’imposer sa réalité propre à sa fille, mais c’est Mme Bréhat qu’il accuse d’implanter des idées dans le cerveau de Gwendolyn ! On a de multiples exemples (pièces à l’appui) de ses mensonges qui deviennent un style de vie, mais c’est Mme Bréhat qui est qualifiée de « professionnelle de la manipulation. Encore une fois, M. Jones est profondément convaincu de ce qu’il avance, et donc souvent très convaincant. Mais il ne fait qu’alléguer : c’est Mme Bréhat seule qui produit des témoignages et signalements concordants des professionnels et experts qui ne peuvent être ignorés.

Le regard que lança Julian à mon avocat me stupéfia et fit frémir bruyamment les deux étudiantes en droit : son agressivité manifeste n’avait pas échappé aux trois juges, qui ne le lâchaient plus, froids, glaciaux, glaçants, eux qui voyaient devant eux, sur le visage de Julian, se dessiner la folie, la violence, le mensonge, le portrait exact qu’était en train de dresser, mot après mot, phrase après phrase, un époustouflant Tollides.
Le masque était tombé. Julian affichait désormais un rictus haineux permanent, ses yeux étaient écarquillés, perdus, paniqués. C’était maintenant lui la bête traquée. Il savait qu’il avait perdu, mais, pour une fois, il était totalement impuissant. Il ne pouvait même plus soutenir le regard des juges, et cherchait désespérément une expression rassurante, un signe de confiance chez son avocat. Or Tarnec avait posé un coude sur son pupitre, et de deux doigts, il soutenait un front devenu trop lourd, il hochait ostensiblement la tête. Le ténor des ténors semblait accablé. Je n’y croyais pas. Tout cela semblait irréel.

A la lumière de tout ceci, il n’est tout simplement pas concevable, sans avoir au moins pris la précaution d’une expertise d’envisager le simple retour de Gwendolyn au domicile paternel.
Maître Tollides était immobile. Il respira longuement, puis se retourna vers moi. Il avait l’air épuisé. Mais son visage, pourtant grave, dégageait une impressionnante sérénité. Les deux étudiantes trépignaient, elles me souriaient, elles paraissaient folles d’enthousiasme. Tout cela semblait chimérique. Se pouvait-il vraiment… ?

Les mots violents employés par Tarnec me firent soudain comprendre qu’il avait entamé sa plaidoirie. « Madame Bréhat… une manipulatrice hors pair… mère pathologique et dangereuse qui n’hésite pas à laver le cerveau de sa fille pour en découdre avec le père… » Sa voix emportée, son ton coléreux et son argumentation désordonnée, quelle contraste avec la musique, la partition jouée par maître Tollides ! J’observai Julian. C’était lui qui maintenant s’agitait sur sa chaise comme un insecte dans une toile d’araignée. Je ne savais que trop bien ce qu’il ressentait, ce besoin irrépressible de réagir ou de fuir, tout en ayant pleinement conscience que ses propres réactions resserrent inexorablement le piège, que l’on provoque sa propre perte et que la peur que l’on ressent stimule notre tortionnaire. Le plus diabolique dans cette situation, le plus pervers, c’est la lucidité de la victime. A le voir si pitoyable, j’avais presque pitié de Julian… Presque. Quel retournement ! Il me semblait que les mouches avaient changé d’âne. J’étais perdue dans mes émotions, dans un délicieux brouillard, et je n’entendais plus rien de la plaidoirie de Tarnec. J’étais déjà loin.


Romancière, psychanalyste et psychothérapeute française, Caroline Bréhat a travaillé quinze ans à l’ONU et dix ans comme journaliste à New York. 

Livre les mal aimées de Caroline Bréhat

Son roman autobiographique « J’ai aimé un manipulateur » (Éditions des Arènes), traduit en douze langues et son livre témoignage « Mauvais Père » (Éditions des Arènes) traitent tous deux du sujet des pervers narcissiques et des parents destructeurs.

Son dernier livre s’intitule « Les mal aimées » . Elle y aborde sous un autre angle la violence familiale transgénérationnelle, ce sujet que cette psychanalyste maitrise si bien à titre personnel et professionnel. Vous pouvez retrouver son interview dans notre article « Rencontre avec Caroline Bréhat ».

