Archives dans 30 août 2025

Connaissez-vous le Grooming ?

Connaissez-vous le Grooming ?

Nom masculin, d’origine anglaise

Le grooming désigne une stratégie de manipulation utilisée par des agresseurs pour gagner la confiance d’un enfant (ou parfois d’un adulte vulnérable) en vue de l’exploiter, notamment sexuellement.

Grooming : ce que la loi française refuse encore de nommer

Dans les affaires de violences sexuelles intrafamiliales, la France continue de peiner à appréhender certaines formes d’agression pourtant bien connues des cliniciens, des victimes… et des agresseurs. L’un des angles morts les plus criants reste la notion de grooming.

Ce mot n’a toujours aucun équivalent juridique en droit français alors qu’il est pourtant central dans les législations anglo-saxonnes.

Une absence aux conséquences lourdes.

Le grooming, qu’est-ce que c’est ?

Dans les pays anglo-saxons, le grooming est défini comme un processus intentionnel de manipulation mentale, affective et parfois logistique, mis en place par un agresseur pour obtenir la soumission ou le silence de sa victime, souvent un mineur.

Il précède généralement les actes d’agression sexuelle et en constitue le terreau psychologique. Le mot signifie littéralement “faire la toilette”, “soigner l’apparence”. Un euphémisme cruel qui rappelle la manière feutrée et insidieuse dont ces agressions s’introduisent dans la vie des victimes.

Au Royaume-Uni, la loi sur les infractions sexuelles définit clairement le grooming comme une infraction distincte, passible de jusqu’à 10 ans de prison, dès lors qu’un adulte engage un échange intentionnel avec un mineur en vue d’un acte sexuel.

Aux États-Unis, de nombreux États criminalisent explicitement le child grooming, y compris dans ses formes numériques (cyber-grooming), et les forces de l’ordre sont formées à repérer ces pratiques.

En France, rien de tel. Le code pénal continue d’aborder les violences sexuelles presque exclusivement sous l’angle de la violence physique, de la contrainte, de la menace ou de la surprise.

Le grooming se déroule souvent en plusieurs étapes :

  1. Création d’un lien de confiance : l’agresseur se montre bienveillant, offre une attention particulière, se positionne comme une figure de soutien ou d’amitié.
  2. Isolement : Il tente d’éloigner la victime de ses proches, de la rendre dépendante émotionnellement.
  3. Introduction de la sexualisation : Par des discussions, des images, des sous-entendus, l’agresseur banalise des comportements inappropriés.
  4. Contrôle et silence : Il utilise la culpabilisation, la peur ou le chantage pour maintenir la victime sous emprise et l’empêcher de parler.

Le souci est que tout ce “travail préparatoire”, cette installation d’un climat de domination psychique, d’isolement ou de confusion, ne sont pas reconnus comme une méthode d’agression à part entière.

Cette lacune a des effets très concrets sur les affaires judiciaires. Lorsqu’il y a violence physique manifeste, la question du consentement ne se pose pas : les faits parlent d’eux-mêmes. Mais dans les cas où l’agression s’inscrit dans un processus lent et dissimulé, que ce soit dans une famille, une école, un club sportif ou un cadre religieux, la justice française interroge la victime plutôt que l’agresseur. A-t-elle dit non ? Pourquoi n’est-elle pas partie ? A-t-elle envoyé des messages ambigus ?

Exemples concrets :

  • Un adulte qui discute avec un enfant sur un jeu en ligne et l’amène progressivement à partager des photos inappropriées.
  • Un proche de la famille qui devient “l’ami” privilégié d’un enfant en lui offrant des cadeaux et en cultivant une relation exclusive avant d’introduire des comportements abusifs.
  • Un enseignant, coach, ou toute autre figure d’autorité qui utilise sa position pour manipuler un enfant et obtenir des faveurs sexuelles sous couvert d’affection.

Pourquoi le Grooming est un problème majeur ?

