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La bientraitance de nos enfants

La bientraitance de nos enfants Discours du Dr Jean-Marc Ben Kemoun, Pédopsychiatre

Discours du Dr Jean-Marc Ben Kemoun, Pédopsychiatre

Soirée Inauguration Association WeToo, 27 novembre 2021

Je vous remercie de me donner la parole pour vous parler de la bientraitance de nos enfants.

Vous remarquerez que nous sommes un pays où la prévention ne fait pas naturellement partie des modes d’action quelle que soit le sujet.

Alors nous parlons sans cesse de maltraitance,

car effectivement nos enfants,

en tous les cas un nombre impressionnant de nos enfants sont victimes de maltraitance,

ce que nous savons depuis des dizaines d’années, dans notre pays encore démocratique, et encore développé,

mais qui n’engage aucune action réelle pour qu’en fait il soit juste question de bientraitance.

Sans les associations, et notamment sans vous, WeToo, rien ne serait fait dans notre pays pour protéger nos enfants.

Lorsqu’un enfant présente une symptomatologie, il est déjà trop tard. Cela veut dire que nous avons failli.

Alors nous pouvons considérer que nous avons failli de longue date et pour de trop nombreux enfants.

Mon ami Pierre Lévy-Soussan vous a brossé le tableau des conséquences de la maltraitance sur nos enfants,

alors que nous savons les prévenir si tant est que nous les prenions en charge le plus rapidement possible

voir que nous intervenions précocement pour enrayer le cercle vicieux de la maltraitance. On ne nous en donne pas les moyens.

Pour cela, il faut une volonté politique, il faut des moyens.

Sur le terrain où je suis depuis une quarantaine d’années je ne vois rien venir du ruissellement si cher à notre génération de responsables politiques.

J’entends bien les « tout va très bien madame la marquise » des relais nationaux, régionaux, départementaux qu’ils soient administratifs ou élus, lorsqu’il s’agit de parler des actions engagées par nos gouvernements successifs,

alors qu’en fait on est dans un saupoudrage de mesures, une sorte de cautère sur une jambe de bois.

Le gouvernement et le président de la République nous ont montré qu’ils étaient capables du quoiqu’il en coûte !

Je ne suis pas spécialiste, mais il semble que cela a permis de prévenir l’impact de la pandémie sur l’économie.

En matière de bientraitance de nos enfants, ils seraient bien inspirés de conjuguer ce quoiqu’il en coûte.

En sauvant les vies de nos enfants, ils sauveront l’économie de demain,

grâce à des futurs adultes qui ne seront pas atteints dans l’estime de soi, dans la confiance en soi, qui ne présenteront pas des troubles relationnels, des troubles affectifs, les gênant dans l’insertion affective, sociale, professionnelle et qui participeront au partage républicain : leur retraite, leur sécurité sociale etc.

Je sais que c’est un langage cynique,

mais que malheureusement il nous faut tenir,

pour que nos politiques sachent que l’argent qu’ils mettront maintenant dans un quoiqu’il en coûte pour éviter les conséquences de cette pandémie qu’est la maltraitance dans notre pays, permettra de sauver outre la santé de nos enfants, des futurs adultes, l’économie de notre pays.

La bientraitance des enfants est indissociable de la bientraitance des figures primaires d’attachements, des caregiving.

Maltraiter une mère, c’est maltraiter un enfant.

Maltraiter un enfant dans le contexte domestique, c’est maltraiter une mère.

Ceux-là, femme et enfants représentent pourtant près de 70% de la population mondiale. C’est un autre sujet, mais certaines options politiques voir juridiques, instrumentalisées par le patriarcat en perte de pouvoir, sont des outils insidieux, et masqués de cette maltraitance : le syndrome d’aliénation parentale, qui n’existe que dans leur réalité, et la résidence alternée pour les petits qui permet la poursuite du contrôle et de la maltraitance.

C’est un autre sujet mais un clin d’œil à notre 3ème larron Maurice Berger.

Je voulais vous parler aujourd’hui d’un outil de bientraitance qu’est le recueil de la parole de l’enfant,

pour lequel je suis reconnu spécialiste, grâce à mon amie le Pr Mireille Cyr, professeure de psychologie au Canada,

que j’ai fait venir en France aidé de mon ami Gérard Lopez à qui je souhaite un prompt rétablissement,

pour convaincre (nul n’est prophète en son pays) nos professionnels, nos politiques, que l’enfant n’est pas un pervers polymorphe, ni un menteur pathologique.