Le « Syndrome d’Aliénation Parentale » ou l’instrumentalisation du système judiciaire

Le « Syndrome d'Aliénation Parentale » ou l’instrumentalisation du système judiciaire

Par Caroline Bréhat


Romancière, psychanalyste et psychothérapeute française, Caroline Bréhat a travaillé quinze ans à l’ONU et dix ans comme journaliste à New York. Son roman autobiographique « J’ai aimé un manipulateur » (Éditions des Arènes), traduit en douze langues et son livre témoignage « Mauvais Père » (Éditions des Arènes) traitent tous deux du sujet des pervers narcissiques et des parents destructeurs. Enfin Caroline Bréhat a publié récemment ‘ Les mal aimées ‘. Elle y aborde sous un autre angle la violence familiale transgénérationnelle, nous avions rédigé un article.


Le « SAP » (Syndrome d’Aliénation Parentale) ou « AP  » (Aliénation Parentale), stratégie judiciaire employée par des pères maltraitants pour occulter les violences faites aux enfants, a le vent en poupe en France.

La lourde porte vient de se refermer derrière la jeune femme. Un claquement sourd, qui, une fois encore, lui a brisé le cœur. La rue grouille de vie sous le soleil de midi, mais elle, elle est seule au monde, glacée. Elle s’appelle Julie, et son visage, qui devait être joli, est ravagé par un torrent de larmes, figé dans une grimace atroce, un hurlement silencieux. Ne pas se retourner, ne pas se précipiter vers cette porte, vers l’interphone, ne pas supplier de pouvoir entrer à nouveau, « juste cinq minutes encore », ne pas être cette femme qu’ils imaginent, dont ils doivent parler avec condescendance, « immature », « théâtrale », « démonstrative », « intolérante à la frustration »… «manipulatrice », en fait. Il y a deux heures à peine, Julie se présentait à cette même porte, en avance, bien sûr :

– Bonjour, je suis… la maman de Lili !

Un grésillement électrique, et « clac », la porte qui s’entrouvre sur un couloir vide, où Julie s’engouffre, heureuse et terrifiée à la fois. A l’intérieur, des bruits carcéraux : des portes, des clés, des chaises qui tombent, des cris d’enfants étouffés derrière les murs. Des bâtiments jaunes ferment la cour. Derrière les hautes fenêtres, les salles monacales où se déroulent les « rencontres médiatisées » ne contiennent que des chaises et des tables en métal. Aucune décoration, pas de dessins sur les murs, pas un jouet, pas même un sapin pour Noël. Julie attend, la gorge serrée. Soudain, un bruit de course, effrénée, puis un cri : « MAMAN ! ». Une petite fille blonde d’environ 4 ans apparaît bientôt, accompagnée d’un éducateur.

La jeune femme tombe à genoux, ses bras se tendent, et elle ne sait plus si elle pleure ou si elle rit. L’enfant se jette sur elle, et les petits bras et les petites jambes se serrent si fort autour du cou et du torse maternels que c’en est douloureux. Leurs voix se mélangent : « Maman… Lili… maman… Lili… Que tu es belle… Et toi aussi »… Julie respire son enfant, la tête enfouie dans ses cheveux, pour mémoriser cette odeur qui lui a tellement manqué ces deux dernières semaines. Lili ne se décrochera de sa maman que quelques minutes pour dessiner leur « maison » à la craie sur le sol de la cour dans laquelle elle demandera à sa mère de s’asseoir et de l’enlacer, les yeux fermés. Les deux heures accordées passeront en un instant, et l’éducateur devra intervenir, comme il s’y attendait, pour arracher Lili à sa maman. La fillette hurlera de désespoir, les murs étoufferont ses cris, et Julie ressortira comme d’habitude, seule, chancelante.

Voilà bientôt deux ans que Julie ne voit Lili que 2 heures tous les 15 jours, de 10 h à midi, dans un centre de médiation familiale. Elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation ni poursuite. Pourtant, elle est considérée par la justice comme une mère « hautement toxique » dont il faut protéger l’enfant. Son crime ? Avoir cru sa fille lorsque celle-ci lui a raconté le « secret de papa ». Une mécanique infernale s’est alors enclenchée malgré les signalements de professionnels de la santé alarmés par les jeux sexualisés de l’enfant aux autorités compétentes comme la loi les y oblige. La partie adverse a brandi le « Syndrome d’Aliénation Parentale » (SAP), et, par un incroyable retournement, c’est Julie qui a été immédiatement suspectée, car, de plus en plus, pour de nombreux intervenants judiciaires, les accusations de maltraitances sexuelles, mais aussi physiques, sont perçues comme des tactiques maternelles pour priver les pères de leurs enfants.