Le grooming est particulièrement pernicieux car la victime peut ne pas réaliser qu’elle est manipulée et croire qu’il s’agit d’une relation normale. Cela rend la dénonciation et la prise de conscience encore plus difficiles. Le cyber-grooming est aussi une menace croissante. Les prédateurs contactent des enfants via les réseaux sociaux, les jeux en ligne, etc, et se font passer pour des amis.

L’agresseur peut s’en prendre à plusieurs enfants en même temps mais selon des modalités ou des moments différents. Parfois, ces derniers ignorent que leurs frères ou sœurs sont aussi victimes.

Ce qu’apporterait une reconnaissance du grooming

Inscrire le grooming dans la loi, c’est reconnaître l’existence de stratégies prédatrices spécifiques, qui exploitent la confiance, la dépendance, l’admiration, la peur ou la solitude des enfants. C’est aussi former les magistrats, les avocats, les enquêteurs, les cliniciens à repérer ces schémas.

Cela permettrait de poser d’autres types de questions lors des procédures judiciaires. Au lieu de scruter la victime, on pourrait viser l’agresseur et ses actes : Pourquoi avez-vous demandé le silence sur vos échanges ? Comment avez-vous gagné sa confiance et organisé son isolement ? Pourquoi tous ces cadeaux ?

En refusant de nommer le grooming, la loi française refuse de voir ce que les victimes, les cliniciens et même les agresseurs savent depuis longtemps : la violence sexuelle ne commence pas au moment de l’acte. Elle prend racine bien avant, par des gestes d’approche, des phrases banales, des attitudes faussement bienveillantes. Elle commence là où l’intention prédatrice se dissimule sous un masque d’innocence.

C’est cette dissimulation qui doit être mise en lumière, non seulement dans les textes, mais aussi dans les pratiques judiciaires, les formations professionnelles, l’écoute clinique.

Reconnaître le grooming, c’est se doter d’outils pour mieux protéger les enfants, mieux juger les crimes, mieux réparer les victimes.

Doit-on utiliser le mot Pédophile ou Pédocriminel ?

Doit-on utiliser le mot Pédophile ou Pédocriminel ?

Les médias et la société parlent de pédophile.

La justice parle de pédocriminel.

Et ce n’est pas la même chose.

Confondre les deux termes brouille la compréhension… et peut freiner la protection des enfants.

Le mot pédophile désigne une attraction sexuelle pour les enfants prépubères.

(Définition psychiatrique, OMS)

Le mot pédocriminel désigne une personne qui commet un crime ou un délit sexuel sur un mineur.

(Définition juridique)

Pédophilie

La pédophilie est avant tout une notion psychiatrique. Elle désigne une attirance sexuelle persistante et préférentielle, parfois exclusive, pour les enfants qui n’ont pas encore atteint la puberté. Cette attirance, décrite par l’OMS dans la classification des troubles mentaux, n’implique pas nécessairement un passage à l’acte.

Certaines (rares) personnes concernées en sont conscientes et cherchent de l’aide. Elles consultent et mettent en place des stratégies pour ne jamais mettre un enfant en danger.

Mais il existe hélas aussi des personnes pédophiles qui peuvent devenir des pédocriminels. Soit en consommant des images pédopornographiques, soit en agressant des enfants.

À l’inverse, un adulte peut abuser sexuellement d’un enfant sans être pédophile. Les violences sont motivées par la domination, le contrôle, dans le cadre de violences intrafamiliales, sans qu’il y ait d’attirance spécifique pour les enfants.

En d’autres termes, la pédophilie décrit une attirance, mais pas un acte. Et c’est justement ce qui la distingue de la pédocriminalité.

Pédocriminalité

La pédocriminalité appartient au domaine du droit. C’est la justice qui emploie ce terme pour désigner l’ensemble des crimes et délits commis à l’encontre de mineurs : viols, agressions sexuelles, corruption ou incitation, mais aussi la production, la diffusion ou la possession de pédopornographie, ou encore l’exploitation sexuelle organisée.

Contrairement à la pédophilie, la pédocriminalité ne renvoie pas à une attirance mais à des actes concrets, répréhensibles et punis par la loi.

Tous les pédocriminels ne sont pas pédophiles.