Sortir les mots, les idées, les concepts, de leur contexte, aboutit immanquablement dans notre société superficielle, à des contre sens lourds de conséquences, et nous en payons encore le prix.

Le protocole NICHD : je me lance

the National Institute of Child Heath and Human Development Protocol

est un protocole non suggestif de recueil de la parole de l’enfant, porté par la recherche et des études scientifique, le seul,

et qui permet de ne pas décrédibiliser la parole de l’enfant.

Lorsque l’enfant dévoile des faits, les études montrent que ce qu’il dit s’inscrit dans la réalité dans plus de 95% des cas.

C’est l’intervention inadéquate des adultes et notamment des professionnels qui reçoivent cette parole, qui va aboutir à influencer l’enfant, aux fausses allégations, à rendre sa parole non crédible.

Protéger les enfants est l’affaire de tous.

Mais ne pas être formé, risque d’aboutir à ajouter de la maltraitance institutionnelle à la maltraitance subie.

C’est aussi une des raisons du silence des enfants maltraités.

Car ils ont malheureusement déjà fait les frais de ces interventions au mieux maladroites, par des adultes qui pensaient surement bien faire (pour rester politiquement correct) mais qui sur-victimisent les enfants, qui perdent alors encore plus la confiance en l’adulte.

Nos actions inadéquates créent ces enfants dont on dit qu’ils refusent toute aide, alors qu’ils se protègent parce qu’ils ont vécu la souffrance de l’abandon, car cela correspond à une forme d’abandon.

La majorité du temps quand un enfant a parlé, et qu’il s’engage dans le train fantôme qu’est la procédure judicaire, cela abouti à un classement sans suite.

70% de sans suite en moyenne, c’est une catastrophe,

quand on sait que dans 95% des cas, les faits s’inscrivent dans la réalité.

Nous en sommes pour partie responsables et personnellement je pense pour une grande part, car nous avons contribué à le rendre non crédible.

En tant que médecin légiste je puis vous affirmer que dans la majorité des cas nous ne retrouvons pas trace physique des maltraitances, même lorsqu’elles ne sont pas uniquement concentrées dans les domaines verbaux, psychologiques, ou de la négligence. Il n’est pas rare que les violences sexuelles, les violences physiques n’engendrent aucun stigmate. Et que l’enfant victime de violences conjugales, est un enfant maltraité qui ne présentera jamais aucune trace physique de ce qu’il a vu, entendu, senti, ressenti…

Alors que reste-t-il à la justice pour pouvoir assoir son intime conviction ? Il reste un faisceau d’arguments qui finira par avoir valeur de preuve.

Et dans ce faisceau d’arguments il y aura

  • le signalement ou l’information préoccupante du professionnel à qui l’enfant s’est confié
  • l’audition judiciaire qui doit être au plus proche de la révélation. Il faut ainsi éviter que l’enfant soit interviewé par de nombreux intervenants avant les professionnels de l’audition judiciaire, pour éviter justement la pollution de son discours
  • l’expertise médico psychologique ou psychologique

Bien sûr, il y aura aussi lorsque cela est ordonné

  • la mesure judicaire d’investigation éducative
  • l’enquête sociale

qui sont des évaluations sur le temps, lorsqu’on donne le temps.

Mais lorsque les professionnels

  • ne sont pas formés
  • ne sont pas supervisés, ni dans la qualité de leurs interventions
  • ne savent pas ce qu’est un enfant
  • ne savent pas grand-chose du développement de l’enfant
  • n’ont pas de notion de ses capacités cognitives à son âge
  • n’ont pas de notion de l’impact de la maltraitance et donc sont gênés dans l’analyse des troubles du comportement, ou de la désorganisation psychique
  • travaillent chacun dans leur coin, sans jamais confronter leurs points de vue
  • ne connaissent pas le rôle, la fonction, la limite des interventions de l’autre professionnel, de l’autre institution
  • voir même par méconnaissance, mais aussi parfois dans une sorte de sentiment de toute- puissance, sortent de leur rôle en ayant le sentiment de pouvoir mieux assurer celui de l’autre

On aboutit à ce que l’on voit trop souvent en France, la décrédibilisation de la parole de l’enfant. C’est pourquoi non seulement les professionnels

  • doivent être des professionnels de l’enfance et de l’adolescence
  • ils doivent être formés et notamment aux techniques non suggestives de recueil de la parole, et jusqu’au psychothérapeute dont on sait qu’ils peuvent transformer la parole des personnes, qui viennent les voir, par la recherche de sens nécessaire à la réparation

Les professionnels doivent être formés à travailler ensemble, en complémentarité, et le législateur doit nous aider à trouver un lieu commun pour qu’on ne nous renvoie pas à chacun à notre secret professionnel, ou que d’autres l’utilisent comme camouflage pour ne pas agir, pour ne pas protéger.