Aussi, en décembre 2013, Lili a, dans un premier temps, été confiée à son « père », Julie obtenant des droits de visite classiques (deux week-ends par mois et la moitié des vacances). Mais les jeux sexualisés de Lili ont alerté Hélène Romano, Docteure en psychopathologie clinique, spécialisée dans le psychotraumatisme, qui a immédiatement fait un nouveau signalement à propos d’une « petite fille d’environ 2 ans présentant via un jeu traumatique, des manifestations très spécifiques d’enfant agressée sexuellement ». Une expertise, réalisée par un praticien aujourd’hui gravement remis en cause par ses pairs, concluant que « Julie trouvait sa satisfaction dans l’utilisation de l’enfant contre le père, ce qui entre dans le cadre des syndromes d’aliénation parentale », a valu au signalement d’être classé sans suite. La pathologisation de la mère prenant soudain toute la place, les accusations de violences paternelles ont disparu du radar de la justice, et Julie est devenue en octobre 2014 la « visiteuse » de son enfant.

Le « SAP » a été inventé en 1985 par un sulfureux psychiatre américain nommé Richard Gardner dans un contexte de levée du tabou de l’inceste et de multiplication des plaintes.

Persuadé que la grande majorité des enfants qui refusaient de voir le parent non gardien, généralement le père , et qui alléguaient des violences paternelles avaient subi un « lavage de cerveau » par leur mère qui entretenait avec eux un lien pathologique, Gardner a déployé une énergie plus que suspecte à diffuser ses thèses douteuses, toutes d’ailleurs publiées à compte d’auteur et jamais soumises à la moindre évaluation par ses pairs. Malgré une levée de boucliers de la part de chercheurs sérieux, ses influentes théories ont provoqué une multitude de catastrophes judiciaires conduisant même des enfants au suicide [I]. Gardner, qui avait obtenu un titre de professeur honorifique à la faculté de médecine de Columbia, titre accordé à des cliniciens qui acceptent des étudiants à leurs consultations, n’avait pas hésité à usurper le titre de professeur de psychiatrie, même si ses revenus provenaient exclusivement de ses expertises qu’il facturait 500 dollars de l’heure à des pères accusés d’abus sur enfant [II].

De nombreux chercheurs ont conclu que la plupart des écrits de Gardner étaient fortement misogynes, axés sur la malveillance et la pathologisation des mères. Mais Gardner considérait aussi que la société avait « une attitude excessivement punitive et moralisatrice envers les pédophiles » [III], et estimait que la société devait reconnaître leur « rôle fondamental pour la survie de l’espèce humaine » [IV]. Gardner a notamment soutenu Woody Allen contre Mia Farrow dans le cadre de leur litige de garde en 1992 affirmant à Newsweek qu’ « invoquer des maltraitances sexuelles était un moyen très efficace pour se venger d’un mari détesté ». Ultime preuve de son déséquilibre, Gardner s’est suicidé en se lardant de coups de couteau en 2002. Malgré de nombreuses tentatives et un lobbying effréné, représenté en France par l’expert psychiatre auprès de la Cour de Cassation, Paul Bensussan, le « SAP/AP » vient à nouveau d’être refusé d’inclusion dans la nouvelle mouture du DSM V (Manuel diagnostique et statistique international des troubles mentaux ) et n’est PAS reconnu par l’ Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Considéré par l’avocat américain, Richard Ducote, comme « un cancer dans les tribunaux américains » , et par l’expert des violences sur mineurs, Jon Conte, comme « la pire saloperie pseudo scientifique rencontrée pendant sa carrière » , qui a ajouté « qu’élaborer des politiques sociales sur quelque chose d’aussi inconsistant était follement dangereux » , le « SAP/AP » n’en a pas moins le vent en poupe dans les prétoires Français.