L’inceste en est un exemple frappant : de nombreux auteurs ne présentent pas d’attirance pédophile au sens psychiatrique, mais utilisent la sexualité comme un instrument de pouvoir et de contrôle.

Parler de pédocriminel permet de replacer le débat sur la responsabilité des auteurs.

Dans les médias, le mot pédophile est encore trop souvent utilisé comme synonyme d’agresseur d’enfant.

Exemple : “Un pédophile arrêté après avoir agressé sa belle-fille”.

Cette formule laisse entendre que l’agresseur aurait une attirance spécifique pour les enfants. Or, bien souvent, ce n’est pas le cas.

Dans de nombreux dossiers, l’auteur n’a jamais manifesté d’intérêt sexuel particulier pour les enfants. L’agression est commise dans un contexte de violence intrafamiliale, d’emprise, ou simplement parce que l’enfant était vulnérable et à portée de main.

L’inceste illustre parfaitement cette dynamique. Ce n’est pas l’existence d’une orientation pédophile qui explique l’abus, mais la logique de domination et de contrôle à l’intérieur de la famille.

Les recherches scientifiques confirment que la réalité est bien plus complexe que l’image véhiculée par les médias.

Entre 25 % et 50 % seulement des personnes condamnées pour abus sexuels sur mineurs présentent un profil de pédophilie au sens clinique (Seto, 2008 * ; Lussier, 2011). Autrement dit, plus de la moitié des auteurs ne sont pas pédophiles : ils ont commis un crime pour d’autres raisons.

On observe aussi des différences selon les contextes. Les auteurs intrafamiliaux, par exemple, présentent beaucoup moins de caractéristiques pédophiles que les auteurs extrafamiliaux. À l’inverse, le taux de pédophilie est plus élevé chez les agresseurs extrafamiliaux, notamment ceux qui ciblent des garçons.

Pourquoi la confusion entre pédophile et pédocriminel est dangereuse pour les victimes ?

La confusion entre pédophile et pédocriminel ne nuit pas seulement à la prévention, elle a aussi un impact direct sur les victimes.

Lorsqu’on réduit un abus sexuel à une “maladie” ou à une “orientation”, on tend à minimiser la responsabilité de l’agresseur. L’acte est alors présenté comme le symptôme d’un trouble, presque inévitable, plutôt que comme un choix criminel.

Pour les victimes, ce discours est destructeur. Il peut faire douter de la gravité de ce qu’elles ont subi, ou donner l’impression que leur agresseur n’est pas pleinement responsable.

En parlant de “pédophile” à tort et à travers, comme de “monstres isolés”, on renforce l’idée que le danger viendrait uniquement de l’extérieur, de prédateurs tapis dans l’ombre.

La réalité est toute autre.

Les chiffres le montrent : 8 victimes sur 10 de violences sexuelles subies durant l’enfance et l’adolescence concernent des faits d’inceste. (Actes de colloque – Regards croisés sur la conduite de recherches sur la maltraitance intrafamiliale envers les enfants et les adolescents – 2023)

Beaucoup de victimes n’osent pas parler parce que leur agresseur ne correspond pas à cette image du “monstre” : c’est leur père, leur beau-père, leur oncle, parfois même leur grand frère.

Résultat : leur témoignage est perçu comme moins crédible, et leur souffrance reste trop souvent dans l’ombre.

Enfin, croire que seules des personnes identifiées comme des pédophiles menacent les enfants détourne la vigilance sur la mécanique réelle des violences intrafamiliales, qui représentent la majorité des situations.

En réduisant les violences sexuelles sur mineurs à un “problème psychiatrique”, on oublie que la plupart des auteurs agissent sans être pédophiles. Ils exploitent une position d’autorité, un climat de silence, ou profitent d’une opportunité.

Tant que l’on confondra pédophilie et pédocriminalité, pédophile et pédocriminel, on passera à côté de ces mécanismes, et on privera les enfants d’une protection efficace.

Ce qu’il faut dire alors ? Pédophile ou Pédocriminel ?

Quand un adulte agresse un enfant, ce n’est pas “un pédophile”.