C’est ainsi que le recueil de la parole de l’enfant doit être fait dans des lieux uniques.

Certains vous diront, et je vous rappelle que c’est ce que préconise le secrétaire d’État Adrien Taquet, de créer des unités dans les services de pédiatrie,

mais vous savez que d’autres unités sont dans des services d’urgence, dans des services de pédopsychiatrie, dans des unités médico judiciaire, car comme souvent en France nous sommes dans une guerre des égos, et la médecine n’est pas indemne de cette guerre.

Mais nous savons très bien que les forces de police ou de gendarmerie, le parquet, auront du mal à investir ces unités car elles sont un lieu de travail inhabituel, déconnectés de leur réalité.

Alors nous préconisons un lieu unique, neutre, sans stigmatisation, comme l’ont déjà fait d’ailleurs les anglo-saxons, mais aussi les pays nordiques, où c’est le professionnel qui vient à l’enfant et non l’inverse, pour diminuer le labyrinthe du parcours des victimes lorsqu’ils sont confrontés à la recherche de la preuve.

Ce lieu unique doit être un lieu adapté à l’enfant, un lieu d’accueil, un lieu où il va se sentir bien, un lieu d’alliance avec le professionnel formé, car moins l’enfant ressentira du stress, plus son discours s’inscrira dans la réalité.

Ce lieu unique doit regrouper tous les professionnels qui doivent prendre l’habitude de travailler ensemble, de se connaître, de connaître et respecter le rôle de chacun, ses limites, afin de rendre optimale le faisceau d’arguments qui va entraîner la conviction des magistrats.

Les professionnels intégrés à ce lieu doivent être

  • les professionnels de la santé bien sûr, pédiatres, pédopsychiatres, psychologues de l’enfant et de l’adolescent, infirmières,
  • les travailleurs sociaux
  • mais aussi et surtout
    • les officiers de police judiciaire
    • le parquet mineur
    • voir le juge des enfants, le juge aux affaires familiales, le juge d’instruction, pour qu’ils aient chacun une notion de ce qu’est un enfant, de comment les preuves sont recueillies, et une juste appréciation de la valeur de cette preuve
  • sans oublier les professionnels de la prise en charge de l’entourage, mais aussi comme au Canada, en Australie de la prise en charge des victimes, au plus proche de la révélation, par des professionnels présentés au moment de ce parcours judiciaire, ce qui aboutit à une meilleure observance.

Et tout cela en lien avec les professionnels de l’éducation nationale, car un enfant victime est un enfant qui doit être accompagné dans l’insertion sociale, affective et scolaire.

Et ce réseau ne doit pas être et ne peut pas être délié.

Les professionnels doivent se connaître, travailler ensemble, autour de l’enfant, avec l’enfant, avec son entourage protecteur.

Bien sûr en parallèle il faut assurer la prise en charge de l’auteur présumé. Mais il n’est pas le lieu en parler ici

Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, lorsque nous recevons un enfant victime, il est impossible de l’adresser dans le tissu territorial de la prise en charge globale,

la santé n’a pas de place,

et les autres professionnels sont trop dissociés et en deviennent dissociant.

Bientraiter un enfant passe ainsi par bien accueillir et recueillir sa parole pour lui donner la meilleure chance d’être cru.

Alors merci à Wetoo de participer à faire bouger les lignes et de convaincre nos dirigeants,

ceux qui ne sont pas inscrits dans des dynamiques de violences et qui se protègent pas un blocage institutionnel,

d’etre dans la prévention de la maltraitance, et comme pour l’économie, en changeant de paradigme, dans le quoi qu’il en coute, car les deux sont liés, même s’ils n’en ont pas conscience. Je rappelle d’ailleurs ce que j’enseigne à mes étudiants en droit, en médecine, en psychologie que la délinquance est jusqu’à preuve du contraire un symptôme de la maltraitance, et bien traiter notre jeunesse, aboutira à terme à une diminution des conséquences sur la société tout entière du traitement de la délinquance, et de la transmission transgénérationnelle de la maltraitance.


Dr Jean-marc Ben Kemoun Psychiatre, pédopsychiatre, médecin légiste Médecin des Hôpitaux Honoraire
Expert près la CA de Versailles


Vous pouvez retrouver ici les propositions de notre association pour mieux protéger les enfants victimes de violence familiales