En 2013, la Cour de Cassation a même approuvé le jugement de la cour d’appel de Rennes, qui avait ordonné le transfert de résidence de l’enfant chez le père en raison du « SAP »[V]. « La sensibilité des professionnels à ce concept conduit ainsi à déplacer le questionnement juridictionnel de l’auteur des violences conjugales vers la mère suspectée de nuire à la relation entre le père et l’enfant, occultant ainsi les violences et leur impact sur l’enfant. Ce déplacement de la problématique conduit aussi à culpabiliser la mère et à négliger la protection de l’enfant », affirme le magistrat Edouard Durand. D’abord utilisée uniquement pour contrer des accusations d’inceste, l’« aliénation parentale » est devenu une stratégie judiciaire à la mode, de plus en plus souvent brandie comme « diagnostic » dès lors qu’un enfant refuse de se rendre chez un parent, le rejette ou invoque des violences paternelles selon les associations de défense des droits des mères et des enfants.

Vous pouvez aussi consulter notre article sur l’invention du syndrome d’aliénation parentale.

Le « SAP/AP » suscite pourtant de vives polémiques.

Le Professeur Bernard Golse pédopsychiatre et chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants Malades, considère le « SAP » comme un « pur fantasme d’une nosographie psychiatrique prétendument moderne qui ne repose sur aucune base scientifique, et ne fait que recouvrir l’agressivité et les carences des adultes sous les oripeaux d’une fallacieuse scientificité » . Le docteur Gérard Lopez, psychiatre Expert près la Cour d’Appel de Paris et Président fondateur de l’institut de Victimologie de Paris, considère le « SAP » comme un outil favorisant la non-assistance à personne en danger .

Comment expliquer qu’un concept fumeux qui brille avant tout par son manque de rigueur scientifique, promu par un psychiatre déséquilibré, connaisse un tel succès au pays de Descartes ? « Le SAP est un concept séduisant pour des spécialistes non formés ou insuffisamment formés aux conséquences du divorce sur les enfants, qui trouvent une explication simpliste à tout problème de contact entre un parent et son enfant, lequel s’explique le plus souvent par les carences parentales du parent rejeté ou la violence d’un conflit parental qui amène l’enfant émotionnellement vulnérable à prendre parti pour un parent contre l’autre », explique la présidente de l’Enfant d’abord, Jacqueline Phélip qui a étudié la question durant un an avec l’aide de chercheurs américains connus internationalement.

Car l’aliénation ou l’emprise existent bien, mais ils sont rares : «  Ils sont le fait d’individus déséquilibrés présentant des troubles psychiatriques », poursuit Phélip. Cependant le « SAP » commence à subir quelques revers de fortune dans d’autres contrées. En 2016, trois psychologues (2 américains dont Douglas Darnall, souvent cité par les pro-SAP, et 1 australien) ont été sanctionnés pour la nature « non professionnelle » de leurs expertises. L’une d’entre elles était accusée de « ne faire aucune différence entre les faits, la rumeur, l’ouï-dire et l’opinion personnelle et d’utiliser le « SAP », en postulant à tort que ce syndrome était une classification psychiatrique reconnue et fréquemment employée » [VI].

La lutte contre la violence faite aux femmes a été déclarée grande cause nationale en France en 2010, une femme meurt tous les trois jours (2,5 jours) sous les coups de son conjoint ou de son partenaire, deux enfants meurent chaque jour sous les coups de leurs parents [VII]. Selon l’Association internationale des victimes d’inceste (AIVI) et le Collectif féministe contre le viol (CFCV), il y aurait deux millions de victimes en France, un enfant par classe, des « crimes » majoritairement commis par des hommes. Pourtant, les tribunaux aux affaires familiales rechignent à faire le lien entre le fléau des violences intrafamiliales et l’utilisation manipulatoire, par les pères incriminés, du « SAP ». C’est d’ailleurs ce qu’a constaté en 2004 le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, Juan Miguel Petit : « De nombreux individus occupant des positions de responsabilité dans le domaine de la protection de l’enfance, plus particulièrement dans la magistrature, refusent encore de reconnaître l’existence et l’ampleur de ce phénomène, incapables d’accepter le fait que beaucoup de ces accusations de violence sexuelle puissent être vraies »[VIII].