C’est un pédocriminel.

Et il faut le condamner.


Vous trouverez d’autres ressources utiles dans notre article Repérer, prévenir et agir contre les violences sexuelles faites aux enfants.


* Seto, M. C. (2008). Pedophilia and Sexual Offending Against Children: Theory, Assessment, and Intervention. Washington, DC: American Psychological Association.

(Dans cet ouvrage, Seto montre que seule une partie des auteurs d’infractions sexuelles contre des enfants répond aux critères cliniques de pédophilie.)

Le petit chaperon rouge, une histoire d’inceste ?

Le petit chaperon rouge, une histoire d’inceste ?

On connaît tous l’histoire du Petit Chaperon rouge. Le loup, la forêt dangereuse, la grand-mère, la fillette naïve, la morale de Charles Perrault qui met en garde les jeunes filles contre les inconnus…

Et si, depuis des siècles, nous étions passés complètement à côté de l’essentiel ? Et s’il s’agissait là d’un faux-semblant ?

C’est la thèse passionnante que défend Lucile Novat dans son essai De grandes dents, enquête sur un petit malentendu (Éditions La Découverte, 2024), présentée dans une émission de France Culture.

Un ouvrage qui relit ce conte fondateur et en bouleverse la signification.

La réécriture du danger : de l’extérieur à l’intérieur

On voit habituellement ce conte comme une mise en garde contre les dangers de la forêt, de l’étranger. Pour Lucile Novat, c’est en réalité tout l’inverse. Le danger n’est pas un inconnu qui rôde dehors, un monsieur qui offre des bonbons, c’est un proche, inscrit au cœur de la maison familiale, voire au lit. Selon elle, le loup serait une métaphore d’un père incestueux, dont l’acte violent est camouflé derrière la fable du prédateur sauvage.

Elle illustre ce pivot à partir de l’image mythologique : tout comme dans le mythe de Cronos, la figure parentale abusive se mue en créature monstrueuse. Le conte devient alors une métaphore contemporaine des violences intrafamiliales que l’on connait bien.

Le loup agresse à l’intérieur

Un détail qui n’en est pas un : pourquoi le loup ne dévore-t-il pas le Petit Chaperon rouge lorsqu’il la rencontre dans la forêt ? Il en aurait pourtant la possibilité. Mais non : il attend que la fillette soit entrée dans la maison, dans l’espace intime et clos, là où personne ne peut voir, ni entendre. C’est une stratégie typique des agresseurs : agir à l’abri des regards, dans le secret du foyer.

Autre similitude, le loup ne reste pas un loup, prédateur évident. Il ne surgit pas pour mordre, il opte pour une autre stratégie. Il se déguise en grand-mère, figure d’autorité et de confiance pour maquiller sa violence derrière un masque respectable, il travestit son apparence pour mieux tromper.

Ce basculement de la menace visible à la menace dissimulée et enjôleuse rappelle des mécanismes bien connus des violences sexuelles intrafamiliales :

  • L’agresseur se fait passer pour protecteur. Il abuse de la confiance naturelle que l’enfant accorde.
  • Il travaille son emprise, cherchant à convaincre de sa bienveillance, pour mieux abuser.
  • C’est un opportunistes qui vise l’impunité.

Le conte met en scène explicitement, la logique perverse de l’inceste : le danger ne vient pas de l’extérieur, de l’inconnu, de l’étranger, mais de l’intérieur, de la famille, du domestique.

Il porte le masque de la tendresse pour mieux violenter ses victimes.

D’autres indices plus psy semés dans le texte

  • La “folie” des femmes, dès les premières lignes : Perrault insiste sur une affection excessive, obsessionnelle, jusqu’à la “folie”, pour le personnage de l’enfant. Un amour puissant que Novat suggère comme un possible symptôme de dérive émotionnelle et sexuelle.
  • La chevillette et la bobinette : ce mécanisme complexe de fermeture symbolise une forteresse censée protéger, mais aussi une mise en scène artificielle du danger extérieur (un leurre pour masquer ce qui est véritablement menaçant à l’intérieur).
  • Trouble entre les genres et les rôles : la fillette est évoquée au masculin (“le petit chaperon rouge”), tandis que la grand-mère-loup est décrite avec des attributs masculins (corps velu, poils impressionnants).