Malgré les affirmations d’associations telles que l’Association contre l’aliénation parentale (ACALPA), qui emploient des formules propres à frapper l’imaginaire telles que les « enfants-soldats » ou la « parentectomie »[IV], toutes les enquêtes prouvent que les fausses allégations sont marginales. La prise de conscience des ravages causés par le « SAP/AP » aux Etats-Unis est à l’origine du rapport de DV LEAP-OVW , financé par le Ministère de la justice américain, intitulé « Crises au tribunal de la famille : leçons sur des renversements de situations », qui présente la situation de 27 enfants, confiés au parent protecteur après avoir été initialement confiés à un parent maltraitant, en raison des preuves apportées par la suite des abus et violences de ce dernier. Il y est fait état d’une étude récente réalisée par les agences nationales américaines de protection de l’enfance, qui conclut que seulement 0.1% des allégations rapportées aux services de protection de l’enfance étaient considérés comme délibérément fausses . Une étude canadienne, réalisée par Trocme et Bala en 2005, conclut que le parent non gardien, en général les pères, sont plus susceptibles de faire des fausses allégations que les mères (15% versus 2%, respectivement).

Les pères seraient-ils plus enclins à mentir que les mères ? Non, bien sûr, mais les études s’accordent sur le fait que les litiges de garde comportent souvent un taux élevé de violences intrafamiliales par rapport à la population générale des divorcés, les familles non violentes résolvant généralement ces questions hors tribunal. Or selon l’Association américaine du Barreau, qui a publié un guide sur les meilleures conduites : « De nombreux agresseurs familiaux sont de grands manipulateurs, ils se présentent comme de bons parents coopératifs et dépeignent le parent victime comme une personne diminuée, vindicative ou excessivement protectrice » . C’est aussi l’avis de l’American psychological Association : « Les agresseurs intrafamiliaux projettent très habilement la faute sur leurs victimes ».

C’est face à ce type de situation, afin de dénoncer les reculs enregistrés ces dernières années en matière de protection de l’enfance, que la pédopsychiatre Eugénie Izard a créé le Réseau de Professionnels pour la Protection de l’Enfance et l’Adolescence (REPPEA) et dirigé en collaboration avec la psychologue Hélène Romano l’ouvrage « Danger en protection de l’enfance : dénis et instrumentalisations perverses ». « Depuis le procès d’Outreau, l’attention portée à la parole des enfants maltraités est retombée au niveau du XIXe siècle où les témoignages des violences subies par des enfants étaient systématiquement disqualifiés » écrit Hélène Romano. Les deux spécialistes plaident pour une « juridiction pluridisciplinaire spécialisée dans ce domaine ».

En France comme ailleurs, les promoteurs de cette théorie « antivictimaire » ont pignon sur rue. L’expert judiciaire belgo-canadien et professeur à l’Université de Montréal, Hubert Van Gijseghem, pense que « trop écouter et judiciariser la parole de l’enfant peut avoir des conséquences plus graves que l’abus lui-même ». Auditionné devant le comité de la Chambre des communes canadienne, au sujet d’un projet de loi voulant durcir les peines des prédateurs sexuels, Van Gijseghem a surpris son auditoire en soutenant que la « pédophilie » (il faut en fait parler de pédocriminalité) était une orientation sexuelle au même titre que l’hétérosexualité ou l’homosexualité [X]. Van Gijseghem intervient pourtant dans la formation de magistrats, de psychologues, de policiers, de gendarmes et de travailleurs sociaux dans différents pays.

L’autre thuriféraire du « SAP/AP » en Europe, Paul Bensussan, psychiatre et expert auprès de la Cour de Cassation, affirme lui aussi que les parents aliénants sont essentiellement les parents gardiens donc des mères. Devenu le « sachant » officiel de la remise en cause des enfants du procès d’Outreau qu’il n’a pourtant jamais expertisés , est un autre propagandiste ultrazélé du SAP, qui s’élève contre la « sacralisation » de la parole de l’enfant. Pourtant, selon la Défenseure des enfants, Claire Brisset, seulement 10 % des révélations de viols et agressions sexuelles débouchaient sur une procédure judiciaire en 2001. Bensoussan a réalisé une expertise en décembre 2013 après que la petite Marie, alors âgée de 3 ans, a manifesté des comportements sexualisés avec sa mère et à l’école envers d’autres enfants, et accusé son père d’attouchements.

Le pédopsychiatre de Marie expliquait dans son expertise que le père de Marie était une « figure anxiogène » pour l’enfant. Mais Bensussan balaie l’hypothèse des violences paternelles et préfère y voir l’ombre d’une mère pathologique : « ces accusations sont compatibles avec l’hypothèse d’un abus sexuel, mais tout aussi compatibles avec celle d’un abus fantasmé » en lien avec « les craintes de la mère nourries par de nombreux fantasmes de viols incestueux ». C’est sur la base de la « certitude maternelle inébranlable » et de « la vive réticence maternelle quant au contact père-fille » que Bensoussan, qui écrit qu’il se fonde notamment sur les paramètres définis par Van Gijseghem dans l’évaluation de la validité d’une allégation, a recommandé le transfert d’autorité et de garde de Marie à son père. La petite Marie, qui n’a donc jamais été expertisée, n’a pas vu sa mère depuis 26 mois car le centre désigné par le juge pour les visites médiatisées n’est pas habilité aux visites et les juges n’ont pas répondu à ses requêtes tendant à désigner un autre organisme.

Caroline Bréhat

Site de Caroline Bréhat : https://www.carolinebrehat.com


Notes :

[I] http://www.independent.co.uk/news/obituaries/dr-richard-a-gardner-36582.html

[II] http://www.nytimes.com/2003/06/09/nyregion/richard-gardner-72-dies-cast-doubt-on-abuse-claims.html

[III] Gardner, R.A. (1991), Sex Abuse Hysteria: Salem Witch Trials Revisited, Cresskill, NJ: Creative Therapeutics, 118.

[IV] Gardner, R.A. 1992. True and False Accusations of Child Sex Abuse, Cresskill, Creative Therapeutics.

[V] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000024952574

[VI] http://www.canberratimes.com.au/act-news/canberra-psychologist-disciplined-after-labelling-children-with-unrecognised-condition-20160603-gpaly1.html

[VII] http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/06/14/enfants-maltraites-deux-morts-par-jour_3430128_3224.

[VIII] Petit, J.M. 2004. Rights of the Child (Addendum : Mission to France, 25-29/11/2002), http:// ap. ohchr. org/ documents/ dpage_e. aspx? m= 102 (Internet, 29/12/2004).

[IX] https://affairesfamiliales.wordpress.com/tag/acalpa/

[X] http://www.lenfantdabord.org/lenfant-dabord/1202-2/

Rencontre avec Caroline Bréhat

interview caroline bréhat

Caroline Bréhat est arrivée à pas de chat dans le bistrot parisien où nous avions rendez-vous. Un mélange de douceur et de volonté quand elle vous fixe, des yeux dans le vague le plus souvent, voilà une femme réfléchie et forte de plusieurs vies.

Romancière, psychanalyste et psychothérapeute française, Caroline Bréhat a travaillé quinze ans à l’ONU et dix ans comme journaliste à New York. Son roman autobiographique « J’ai aimé un manipulateur » (Éditions des Arènes), traduit en douze langues et son livre témoignage « Mauvais Père » (Éditions des Arènes) traitent tous deux du sujet des pervers narcissiques et des parents destructeurs.

Car hélas, cette quarantenaire connait bien ces personnes, pour avoir vécu avec un américain, père incestueux au pouvoir d’emprise phénoménal. Elle a dû fuir pour protéger leur fille, lutter longuement avec et parfois contre la justice, faire de la prison, convaincre le FBI de sa bonne foi… Une histoire de violence bien trop ordinaire tant elle ressemble à celle d’innombrables autres victimes (même si peu de femmes font l’objet d’un mandat Interpol heureusement). C’est sans doute cela le plus triste.

Caroline Bréhat a accepté de venir nous parler de son dernier livre « Les mal aimées ». Elle y aborde sous un autre angle la violence familiale transgénérationnelle, ce sujet que cette psychanalyste maitrise si bien à titre personnel et professionnel.

les mal aimées de caroline brehat

Bonjour Caroline Bréhat. Vos trois derniers romans s’attaquent à la thématique de l’emprise conjugale et parentale. Pourquoi ce sujet récurent dans vos œuvres ?

Caroline Bréhat : On dit souvent qu’on essaye de se réparer en aidant ou soignant les autres. J’écris des romans thérapeutiques pour aider les mères et les enfants aux prises avec les maltraitances et l’emprise. C’est ainsi que je les vois.

Quand je ne vais pas bien, j’écris. Je le faisais quand je vivais avec mon ex. Les scènes affolantes, je les écrivais. C’est comme cela que j’ai pu envoyer mon texte à mon éditrice pour mon premier ouvrage.