Relu ainsi, Le Petit Chaperon rouge devient le récit d’un danger intime et indicible : l’inceste, que la littérature populaire a masqué derrière la figure commode du loup.

Là où la société continue de maintenir l’illusion d’une violence qui viendrait surtout de l’extérieur, l’enseignante Lucile Novat cherche à faire émerger une réalité plus glaçante.

Elle raconte que quand elle introduit Le Petit Chaperon rouge dans sa classe de sixième, le conte libère la parole des élèves et ouvre une occasion de sensibilisation, de prise de conscience. Il permet également aux adultes accompagnants de trouver des médiations justes et sensibles avec les enfants.

Le conte devient une boîte à outils pour penser l’indicible.

En France, l’inceste reste largement tabou : selon la Ciivise, 1 enfant sur 10 est victime de ces violences. Notre imaginaire collectif masque ce drame et le conte du Petit Chaperon rouge contribue, malgré lui, à occulter cette réalité.

Changer de regard sur ces lectures, c’est faire bouger un discours figé, retrouver tous les jours un peu plus une parole tétanisée par le secret. C’est aussi redonner aux parents, aux enseignants, aux institutions, des outils symboliques et analytiques pour accompagner les enfants victimes, sans retomber dans la censure du réel.

Luttons contre ces faux loups.

La maison, le territoire où les violences se commettent sans témoins, doit redevenir un lieu de paix et sécure.

Témoignage de Corinne, mère de 5 enfants, victime de violences conjugales, parentales et institutionnelles

Témoignage de Corinne, mère de 5 enfants, victime de violences conjugales, parentales et institutionnelles

Corinne pensait avoir une vie de famille “normale”.

Et puis un jour, elle a réalisé.

30 ans sous emprise.

Une séparation.

Des plaintes ignorées.

Des enfants enlevés.

Voici le témoignage d’une mère protectrice, effacée par la justice, rattrapée par la violence.

Un récit qui montre à quel point le système, encore aujourd’hui, ne protège pas les enfants.

Et continue de punir celles qui essaient de le faire.

Corinne avait une vingtaine d’années quand elle a rencontré celui qui allait devenir son mari.

Ayant grandie dans un environnement très religieux, presque sectaire, elle a été élevée dans l’idée que l’épouse doit obéissance, que les souffrances sont offertes à Dieu et que le pardon est la plus haute vertu. Elle a porté sa croix, exactement comme on le lui avait appris.

Très tôt, le mari qu’on lui a choisi prend le contrôle. Il décide de tout : l’argent, les fréquentations, le rythme de vie. Il surveille, critique, impose. Les humiliations et les violences physiques sont quotidiennes, sous les yeux des enfants. Comme beaucoup de femmes, Corinne croit que c’est sa faute, qu’elle doit être plus calme, moins « provoquer ». Elle subit pendant des années.

Ensemble, ils ont cinq enfants. Corinne s’efforce d’être une mère attentive, douce, présente. Les enfants sont sa force… mais aussi sa faille. Chaque fois qu’elle évoque l’idée de partir, il la menace de les lui enlever. Il sait qu’elle le croit capable de tout. Il a déjà commencé à distiller l’idée qu’elle est instable, trop émotive, déconnectée de la réalité. Il s’en servira plus tard devant les juges.

Quand elle finit enfin par quitter le domicile conjugal, Corinne pense qu’elle va pouvoir protéger ses enfants.

Mais le cauchemar prend une autre forme, plus institutionnelle et froide : celle des procédures, des jugements, des rapports, des classements sans suite.

Le père se présente en victime, et la présente en mère déséquilibrée.

Le système tranche : il faut « préserver le lien« .

Même au prix de la sécurité.