Écrire permet de se représenter une réalité complexe et difficile à appréhender. Je demande d’ailleurs souvent à mes patientes d’écrire leur vie sur le papier.

Les résultats sont toujours incroyables car ils leur permettent de devenir sujets de leurs expériences, de se revaloriser, de remettre de l’ordre dans le désordre. C’est le premier pas de leur reconstruction. Les patientes reprennent du contrôle. Parce que quand on rencontre le MAL, on a des difficultés à se représenter la chose. Alors si en plus, c’est le père ou la mère de notre enfant, et que l’enfant risque aussi d’être contaminé, c’est vécu comme une expérience apocalyptique. Les capacités élaboratives sont débordées, le psychisme est désorganisé et la personne ne fait plus confiance dans ses perceptions.

L’écriture peut littéralement sauver nos vies, comme l’écrit d’ailleurs Boris Cyrulnik dans son dernier livre « la nuit, j’écrirai des soleils ». L’écriture m’a aidée, d’autres personnes m’ont aidées aussi alors je redonne en retour autant que je peux. Et je parle de ce que je connais car mes récits sont partiellement autobiographiques.

J’ai écrit mes premiers livres pour ma fille. Celui-ci, il est pour les mères qui peuvent s’identifier à moi, ces femmes victimes de violence et d’emprise qui souffrent et dépérissent. Je souhaite que mes romans leur apportent du mieux-être.

Comment un pervers choisit ses victimes ?

Caroline Bréhat : Il choisira souvent quelqu’un qui a été fragilisé pendant son enfance, par un parent maltraitant à la fois sadique et séducteur (au sens clinique).

Sous l’influence du pervers, sa victime va se remettre en question perpétuellement. Elle va interroger constamment sa lecture de la situation, sa santé mentale, ses propres perceptions, ses émotions. Et au final sa capacité à appréhender le réel. Il en découlera une culpabilité et un manque de confiance en soi très mortifères.

La victime, au dernier stade de l’emprise, ne sera plus capable de recul. Elle deviendra comme KO et ne saura plus faire la différence entre le bien et le mal, avec la mise en place d’un système d’inversion des valeurs.

On devrait enseigner la psychopathologie au lycée. Les jeunes devraient avoir les bases et donc les clés pour se méfier. Car l’emprise gagne en puissance avec le temps. En coupant l’herbe sous le pied des pervers, grâce à un enseignement qui permettrait de les identifier dès la rencontre, on pourrait peut-être sauver des gens.

Comment justifiez-vous l’acharnement de certains membres de la police, de la justice face aux personnes qui se présentent comme victime d’un pervers ?

Caroline Bréhat : C’est tout le savoir faire du pervers ou du paranoïaque (car il s’agit souvent d’un des deux) justement. Quand il s’adresse à un individu qui a du pouvoir sur sa vie (un policier, un avocat…), il s’adapte très vite. Son discours est tellement convaincant, tellement puissant que pour son interlocuteur, sauver le pervers devient une mission personnelle. Cette force de persuasion contamine tout le monde. Et ce juge, cette éducatrice, cette directrice d’école se transforment en farouche défenseurs du pervers. Ils s’identifient, se sentent investis et en viennent à détester le parent protecteur.

C’est une capacité propre aux psychotiques et aux pervers. Ils ont des relations d’objets agressives. Ils choisissent des objets d’amour et de haine qui vont être capables de recevoir leurs projections.

Comment peut-on reconnaitre un pervers narcissique pathologique ?

Caroline Bréhat : Le narcissique pathologique, c’est la personne qui souffre d’une déficience empathique. D’ailleurs, c’est un conseil qu’on peut donner aux gens avant de se mettre en couple. Lancez des perches. Si votre amoureux.se n’a aucune réaction empathique sur des sujets auxquels vous l’exposez, s’il ne peut pas se mettre à votre place et ressentir ce que vous vivez, ce n’est pas forcément une bonne chose de continuer.

Un pervers ou un paranoïaque ont subi des choses dans l’enfance qui leur ont appris à lire dans les visages des gens qu’ils avaient face à eux, pour se défendre, pour survivre. Devenus grands, ce sont des fins psychologues, capables de lire les émotions et les failles, pour mieux s’en servir cette fois-ci pour dominer.

Les deux sont dans l’idéalisation d’eux-mêmes, dans l’omnipotence. Les deux sont sur-adaptés au conflit. Et surtout, ils sont dans le contrôle et peuvent vite virer parano et se mettre à tout surveiller. Très souvent ils projettent leur mal-être, leur travers à eux sur l’autre. C’est ce qu’on appelle la projection.

Quant à leur relation avec leurs parents (et leur mère plus particulièrement) elle est problématique. Ils n’ont pas réussi à se décoller psychiquement de leurs parents (leur mère en général)…

Comment revalorise-t-on un enfant victime d’un pervers narcissique ?

Caroline Bréhat : Il ne s’agit pas que de donner de l’amour. On pense instinctivement que l’amour suffira. Mais ce n’est pas si simple, c’est l’attachement le problème. Ces enfants souffrent de l’absence de sécurité qui a marqué leur environnement. C’est donc l’attachement qu’il faut fortifier.

Je pense qu’il faut les deux piliers déjà. L’amour effectivement mais aussi de la discipline. Un cadre cohérent, expliqué, rassurant, car souvent les enfants victimes sont très agressifs, notamment vis-à-vis d’eux-mêmes.

Faire faire des activités à l’enfant, lui faire rencontrer d’autres enfants, avoir des amis, cela lui permettra de lire dans le regard de l’autre une certaine admiration. Il entamera un processus d’amour de soi qui lui fait tant défaut puisqu’il souffre d’une faille narcissique. Et plus l’enfant est dans son adolescence, plus le regard qui lui importe n’est plus celui de ses parents, mais celui de ses pairs.

Le théâtre autant que les sorties avec ses amis peuvent aider en fait.

Faut-il aborder régulièrement le sujet des violences passées avec les enfants victimes ou au contraire passer à autre chose ?

Caroline Bréhat : Je ne sais pas. Dans mon cas, mon enfant vit très mal ces discussions, qu’elles viennent de moi ou de sa psy.

J’en parle en prenant des pincettes.

Les enfants sont très ambivalents à ce sujet parfois. Ils savent le mal qui a eu lieu dans le passé mais en même temps rêvent d’une évolution meilleure dans le futur.

Comment peut-on aider et être un allié pour les victimes ?

Caroline Bréhat : Les victimes ont besoin d’être entendues. Ça demande tellement de force et de courage de parler. Remuer tout cela est très difficile.

Alors croyez-les, ne minimisez-pas, écoutez, aidez à verbaliser sans jugement, avec une sorte de neutralité bienveillante. Ce qui aide, c’est l’empathie. Car les victimes sont dans un chaos total, où plus rien ne fait sens, elles se sentent comme exclues de la société et le monde leur parait froid et dur.

Si le taux de suicide est si important, c’est parce que les victimes ne se sentent plus appartenir à la communauté humaine. Elles sont là sans être là… Comme spectatrice de la vie sans pouvoir y participer.

Si vous voulez aider, soyez un ami inconditionnel.

Merci Caroline Bréhat.

Site de Caroline Bréhat : https://www.carolinebrehat.com

Article de Caroline Bréhat sur note site : Le « Syndrome d’Aliénation Parentale » ou l’instrumentalisation du système judiciaire

On rajoute que pour mieux comprendre ce que vivent les victimes, lisez les livres de cette romancière. Vous appréhenderez plus facilement le désarroi de vos amis.

Le résumé du livre Les mal aimées de Caroline Bréhat :
Ce roman inspiré d’un fait réel traite de l’inceste, du déni sociétal dont il est entouré, et de sa généalogie en lien avec les violences intra-familiales.
Un enfant livré à un père incestueux est une douleur, une malédiction qui se transmet de génération en génération qui, si elle n’est pas traitée, risque de se reproduire dans les générations suivantes.

Notre avis sur Les mal aimées :
C’est un livre puissant qui propose plusieurs niveaux de lectures. Déjà c’est facile à lire, fluide et l’histoire se dévore. On aime l’approche à la fois romanesque et très rationnelle. Ensuite, il y a un niveau thérapeutique qui prend de plus en plus d’ampleur et qu’on a adoré.
Certains paragraphes sont comme dézoomés pour apporter des explications de textes. Mais ça reste au lecteur de conclure selon son propre vécu.
Le livre résonne fort, qu’on soit soi-même passé par ces violences ou qu’on en ait été témoin.
Merci à Caroline Bréhat.

Protéger l’enfant