Elle porte plainte pour violences, menaces, harcèlement, enlèvement d’enfant. Après sept ans de parcours juridique, les plaintes sont classées sans suite, y compris celle, liée à 30 jours d’ITT ordonnés par un médecin légiste. Sept ans d’attente, de relances, d’espoir. Pour rien. Son premier avocat lui avait déconseillé de parler des violences pour « préserver les chances d’une garde partagée« . Corinne, encore sous emprise, pense alors que protéger ses enfants, c’est éviter les conflits. Elle ne sait pas, à ce moment-là, nommer les choses. Et ce silence a biaisé tout le reste.

Une expertise judiciaire est ordonnée.

La psychologue ne voit ni le traumatisme, ni l’emprise.

Elle évoque plutôt une mère confuse, instable, fatiguée.

Cette “experte” ignore les témoignages des enfants, des amis, les certificats médicaux, les écrits de professionnels. La parole de Corinne est toujours suspectée, celle du père crédible.

Pourtant, les enfants parlent. Ils racontent les cris, les coups, les menaces. Ils expliquent pourquoi ils ne veulent pas vivre chez leur père. Ils parlent des scènes de violence. Mais les éducateurs concluent que « des souvenirs ont été induits« , que Corinne aurait manipulé ses enfants. Une manière de renverser la charge. Une stratégie connue qui malheureusement fonctionne toujours.

Pendant ce temps, l’ex-mari exerce une violence économique. Il retire Corinne de sa mutuelle mais garde les enfants.

Elle paie les soins, il touche les remboursements.

Il refuse de participer aux frais de cantine ou d’activités, prétextant que rien n’est validé d’un commun accord. Elle s’endette. Elle passe par la commission de surendettement. Lui continue à jouer le rôle du père stable.

Même l’avocat médiatique de Corinne s’y met : il encaisse un chèque qu’il avait promis d’encaisser plus tard. Elle se retrouve fichée bancaire. Cet avocat ne se déplace pas aux audiences… mais la fait payer. Un harcèlement institutionnel de plus.

Dans sa propre famille, qui ne supporte pas son éloignement religieux, elle ne trouve pas d’appui. Son père, pédiatre respecté, prend parti pour son ex-mari. Sa mère dit préférer voir ses petits-enfants placés plutôt qu’avec Corinne. L’isolement devient total.

Même entourée, elle est seule. Et le sentiment d’injustice s’accumule.

Elle tente pourtant de faire valoir ses droits, d’être entendue. Elle change d’avocat, rejoint des associations, rencontre des professionnels compétents, mais toujours trop tard. Le mal est fait. Le dossier est jugé à travers un prisme biaisé. La parole maternelle, comme celle de tant d’autres, est reléguée au rang de stratégie.

Pendant le confinement, son ex-mari finit par obtenir la garde de deux de leurs enfants. Corinne, en précarité, n’a pas pu s’y opposer. Elle voit ses enfants s’éloigner, happés par la version de leur père, construite patiemment depuis des années. Elle tente de garder le lien, mais le poids du mensonge est lourd.

Et les enfants, pour survivre, finissent parfois par croire leur père, bien plus fort.

Corinne participe à une exposition photographique sur les parents aliénés. Quand il découvre le projet, le père fait pression pour faire retirer le témoignage. Bien qu’il ne soit pas nommé, il comprend que c’est elle. Et il exige le silence. Encore.

Comme si dire la vérité dérangeait plus que la vérité elle-même…

Aujourd’hui, Corinne continue de se battre. Elle forme des travailleurs sociaux aux réalités du contrôle coercitif. Elle milite pour une meilleure reconnaissance de l’emprise. Elle intervient parfois dans des conférences. Elle écrit.

Elle envisage un livre, tiraillée entre la nécessité de témoigner et le souci de protéger ses enfants.

Elle ne sait pas encore si la justice réparera un jour ce qui a été cassé. Mais elle sait que se taire serait une double peine. Alors elle parle. Pour elle. Pour ses enfants. Pour toutes les femmes qui vivent encore dans l’ombre de ce que la société appelle, à tort, un conflit parental.

Ce que Corinne aimerait qu’on comprenne, c’est que les violences ne s’arrêtent pas à la séparation.

Souvent, elles ne font que commencer.